Chaises «eiffel» avec coques de couleur, tabourets métalliques, tables basses mariant verre et bois ou encore larges fauteuils en cuir, ces objets design aux formes esthétiques sont partout: dans les magazines, sur les plateaux de télévision et peut-être aussi chez vous. Certains sont d'authentiques objets signés de la main de créateurs réputés. D'autres sont de simples copies... Verrez-vous la différence?

Il arrive que les reproductions, inspirées par des meubles devenus symboles du design il y a plusieurs décennies, se trouvent plus facilement que les originaux. Et ce, même si les modèles originaux sont encore édités par des géants du meuble américains ou européens.

«C'est vrai qu'en arrivant à Montréal, ça m'a choquée de voir autant de copies d'Herman Miller, de Cassina, d'Artemide ou de Knoll», se souvient la directrice de l'École de design industriel de l'Université de Montréal, Fabienne Munch, venue à Montréal l'été dernier, après 17 ans passés aux États-Unis chez Herman Miller.

Attraction

Les reproductions de meubles «mi-siècle» ont le vent dans les voiles. Au Canada, cela n'a rien d'illégal (voir encadré).

«Il y a un très grand marché [pour les meubles mi-siècle]», dit Steven Ricciardi, directeur des ventes de Pink and Brown. Depuis 10 ans, Pink and Brown se spécialise dans l'importation d'Asie et la revente de meubles inspirés par des géants du design.

L'intérêt des reproductions, croit M. Ricciardi, c'est leur prix.

Ainsi, une «Plastic Chair» Eames éditée par Herman Miller se vend entre 299$ et 319$*. Silver, la version de Pink and Brown, est offerte à quelque 120$.

Le lampadaire trois bras créé par le Français Serge Mouille se vend quant à lui 7380$* alors que sa version Pink and Brown peut se trouver à 1200$, notamment chez Maison Corbeil.

Comme d'autres enseignes québécoises de meuble (Mariette Clermont notamment), Maison Corbeil vend en effet des meubles haut de gamme, mais aussi quelques reproductions.

«On joue un peu sur les deux plans», dit Éric Corbeil, coprésident de Maison Corbeil.

Entre 15 à 20% du chiffre d'affaires de ses magasins est réalisé grâce aux meubles haut de gamme. Mais les reproductions permettent aussi de répondre aux demandes des clients qui souhaitent acheter un style sans se ruiner et qui, parfois, ne voient pas l'intérêt de payer le plein prix pour un original.

«Dans le meuble, souvent, le client ne fait pas la différence entre l'original et la copie. C'est comme Kartell [qui édite notamment les chaises «Ghost» de Philippe Starck]: on vendait les originaux, mais maintenant, on vend des copies», poursuit M. Corbeil.

Qualité

Mais fait-on vraiment une bonne affaire avec une reproduction?

Pour les fabricants de meuble et amoureux du design, la réponse est claire: non.

«Ces classiques ont été raffinés au cours des années et ont une ergonomie quasi parfaite», explique Thom Fougere, designer et directeur artistique chez EQ3.

«Dans bien des cas, les copies ont des défauts invisibles à l'oeil nu, mais qui se verront dans 20 ou 30 ans, estime Mark Schurman, directeur des communications d'Herman Miller. Dans la plupart des copies, c'est même cinq ans.»

À long terme, c'est aussi loin d'être une option vraiment économique puisque ces meubles n'ont, contrairement aux originaux, aucune valeur de revente. Un prix qui peut paraître bas au premier abord n'est donc peut-être pas une si bonne affaire.

«C'est une question de perception, rétorque Maude Button, adjointe de M. Corbeil. Vous voyez peut-être 400$ comme un achat dispendieux, et pour quelqu'un d'autre, c'est une aubaine.»

Un designer nommé «Polaroïd»

Dans le monde du meuble, la reproduction n'est pas un phénomène nouveau.

«Quand j'ai commencé [à travailler comme designer industriel], on entendait souvent que les marchands de meubles allaient dans les salons européens et que leur designer s'appelait «Polaroïd»», se souvient le designer Michel Swift, également propriétaire de la boutique montréalaise Jamais Assez.

Avenir

La présence de reproductions dans les boutiques de meubles peut-elle nuire aux designers contemporains? Chez Nüspace, boutique montréalaise qui offre des meubles Pink and Brown aux côtés de créations locales, on croit que les deux sont complémentaires.

«Oui, c'est contradictoire d'avoir des reproductions et des designers québécois. Mais ça donne aux designers québécois de la visibilité», répond-on.

Chez Zone, où l'on vend sous le nom «Noguchi» une table inspirée de celle créée par Isamu Noguchi et éditée par Herman Miller, on observe une demande grandissante pour des meubles fabriqués au Québec. Mais les clients ne sont pas toujours prêts à y mettre le prix.

«Il faudrait qu'on ait un produit fabriqué au Québec au même tarif que les meubles fabriqués à l'étranger», observe Sarah Abikhzir, vice-présidente chez Zone.

Habituer les consommateurs aux copies à prix plus bas pourrait toutefois entretenir ce cercle vicieux.

«On ne va pas bâtir notre industrie si on ne fait que des copies», regrette Michel Swift.

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*Les prix sont ceux indiqués par Design Within Reach, enseigne nord-américaine spécialisée dans la vente de meubles haut de gamme. www.dwr.com/home.do