Le lin, premier textile mis au point par l'homme, est si primordial qu'une multitude de mots, dont «linge», en découlent. Trois pros de déco d'ici partagent leur expérience, leur vision et leur amour pour ce textile d'aspect brut devenu synonyme d'élégance.

Maryse Cantin

> Fondatrice de la boutique Arthur Quentin

Mon identité

La boutique Arthur Quentin a ouvert ses portes en 1975 et elle est demeurée fidèle à mon intention première, soit proposer du linge de maison de qualité et de beaux objets pour la table.

Ma découverte

J'ai fait connaissance avec le lin il y a 30 ans dans un hôtel de Milan. C'était l'hiver, il neigeait. Ma chambre était grande, haute de plafond et mal chauffée. Dans mon lit recouvert d'un édredon houssé de lin blanc, je lisais Cent ans de solitude. C'était le bonheur. Je suis tombée amoureuse pour toujours du lin.

Mon souvenir

En 1975, lorsque j'ai ouvert ma boutique, tout le monde ne jurait que par le polyester-coton. Mes clients me disaient: «J'ai jeté mon fer à repasser.» La difficulté était de faire aimer la matière de nouveau. Je me souviens des premiers torchons que j'ai vendus, j'avais la boule dans la gorge en inscrivant 14$ sur l'étiquette. C'était très cher. J'étais en avance sur mon temps. J'ai acheté à l'époque de fabuleux lins autrichiens que je n'ai jamais réussi à vendre. Aujourd'hui, ça partirait comme des petits pains chauds. Ce sont des phénomènes de mode. Les tendances de la maison suivent de deux ans celles du vêtement. Ça fait quoi, une quinzaine d'années qu'on voit des gens porter du lin?

Mon chouchou

Un lin italien à partir duquel on confectionne de la literie que j'achète directement du tisserand. C'est une vieille adresse à moi dénichée dans un minuscule stand à Francfort, il y a des années.

Ma définition

Le beau ne s'explique pas. C'est une harmonie, je crois. C'est en tout cas l'inverse du tape-à-l'oeil. Séduire est une chose, surprendre et durer en est une autre.

Ses vertus

Le lin, c'est une fraîcheur, une légèreté, mais c'est avant tout un confort extrême que nous avons oublié ou peu connu qui s'inscrit dans la durée. Mon ex-belle-mère m'a donné il y a 40 ans des torchons qui avaient déjà 40 ans à l'époque. Il m'en reste encore un ou deux! Le lin ancien était plus rêche, mais il était encore plus résistant que les lins modernes. J'en cherche toujours dans les brocantes.

Son entretien

Le lin est une fibre qui s'assouplit avec le lavage et qui devient de plus en plus absorbante. Moi, je ne le repasse pas. Je le plie lorsqu'il est encore un tout petit peu humide, et c'est bon.

Son prix

On est dans une mentalité du moins cher et du jetable. Quand je vois tout ce qui s'en va aux poubelles, j'ai du mal à saisir où se trouve l'économie.

Arthur Quentin

3960, rue Saint-Denis, Montréal

www.arthurquentin.com

Photo Olivier Jean, La Presse

Maryse Cantin

Anne Fillion

> Styliste et cofondatrice de l'Atelier Fillion

Mon identité

Mon parcours en tant que styliste dans le milieu de la photographie et mon amour pour les textiles m'ont menée naturellement à la création de l'Atelier Fillion. Je collabore principalement avec les décorateurs pour la confection sur mesure de linge de maison.

Mon souvenir

Mon tout premier contact avec le lin remonte à ma petite enfance. Ma mère me permettait de repasser le linge de la maison - des nappes brodées qui appartenaient à ma grand-mère, des serviettes de table, des torchons et les mouchoirs en lin de mon père - en me hissant sur un petit banc placé à côté de sa planche à repasser. J'adorais ça!

Mon influence

C'est chez Arthur Quentin que j'ai fait mon éducation. Je recherchais des accessoires pour des photos, et toutes les accessoiristes puisaient à sa source pour recréer dans les magazines comme Décormag des décors au cachet européen.

