La majorité des hackers se concentrent sur les ordinateurs personnels et les systèmes informatisés. D'autres optent pour une cible plus design: le géant du mobilier suédois IKEA. Modifiant style, couleur et forme de ses meubles et accessoires, ces «pirates» de la déco créent de nouvelles pièces inspirées de ce prêt-à-assembler pour la maison.

La majorité des hackers se concentrent sur les ordinateurs personnels et les systèmes informatisés. D'autres optent pour une cible plus design: le géant du mobilier suédois IKEA. Modifiant style, couleur et forme de ses meubles et accessoires, ces «pirates» de la déco créent de nouvelles pièces inspirées de ce prêt-à-assembler pour la maison.

 Plusieurs le font pour des raisons pratiques, d'autres pour y ajouter une touche personnelle. A.J. Kandy, un directeur artistique de Montréal, s'est tourné vers IKEA lorsqu'il est devenu propriétaire d'un condo, il y a quatre ans. Le locataire bénéficiait jusqu'alors d'étagères encastrées, ce qui l'a forcé à se procurer plusieurs meubles de rangement au moment de son déménagement. La chaîne scandinave s'est avérée incontournable aux yeux du Montréalais, pour son style pratique, moderne et abordable.

A.J. Kandy a transformé un meuble pour téléviseur Bonde en un vaisselier pour sa salle à manger. Il a ajouté des diodes électroluminescentes (DEL) à l'intérieur pour obtenir un éclairage plus doux et moins énergivore. Il a dû percer des trous pour les glisser à l'intérieur et les connecter grâce à des barres d'alimentation électriques multiprises. Il a aussi ajouté quelques lumières supplémentaires derrière les vitres de l'armoire. Un projet pour lequel il a déboursé quelque 70 $ supplémentaires.

 Modifications pratiques et esthétiques

 La métamorphose de A.J. a été retenue par le blogue IKEAhacker qui répertorie les meilleurs hacks de la chaîne suédoise. Des centaines d'accros popularisent ces transformations maison sur Internet, multipliant les idées originales de détournements de style.

Jules (elle ne dévoile pas son nom complet pour préserver un certain anonymat) a créé la «communauté» électronique IKEAhacker pour le plaisir d'échanger des idées, en mai 2006. «Le mobilier (d'IKEA) est très modulaire : tu peux le mélanger et l'agencer facilement pour réaliser ta vision de décoration», exprime l'inconditionnelle du magasin suédois. Elle reçoit aujourd'hui de deux à trois projets d'altération par jour, qu'elle trie et publie lorsque l'idée est accrocheuse.

 Sur le blogue, on peut notamment voir une banquette pour deux faite d'un lit-canapé Hemnes, un range-bouteilles Vurm transformé en porte-débarbouillettes, un appareil photo conçu à partir d'un pot à plante et même un «duplex repos» pour chien fait de différentes pièces de mobilier. Un autre pirate d'IKEA a même transformé deux bibliothèques en un cercueil ; une pièce qui fait maintenant partie de la collection permanente de la Art Gallery of Ontario.

 «J'ai vu des gens faire des choses décoratives comme changer la surface des meubles ou des choses pratiques comme ajouter des tablettes supplémentaires, ou des roulettes, raconte A.J. Kandy. Parfois, les gens prennent seulement des parties pour les utiliser comme ils veulent. Par exemple, des portes d'armoire-penderie pour les transformer en écrans ou en panneaux diviseurs.» D'autres souhaitent seulement adapter le mobilier à un espace plus petit afin d'éviter la confection sur mesure, beaucoup plus dispendieuse, précise Jules.

Design démocratique

 Natalie Tremblay, doctorante en ethnologie à l'Université Laval, étudie la scénographie du quotidien à travers les objets. «IKEA, c'est le design accessible. Comme on le voit souvent sur le site d'IKEAhackers, c'est une cheap solution, une façon économe de créer des meubles design. Les participants sont à la base des bricoleurs. C'est de la création domestique faite dans un contexte tout intime», croit-elle.

 Mais pourquoi se donner tout ce mal ? «C'est le fun de ne pas voir la même chose quand tu vas chez un ami», illustre A.J. Kandy. Mme Tremblay y décèle d'ailleurs l'engouement actuel pour le recyclage et la récupération. «Mais c'est aussi un acte de création dans le sens qu'on va mettre la main à la pâte en le transformant, souligne-t-elle. On se l'approprie et il vient combler un manque.»

 En se promenant sur la Toile, difficile de ne pas remarquer que certains vouent carrément un culte à IKEA. «Pour les fans, la marque a une signification. Ça vient les chercher dans leur univers intérieur», indique Mme Tremblay qui a également exploré la sacralisation des objets dans le cadre de sa maîtrise. Ils adhèrent à la philosophie IKEA, qui se traduit, selon le site Internet de la compagnie, par le désir «d'embellir leur foyer et d'améliorer leur quotidien» avec de l'ameublement à bas prix.

Jacinthe Lessard, artiste en art visuel, est fascinée par le «mode de vie générique» d'IKEA. «Il y a une tension entre individualité et matériaux pensés en kit.» Lors d'expositions, elle a présenté des clichés du décor de quelques amateurs de la firme bleu et jaune : des gens qui ont entièrement meublé leur appartement ou certaines pièces avec ce mobilier à assembler soi-même.

 L'artiste a été impressionnée par la créativité dont certains font preuve face à cette nouvelle «matière première». Et plus particulièrement par celle d'un des participants qui avaient étudié en design : «Il était créatif dans sa façon d'utiliser les meubles ; dans la façon d'habituer l'espace comme mettre une lampe sur les murs au lieu de la mettre au plafond.»

 Promotion gratuite?

 Madeleine Frick, directrice des relations publiques pour IKEA Canada ne peut que s'enthousiasmer devant cette tendance brico-déco. «C'est fantastique. On adore ça. On passe beaucoup de temps à comprendre comment tout le monde vit. Les maisons devraient toutes être personnalisées, explique-t-elle. On endosse absolument le fait que les consommateurs s'expriment de cette manière.»

 Mme Frick ne nie pas non plus que c'est une excellente publicité pour la compagnie : «Ça démontre la versatilité de nos produits.» De son côté, Jules du blogue IKEAhacker jure qu'elle n'est affiliée à la chaîne d'aucune manière. Elle avoue cependant avoir un faible pour son café... une raison supplémentaire pour visiter le magasin plus souvent !

 Info: ikeahacker.blogspot.com

 

Photo fournie par Jacinthe Lessard

Une chambre entièrement meublée en IKEA pour une exposition de Jacinthe Lessard.