Depuis quelques années, les créations d'une nouvelle génération de designers font courir les amateurs d'art contemporain et d'objets avant-gardistes. À l'inverse, il y a aussi des artistes qui s'intéressent au design, comme l'auteur-compositeur-interprète Pierre Lapointe. À preuve, le créateur, en compagnie de l'architecte Jean Verville, a conçu pour l'exposition Big Bang, au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), une installation sonore et architecturale autour de la chaise C2 de Patrick Jouin. Pour ajouter au mélange des genres... il y a aussi les designers du collectif Rita qui participent à l'événement du MBAM, présenté jusqu'au 22 janvier 2012.

Pendant ce temps, en Europe, le Québécois Philippe Malouin, un designer industriel de formation qui habite Londres, fait un tabac à la galerie parisienne NextLevel. Il y présente les pièces de sa collection de meubles et d'accessoires en laiton et béton brut Gridlock. Le prix de ces dernières oscille entre 6000 euros (environ 8400$) et 20 000 euros (près de 28 000$).

Rencontré chez lui, en septembre, Philippe Malouin travaillait justement à la confection (à la main) de la suspension Svetko, de Gridlock. «Ça prend un temps fou! Environ 400 heures de travail», révèle-t-il. Quand on lui demande s'il se considère davantage comme un designer ou un artiste, il répond: «Ce sont les fabricants et les galeristes qui me demandent de faire des installations d'art ou des produits artistiques, avoue-t-il. Personnellement, je n'ai pas de problème avec le titre d'artiste, car mon travail de recherche à l'égard des matériaux, des procédés, ainsi que des liens entre l'industrie et l'artisanat s'apparente à une expérimentation artistique.»

«À mes yeux, Philippe Malouin est un artiste qui possède les bases d'un designer et le don d'un créateur», enchaîne Isabelle Mesnil, propriétaire de NextLevel Galerie, un lieu qui présente du design et de l'art contemporain. Elle ajoute: «À l'instar de la photographie, le design fait son entrée sur le marché de l'art, car cette discipline peut être tout aussi créative.»

Libres-échanges

«L'ère est aux croisements», atteste Diane Charbonneau, conservatrice des arts décoratifs contemporains au MBAM. L'exposition Big Bang en est d'ailleurs la preuve. «On a fait appel à des créateurs de différentes disciplines et on leur a demandé de dépasser leurs propres limites pour animer un espace ou créer un objet inédit à partir d'une oeuvre du musée.»

La frontière entre le design et l'art serait-elle en train de se dissiper?

«En ce moment, elle est effectivement très perméable, fait remarquer Diane Charbonneau. Sans compter que le design actuel investit les galeries et les foires d'art contemporain les plus prisées. Pas étonnant, un nombre croissant de gens investissent dans le design comme le faisaient traditionnellement les collectionneurs d'art.»

Enfin, Koen De Winter, designer industriel québécois et fondateur d'HippoDesign, constate lui aussi un effritement des frontières entre l'art et le design. «Il y a de plus en plus d'étudiants qui n'ont aucunement l'ambition de voir leurs produits se multiplier grâce à une production industrielle», note le professeur à l'École de design de l'UQAM. Autre observation: «Je crois que tout inspire les designers, que ce soit la nature, l'art ou le travail des autres».