Si vous avez un copain graphiste, artiste ou simplement très branché, vous l'avez certainement déjà vu avec un accessoire Pantone entre les mains. Calepin, couvre-téléphone ou même vélo. C'est que la firme américaine, dont le but premier était de calibrer des couleurs, s'est lancée dans l'objet de consommation. Avec goût. Et succès.

Pendant longtemps, les palettes de couleurs Pantone ont été l'apanage des métiers de l'imprimerie, de la publicité, du design et de la mode. Aujourd'hui, la société américaine a étendu ses tentacules du côté des objets du quotidien et démultiplié son univers dans le monde entier. Bienvenue sur la planète Pantone.

Fondée dans les années 50 à Carlstadt, dans l'État du New Jersey, Pantone était à l'origine une petite entreprise qui fabriquait des nuanciers, c'est-à-dire un catalogue d'échantillons de couleurs pour les détaillants de cosmétiques.

À l'époque, les couleurs ne sont pas encore «normalisées» et le rendu des mélanges est souvent infidèle, imprécis. Il varie d'une imprimerie à l'autre. Un exemple: le jaune orangé emblématique des boîtes de pellicules photographiques Kodak. La marque observe que la teinte des emballages, plus ou moins vive selon le lieu où ils ont été imprimés, a une influence directe sur les ventes. Les plus sombres, notamment, sont moins populaires auprès de la clientèle. Comme s'ils donnaient l'impression d'être plus vieux, défraîchis.

La standardisation des couleurs vient remédier à la situation. Derrière le perfectionnement de ce système, il y a Pantone. Ou plus exactement, il y a Lawrence Herbert. En 1956, ce jeune diplômé du département de chimie de l'Université Hofstra, de Long Island, se joint à l'entreprise, dont il devient propriétaire en 1962. En 1963, il crée le Pantone Matching System (PMS), une révolution dans le monde de la couleur. Cet outil permet de reproduire à l'identique le jaune Kodak (comme le rouge Coca-Cola, l'orange Hermès ou le bleu Tiffany&Co.) à Montréal, à Dublin et à Paris.

L'idée d'Herbert est d'en finir avec la quadrichromie. Ce procédé de l'imprimerie traditionnelle permet de reproduire les différentes teintes de la gamme chromatique à partir du noir et des trois couleurs primaires: cyan, magenta, jaune. Le système Pantone, lui, est composé de 10 teintes de base. Grâce à lui, on peut mieux maîtriser la couleur, obtenir des nuances plus fines, des résultats plus uniformes, dont les recettes sont minutieusement répertoriées dans un guide, appelé pantonier.

L'empire Pantone déborde bientôt dans les industries du textile et du matériel d'artiste, qui intègrent graduellement, elles aussi, le système de correspondance des couleurs. Puis, grâce à des associations avec les fabricants de logiciels de traitement de l'image, comme Adobe et Photoshop, il s'implante dans les technologies numériques et le design graphique.

Couleur pour tous!

C'est au tournant des années 2000 que Pantone, jusqu'alors réservé aux initiés, fait son apparition sur la scène du design industriel et de la décoration d'intérieur, sous l'égide de Lisa Herbert. Le pari: procéder à une extension du domaine de la marque, élargir sa notoriété auprès du grand public, s'implanter dans le quotidien des gens. Comment? En démultipliant son univers. Sans jamais masquer ses origines. Les objets qui portent la griffe Pantone Universe (branche consacrée aux produits dérivés) renvoient systématiquement au numéro de référence Pantone.

On peut désormais se procurer une foule d'accessoires commercialisés par Pantone, de l'étui à lentilles cornéennes à la bicyclette.

En 2010, on a même inauguré à Bruxelles l'hôtel Pantone, point d'orgue de son ascension (voir encadré).

En juin dernier, Schweppes a lancé une nouvelle boisson au parfum d'orange. Pour marquer le coup, elle s'est offert une couleur exclusive, formulée et brevetée par Pantone.

Depuis Tangerine Tango en 2011, la chaîne de produits de beauté Sephora conçoit aussi une gamme de cosmétiques qui porte «la couleur de l'année» dès que Pantone la dévoile (voir encadré).

Même la Barbie de Mattel est habillée (en rose) par Pantone. Dans la mesure où les déclinaisons du nuancier Pantone sont soumises à des droits de propriété intellectuelle, tous ces produits sont sous licence.

