Le moins qu'on puisse dire, c'est que Roger Greffard ne fait pas les choses à moitié - ni comme tout le monde. Quand il a ouvert sa première boutique de lampes, c'était dans le Village, à une époque où les antiquaires et les brocanteurs n'avaient pas encore investi la rue Amherst. «Les gens ne comprenaient pas ce que je faisais là. On va dire que, pour certains gais, "allumeur", ça ne voulait pas dire la même chose que pour moi!», dit-il en riant.

Au bout d'un moment, il s'est lassé et a fermé son commerce. Mais la jolie enseigne de L'Allumeur, qui rappelle le personnage éponyme de Saint-Exupéry, ne devait pas s'éteindre bien longtemps.

«J'ai travaillé pour d'autres pendant un temps, mais le goût d'avoir mon propre commerce m'a repris. Je suis un homme d'affaires, en fin de compte.»

Homme d'affaires, certes, mais toujours un peu à contre-courant (ce qui n'est pas rien pour un lampiste!), il a choisi de s'établir rue Notre-Dame alors que tous les antiquaires qui s'y alignaient autrefois avaient plié bagage. «J'ai loué ce local en 2010. Je m'en souviens parce que c'est l'année où Chicago a gagné la Coupe Stanley pour la première fois depuis 49 ans!», dit-il avec un petit sourire.

Somptueux lustres

Difficile de deviner que, il y a seulement sept ans, le local de L'Allumeur était aussi vide et lisse qu'une patinoire un jour de pluie. Aujourd'hui, du sol au plafond, la boutique ruisselle et foisonne de somptueux lustres de cristal aux pendeloques tintinnabulantes, de torchères rococo, de luminaires futuristes aux allures de Spoutnik, de lampes de sanctuaire arrachées à leur église, de plafonniers Art déco, tous soigneusement bichonnés et remis en état de marche par notre lampiste.

Au sous-sol, dans ce qui semble un inextricable fouillis, des centaines (des milliers?) de pièces attendent d'être restaurées ou recyclées. Le long de l'escalier sont pendues des chaînes de suspension de toutes longueurs et factures. Des globes sont alignés dans une étagère, des abat-jour s'empilent dans les coins. Mais ce désordre n'est qu'apparent. Roger Greffard connaît son stock sur le bout des doigts et peut vous dégoter en moins de deux l'applique ou la poulie qui vous manque, ou encore une lampe kitsch qui dépassera en délire vos rêves les plus fous. 

Il garde même, «un peu cachés» dans la salle de bains, trois ravissants plafonniers Art déco en verre givré rose tendre. «Je ne suis pas prêt à les vendre», concède-t-il d'un air presque gêné. Qu'on le veuille ou non, on est toujours un peu collectionneur quand on fait ce métier, et on se prend d'une réelle affection pour certaines pièces. Ainsi, Roger Greffard aime particulièrement ce spectaculaire lustre de cristal qui brille de mille feux au milieu du magasin. «C'est une vraie splendeur, dit-il en faisant doucement tinter les pendeloques. Écoute ce son-là!»

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Difficile de deviner que, il y a seulement sept ans, le local de L'Allumeur était aussi vide et lisse qu'une patinoire un jour de pluie.

Du moderne dans un vieux

Mais où trouve-t-il tous ces trésors?

Bien souvent, ce sont des particuliers qui les lui vendent. «Ils disent que la maison qu'ils viennent d'acheter est assez vieille comme ça et qu'ils veulent du moderne! Je ne comprendrai jamais les gens, s'insurge Roger Greffard. Ils achètent de superbes maisons plus que centenaires, et ils enlèvent les luminaires d'origine pour les remplacer par des cochonneries achetées dans une grande surface. C'est un crime!» 

S'il est vrai que cela constitue une partie de son fonds de commerce, il aimerait bien que les Québécois se soucient un peu plus de patrimoine et de durabilité.

«Quand on me confie une lampe récente à réparer, même si elle a été payée très cher, la plupart du temps, je ne peux rien faire. Ces objets sont conçus non seulement pour briser, mais aussi pour qu'on ne puisse pas les réparer.»

À l'ère du jetable, il serait peut-être temps de jeter sur nos «vieilleries» un éclairage différent?

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L'Allumeur, 1904, rue Notre-Dame Ouest, Montréal, 514 991-6721, http://lallumeur.com

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Bien souvent, ce sont des particuliers qui vendent à Roger Greffard les pièces qu'on trouve dans sa boutique.