En 2006, François Palmer et Jean-François Rousseau, deux designers industriels de formation, fondent le studio Couper Croiser. Ils élisent le tapis décoratif comme « terrain de jeu», rafraîchissant au passage une industrie (un peu) poussiéreuse. Portrait.

Avant le terrain de jeu, toutefois, il y a une étude de terrain. Préoccupés par les questions environnementales, les deux jeunes entrepreneurs ont pour objectif de donner un second souffle à une matière destinée aux sites d'enfouissement. Au fil de leurs recherches et de leur tournée des écocentres montréalais, ils ont constaté que les fabricants de tapis, au Québec, génèraient à eux seuls des centaines de tonnes métriques de déchets annuellement. Qu'aucune retaille industrielle rejetée, souvent neuve ou encore en bon état, n'était recyclée.

L'idée derrière Couper Croiser, née d'un mélange d'ingéniosité et de flair : détourner les restes de tapis d'un grand fabricant leur évitant ainsi un départ précipité vers le dépotoir pour en faire une nouvelle matière à partir de laquelle travailler. Jouer avec ces retailles disparates, les transformer, se les réapproprier, afin de créer des tapis «à valeur ajoutée», comme l'explique Jean-François Rousseau. Le premier produit qui découle de leurs expérimentations est un tapis modulaire et ajustable, dont le principe rappelle un peu celui du casse-tête chinois. Le tapis est en effet constitué de «pièces détachées», de tuiles qui, une fois agencées au sol, créent des configurations à géométrie variable. Ce travail de rapiéçage, aux lignes nettes et au visuel très graphique, est devenu rapidement la signature de Couper Croiser.

Les collaborations avec différents bureaux de design d'intérieur et d'architecture s'accumula, et le duo est bientôt contraint de faire une entorse à la démarche écologique qui soutenait le projet depuis ses débuts. Il devient de plus en plus difficile de les satisfaire les clients, dans l'optique où les retailles qu'ils reçoivent , aux teintes et compositions variables, ne permettent pas d'assurer une production régulière. Ils doivent désormais s'approvisionner directement auprès des manufacturiers.

Aujourd'hui, Couper Croiser continue de développer plusieurs collections de tapis. Certains magasins, comme Bélanger et Martin (s) et Nüspace, à Montréal, tiennent leurs produits à plus large diffusion. Comme les paillassons et carpettes d'intérieur, reconnaissables entre tous à leurs découpes, motifs et jeux de mots ludiques et à leurs couleurs vives. Mais 70% de leur chiffre d'affaires provient maintenant de la conception et de la fabrication de tapis taillés sur mesure, des commandes spéciales de petite ou moyenne envergure qui viennent du côté du résidentiel, du commercial ou de l'événementiel. La vocation de Couper Croiser prend là tout son sens: faire en sorte que le tapis revête une fonction, qu'il se fonde dans le décor, qu'il dialogue avec le lieu, mais aussi qu'il devienne un élément design à part entière.

C'est, par exemple, le défi qu'ils ont relevé récemment, en partenariat avec la firme Lemay Michaud, à l'hôtel La Ferme de Baie-Saint-Paul. Ce sont également eux qui ont habillé le sol du hall du cinéma Excentris et celui du Pavillon Claire et Marc Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal.

La liste de leurs réalisations est longue. Sous leurs pieds, c'est tout un monde qui se déroule.