Rachetée en 2007 par le géant X-Rite, l'entreprise poursuit sa conquête des couleurs à travers les arts graphiques, la mode, l'architecture, la décoration, de petite et grande consommation. «Le monde n'est pas en noir et blanc», scandait l'un des premiers slogans de l'entreprise. On l'a bien compris.

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La couleur de l'année

Depuis 2000, Pantone prédit tous les ans la couleur qui, selon ses savantes spéculations, sera la favorite de la mode, des objets de décoration, du graphisme et des cosmétiques. La sélection de la «couleur de l'année» n'a rien de fortuit. En effet, les déclinaisons des couleurs dans le monde du cinéma, du divertissement et du musée, les campagnes publicitaires, les sites web et les destinations voyage les plus populaires sont rigoureusement passées au crible. D'une saison à l'autre, il est fascinant de voir à quel point Pantone réussit son coup de marketing. Et frappe dans le mille. Une simple question de flair? Ou Pantone, à la longue, se serait-il positionné en amont des tendances? De la couleur Pantone ou de la tendance, lequel apparaît en premier? La couleur de l'année 2013 est vert émeraude (17-5641), qui évoque, selon la porte-parole de la marque, «la clarté, le renouveau et le rajeunissement, essentiels dans un monde très complexe».

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Photo fournie par Pantone Universe

L'hôtel Pantone, à Bruxelles

C'est le décorateur d'intérieur Michel Penneman qui a conçu et réalisé, en collaboration avec l'architecte Olivier Hannaert, cet établissement atypique situé à Bruxelles, dans le quartier Saint-Gilles. Chaque étage de cet hôtel, qui en compte 7 (59 chambres), déploie l'une des palettes du célèbre nuancier: le premier est bleu, le deuxième est vert, le troisième orange... Vous avez besoin de calme et de repos? D'énergie? Selon les prémisses de la thérapie par la couleur, vous êtes invité à accorder votre chambre à votre humeur! Chaque chambre est décorée par une image d'un lieu de la capitale belge, oeuvre de Victor Levy, qui tend vers l'abstraction. Les couleurs primaires, secondaires et complémentaires qui se dégagent de la photographie sont reportées au mur au moyen de pastilles de couleur, ce qui donne une cohésion à l'ensemble. Le lieu sert également de vitrine aux produits Pantone Universe, parsemés çà et là, pour la touche déco. Ils sont aussi, bien sûr, tous vendus sur place. Et pour prolonger l'expérience colorée au grand air, on peut aussi enfourcher l'une des jolies bicyclettes Pantone, imaginées par la firme de design italienne Abici.

www.pantonehotel.com

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Photo Pantone Universe

Les tartelettes Pantone

Émilie Guelpa est l'auteure du blogue Griottes, palette culinaire, un espace de création à mi-chemin entre le graphisme et le stylisme culinaire. Un espace ludique, surtout poétique, inventif, qui fait franchement sourire. Collaboratrice au magazine français Fricote, l'épicurien urbain, Émilie a le mandat d'inventer chaque mois une création autour du thème de la nourriture, pour laquelle on lui donne carte blanche. C'est en repassant devant des origamis qu'elle avait classés en dégradé de couleurs, clin d'oeil involontaire au nuancier Pantone, que cette graphiste de formation a le déclic pour sa prochaine chronique. D'appétissantes tartelettes Pantone, impeccables sur le plan visuel, qui reproduisent fidèlement les célèbres échantillons de couleurs! Tomates, framboises, chocolat, bananes et concombres: toutes les couleurs ne sont-elles pas dans la nature? Oui, mais il fallait y penser. Sur le web, l'engouement est généralisé. Ses tartes se répandent comme une traînée... de dragées. En juin 2012, les tartes Pantone, format géant, sont accrochées dans les vitrines de la Grande Épicerie de Paris. Pour Noël, elle décide de créer une série édition limitée exploitant l'or, le blanc et le marron. Sur celles-là, meringues, pépites de chocolat et pop-corn au caramel partagent la vedette. Émilie Guelpa avoue qu'elle ne s'attendait pas du tout à ce que son projet prenne une telle ampleur. Et ce n'est pas tout. À l'heure actuelle, on sait qu'elle travaille (chut! c'est encore secret!) en partenariat avec une maison d'édition australienne à la publication d'un livre dans lequel le lecteur trouvera des couleurs et des recettes inédites. On sait aussi qu'elle signe les photos, le design et le graphisme du livre. On surveille sa parution de près.

Photo fournie Pantone Universe

Les tartelettes Pantone du blogue Griottes, palette culinaire.