Les frontières entre les différentes disciplines du design sont de plus en plus minces. La création d'objets n'est plus strictement réservée au designer industriel et on ne compte plus le nombre de concepteurs, qu'ils soient artisans, designers d'intérieur, de mode ou graphiques qui sautent la clôture! L'ère est aux croisements et au maillage des connaissances, à l'exemple des consortiums en architecture. C'est un phénomène en croissance, atteste Ginette Gadoury, coprésidente du SIDIM (Salon international du design d'intérieur de Montréal).

D'ailleurs, la Tribune des designers du SIDIM, un espace thématique dont l'objectif était de révéler la créativité des designers québécois, s'étendait pour la première fois à toutes les disciplines, y compris le design de mode, graphique et web. Même l'architecture y a fait son apparition avec notamment la présence de l'agence Cardinal Hardy.

 

«Nous souhaitons également que les artisans de Série limitée et même les artistes du nouvel espace La galerie rencontrent des designers d'intérieur afin que leurs oeuvres soient intégrées dans leurs projets d'aménagement», ajoute Mme Gadoury.

«Peu importe notre champ d'action, enchaîne la designer de mode Marie Saint Pierre, nous formons, les designers, une communauté et il est grand temps qu'à Montréal nous fassions des projets ensemble, souligne-t-elle. Pour le SIDIM, la créatrice a conçu un porte-magazines mural avec le designer d'intérieur Christian Bélanger, pour l'encan Show de chaises.

«Même l'apport des autodidactes peut être très positif, fait remarquer le designer Thien Ta Trung qui, avec sa soeur My, dévoilait ses nouveautés au SIDIM.

N'est-il pas alors risqué que tout un chacun «s'improvise» designer d'objet?

«N'importe qui peut se prétendre designer, mais ce n'est pas tout le monde qui a nécessairement du talent», termine le cofondateur de Periphere, une marque de mobilier contemporain.

 

Mode de vieLe designer d'intérieur Christian Bélanger et la designer de mode Marie Saint Pierre, deux passionnés (fous) de leur métier, ont conçu un prototype. Dans le cadre du Show de chaises du SIDIM, ils ont présenté cette création réalisée à partir de toutes les pièces détachées d'une modeste chaise en bois naturel d'IKEA. «Christian m'a lancé: on peut ne pas faire une chaise! J'ai tout de suite aimé l'idée!» raconte Marie Saint Pierre. Après avoir imaginé un pied de table ou même un vase, les deux amateurs de magazines de design et d'architecture se sont entendus sur la forme que prendrait la chaise: un porte-magazines mural de couleur blanche, posé sur un mur blanc. Le résultat - entre l'objet artistique et pratique - prend ainsi une allure de sculpture qui «émerge» du mur. Surtout, la silhouette originale de la chaise est dissipée.

Christian Bélanger, 46 ans, et Marie Saint Pierre, 48 ans,ont, par ailleurs, fait partie de l'espace Personnalités de l'année, au SIDIM.

Enfin, c'est dans le nouvel atelier-boutique Archives, appartenant à Christian Bélanger, qu'il est possible de découvrir les meubles et les accessoires des deux designers.

Christian Bélanger y offre, entre autres, sa table Jehane Benoit, dont l'une des pattes est mise à niveau grâce à un livre de recettes. Quant à Marie Saint Pierre - qui souhaite lancer ses deux premiers parfums à Noël - elle propose ses coussins, sa literie (Confort Le Germain) et ses jetés.

Dans l'atelier-boutique Archives, Marie Saint Pierre et Christian Bélanger autour de leur prototype présenté au Show de chaises du SIDIM.

Formes et fonctionsAnne Thomas, 48 ans, a toujours été fascinée par le design d'objets. «Très jeune, je bricolais des porte-monnaie ou des porte-clés que je vendais à ma famille dans un magasin imaginaire», confie-t-elle.

Designer graphique depuis 20 ans, elle a d'abord réalisé une série de cadeaux de Noël pour la clientèle de son agence, comme du papier d'emballage, des horloges et des verres au graphisme inspiré et ornés de phrases joyeusement philosophiques. Ont suivi d'autres prototypes, comme des sacs en plastique qui, une fois remplis d'eau, deviennent des vases.

C'est en 2009 que TOMÀ Objets a pris réellement son envol. Avec la designer Monica Gautier, Anne Thomas a conçu Inside Out. Cette collection peuplée d'objets utilitaires aux formes ludiques et aux lignes parfaitement fluides a d'abord été dévoilée l'automne dernier lors de la Semaine du design de Tokyo, dans le cadre de l'exposition Tokyo Design Tide.