Ses vertus

Le lin, c'est un charme désinvolte, un luxe de tous les jours qui s'intègre avec naturel tant dans un intérieur moderne que dans un décor champêtre. C'est une matière vraie qui comporte un aspect rassurant. Il est excellent pour les ménopausées (rires) et pour les hommes qui transpirent! Ça ne bouloche pas, c'est léger, absorbant, antiacarien, anallergique. Je ne serais pas étonnée d'apprendre que c'est dans des draps de lin que l'on couche les grands brûlés...

Ses grades

Plus le lin est tissé fin, plus il est souple et plus il coûte cher! Les Belges produisent des lins d'une grande finesse très ouvragés. Les pays de l'Est, en particulier la Lituanie, exportent des textiles moins fins, plus rustiques, qui ont leur charme et le mérite d'en démocratiser l'usage.

Mon chouchou

Je dirais peut-être un jacquard de lin réversible tout récemment importé d'Autriche, mais j'affectionne particulièrement le travail des vieilles maisons comme Libeco-Lagae (Belgique, 1858) pour sa philosophie; Busati (Italie, 1842) pour la beauté de son linge de table; Christian Fishbacher (Suisse, 1819) pour la finesse de ses détails de confection et Siletti (Italie, 1876) pour ses jolis motifs à chevrons et ses jacquards.

Atelier Fillion

197, rue de la Montagne, Montréal

www.atelierfillion.com

Photo Olivier Jean, La Presse

Anne Fillion

Photo Olivier Jean, La Presse

Rollande Vachon

> Conceptrice d'aménagements intérieurs et fondatrice de la boutique Moutarde

Mon identité

Je viens du milieu de la mode. Ma démarche en décoration est très intuitive et repose sur la sobriété. Je suis connue pour mon usage du lin, des cotons, des grosses toiles et des tons naturels. Je n'ai jamais été fan des gros imprimés, des tissus rebrodés, des passementeries. Je considère que les unis, les rayures et les carreaux fatiguent moins vite que les fleurs, les médaillons et autres motifs imposants.

Mon souvenir

Vendre du lin, il y a 20 ans, c'était un défi. Les gens ne comprenaient pas pourquoi payer 200$ le mètre pour une matière sans grand effet, dont la texture est apparente et qui se froisse. L'oeil n'était pas encore habitué à en apprécier la sobriété. Tout a doucement changé, et on trouve aujourd'hui de très beaux lins à moins de 100$ le mètre.

Son berceau

La Belgique est le royaume du lin, mais l'Italie, la France, l'Angleterre et les pays de l'Est, et même le Japon, lui ont apporté beaucoup de subtilités. Certains sont allés jusqu'à le bouillir et le tisser froissé.

Mon chouchou

Les plus beaux lins que j'ai vus sont fabriqués en Angleterre par une firme qui polit ses grosses étoffes avec des roches. Le procédé les rend presque aussi doux que du velours.

Ses vertus

Le lin respire! Et il a un port qui ne ressemble à aucun autre tissu. Le lin a surtout, comme le sisal, le pouvoir de se fondre élégamment dans un espace, sans toutefois disparaître.

Mon argument

Dans les années 1995, j'avais découpé dans un magazine européen un décor plutôt monochrome dans lequel on retrouvait un gros tapis en sisal, un grand canapé beige recouvert de lin sur lequel étaient déposés des coussins plus colorés. Chaque fois que je le présentais à des clients, des années plus tard, je confirmais à quel point les tons neutres et les matières naturelles ne vieillissent pas.

Ma règle d'or

Pour créer des univers durables, mieux vaut rassembler des matières simples, mais nobles, et user de la couleur avec parcimonie par l'entremise d'objets faciles à remplacer. Un beau décor, pour moi, c'est un plancher de qualité, une belle lumière, des meubles impeccables et de beaux panneaux en lin pour habiller les fenêtres. Après, le reste repose sur des détails, des accents.

Photo Olivier Jean, La Presse

Photo Olivier Jean, La Presse