Inside Out comprend des cintres toutes en volutes, un porte-manteau, un porte-parapluie et des porte-bottes, qui ont été présentés au SIDIM, dans l'espace Tribune des designers.

Photo: François Roy, La Presse

Anne Thomas, dans son atelier

Verre et céramiqueJulien Mongeau, souffleur de verre, et Amélie Lucier, céramiste, qui ont tous deux 26 ans, se sont rencontrés au cégep du Vieux-Montréal, pendant leur formation. Ils ont fondé leur entreprise, il y a trois ans, A.J, et participent pour la première fois au SIDIM, cette année, section Tribune des designers. «Certes, nous fabriquons nos pièces à la main, mais nous préférons mettre l'accent sur le design et le style contemporain de nos produits plutôt que seulement sur leur aspect artisanal», explique le couple de concepteurs qui, par ailleurs, présente annuellement sa production au Salon des métiers d'art, à Montréal.

Le souffleur de verre et la céramiste réalisent principalement des accessoires de cuisine. Ils les mettent d'ailleurs constamment à l'épreuve lorsqu'ils préparent des repas pour leur petite famille qui inclut maintenant Arthur, 7 mois.

Julien s'est notamment fait connaître avec une série d'huiliers colorés en verre soufflé alors qu'il est aisé de reconnaître les créations d'Amélie, souvent de couleur neutre et, surtout, aux formes épurées et aux subtils jeux de textures.

Mieux, les artisans savent faire cohabiter leur matière de prédilection. Ainsi, leurs mortiers et pilons, leurs vases surmontés d'une bille et ceux joliment nommés Petit penchant pour toi, marient parfaitement le verre et la céramique.

 

Photo: Martin Chamberland, La Presse

Amélie Lucier et Julien Mongeau, d'A.J.

Passion double

My Ta Trung, 29 ans, et son frère, Thien, 33 ans, ont beaucoup voyagé dès l'enfance. Ce qui leur a ouvert les yeux sur le «monde» du design. «Jeune, j'adorais découvrir des boutiques d'objets originaux», avoue My, qui a été formée en design industriel, à l'Université de Montréal.

Parallèlement, son frère, un «addict» court les foires les plus cotées, comme le Salon du meuble de Milan.

En 2001, le duo d'origine vietnamienne a fondé Periphere, une marque de mobilier haut de gamme au style radicalement contemporain. Leur démarche se distingue par une exploration des matériaux. Détail: ils les traitent bien souvent en solo: table d'appoint en béton, banc en fibre de verre, table de salle à manger en noyer massif... Sans compter leur expérimentation au niveau formel: meubles au profil angulaire, organique, géométrique...

Cette semaine, les designers ont eu une idée lumineuse: non seulement ont-ils dévoilé leurs cinq prototypes au SIDIM, mais ils les ont exposés grâce à une installation éphémère dans leur boutique Domison, en marge du Salon. Intitulée Pâté chinois, cette manifestation exprime clairement leur nouvelle envie de faire cohabiter les matières et les textures.

«Nous avons d'abord pensé à ragoût, goulache, ratatouille pour enfin trouver pâté chinois, une expression qui illustre bien l'idée du multi-couche et de la combinaison des matériaux», explique Thien Ta Trung.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

My Ta Trung et son frère, Thien dans leur boutique Domison

Le bois, autrementTouche-à-tout, Caroline Trudeau, 47 ans, a d'abord fait des études en design de mode avant de compléter un bac en design de l'environnement à l'UQAM. Elle a également travaillé dans le domaine du multimédia avant de terminer sa formation, l'an dernier, à l'École nationale du meuble et de l'ébénisterie. Ses efforts ont été récompensés: avec son projet de fin d'études, le fauteuil Libellule comportant une assise et un dossier en contreplaqué de bambou moulé, elle a raflé le prix Intérieurs/FERDIE, catégorie mobilier résidentiel, en décembre dernier.

«Les accoudoirs découpés au centre évoquent les quatre ailes de la libellule», explique-t-elle.

Caroline Trudeau dévoilé sa nouveauté au SIDIM, dans la section Tribune des designers: le fauteuil d'extérieur Paco. Il est composé de carreaux de bois torréfié, récupéré dans un conteneur d'entreprise de portes et fenêtres. Toutes les petites pièces poncées de 3 pouces sur 3 pouces sont perforées aux quatre coins et retenues avec de la corde de nylon. Le «carrelage» devient ainsi une matière qui épouse le corps. «Ça bouge comme un tissu, ce qui rend le fauteuil confortable», note la designer qui a choisi le nom Paco, en référence aux robes du couturier Paco Rabanne.

Photo: François Roy, La Presse

Caroline Trudeau dans son fauteuil Paco.