La cuisinière à bois a longtemps été le coeur de nos maisons, avec sa présence imposante et sa généreuse chaleur. Aujourd'hui, elle communique toujours son ardeur dans de nombreux chalets ou résidences de campagne, où elle apportera son lot de réconfort pendant les Fêtes. Petit survol d'une histoire encore bien vivante.

Par nostalgie plus que par nécessité, le traditionnel « poêle » à bois a survécu à l'épreuve du temps. Autrefois moteur d'une industrie florissante, sa mémoire est gardée en vie par une poignée d'artisans. Mais quelques entreprises ont recommencé à produire des cuisinières toutes neuves. Petit tour d'horizon du passé, du présent et de l'avenir de ce meuble, autour duquel les plus chanceux se réchaufferont ce Noël.

COMME À L'ÉPOQUE

Parmi les centaines de modèles de cuisinières à bois fabriquées au Québec au début du XXe siècle, le luxueux Royal de Bélanger était l'un des plus prisés. Depuis 12 ans, les Poêles à bois Blais, de Berthier-sur-Mer, en fabriquent des répliques rigoureusement exactes. « Le Royal, c'est l'un des plus beaux poêles que Bélanger a faits, explique le président, Adrien Blais. Les gens qui en ont les gardent. On s'est dit qu'on pourrait en faire. » Quand Bélanger a cessé la production de cuisinières à bois, en 1967, elle a cédé les moules de ses principales pièces à un commerçant voisin, à Montmagny. Quand ce dernier a fermé à son tour, ce sont les frères Adrien et Gérard Blais qui ont pris la relève. « On est huit ou neuf à travailler à temps plein, on construit ainsi une bonne vingtaine de répliques de Royal par année, affirme M. Blais. Et on restaure environ 200 poêles usagés. Ça ne lâche pas ! »

8800 $

C'est le prix d'une réplique neuve de cuisinière Royal tout équipée avec réservoir, « la Cadillac des poêles à bois », selon Adrien Blais.

LES PIONNIERS

BÉLANGER

Bélanger est certainement le plus connu des fabricants de poêles à bois du Québec. Fondée en 1867 à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, la fonderie déménage à Montmagny en 1872 et c'est à ce moment-là qu'elle commence la fabrication de cuisinières à bois. L'entreprise se tourne vers les cuisinières électriques et combinées au milieu des années 50. Elle fermera ses portes en 2004, après avoir été successivement rachetée par Admiral et Whirlpool.

P.T. LÉGARÉ

Véritable empire commercial au Québec au début du XXe siècle, l'entreprise P.T. Légaré se met à la fabrication de cuisinières à bois en 1916, après avoir fait l'achat de la Percival Plow and Stove Company Limited, située à Merrickville, près d'Ottawa. À son apogée, la manufacture produit annuellement des milliers de poêles, vendus dans ses 4 grands magasins et 25 succursales par 1325 représentants locaux.

L'ISLET

Les derniers poêles à bois fabriqués par les trois principales entreprises de la province sortent de la fonderie L'Islet en 1970. Bien que l'entreprise ait vendu des milliers de modèles résidentiels, sa spécialité était la fabrication de poêles à grand rendement destinés aux hôtels, aux communautés religieuses et aux camps forestiers.

RÉPLIQUE CANADIENNE

Construites près d'Ottawa, les cuisinières Findlay étaient aussi très présentes dans les cuisines du Québec à l'époque. L'entreprise a fermé ses portes en 1974, après 110 ans d'activité, mais ses poêles ont été ressuscités par les deux sociétés qui ont successivement pris la relève de la famille Findlay. Ainsi, la marque Heartland, désormais sous l'égide de l'américaine Aga Marvel, produit des cuisinières Findlay Oval identiques aux originales, alors qu'Elmira Stove Works s'est aussi inspirée du design original pour ses cuisinières Fireview.

AU GOÛT DU JOUR

Certaines entreprises québécoises ont aussi flairé la demande et proposent des cuisinières à bois toutes neuves. C'est le cas de la multinationale SBI avec son modèle Drolet Outback Chef, mais aussi de J.A. Roby, seul fabricant nord-américain à offrir des cuisinières répondant déjà aux normes de l'Environmental Protection Agency (EPA) qui doivent entrer en vigueur en 2023. Ce sont donc les seules cuisinières qui peuvent être utilisées actuellement à Montréal. Selon le directeur des ventes Dany Brousseau, J.A. Roby vend 1200 cuisinières par an et affiche une croissance moyenne de 12 % dans ce créneau. « Les gens qui veulent un poêle à bois pour économiser de l'énergie apprécient pouvoir aussi l'utiliser pour cuisiner en cas de panne de courant, soutient M. Brousseau. Et ils consomment 30 % moins de bois que les autres. »

NORMES

À Montréal, tout poêle à bois ou cuisinière qui a un taux d'émission de particules fines supérieur à 2,5 g/h est interdit. Ailleurs au Québec, la réglementation ne concerne pas les cuisinières à bois jusqu'au 1er septembre 2019, après quoi elles devront répondre aux normes américaines de l'EPA. Or, depuis la révision de mai 2015, l'EPA a choisi de soustraire les cuisinières des standards d'émissions exigés des poêles à bois. 

MODE D'EMPLOI

Toutes les cuisinières s'allument de la même façon : il faut d'abord chauffer la cheminée en ouvrant grand la trappe d'évacuation située sur le dessus. Après une quinzaine de minutes, le poêle est chaud. On peut alors fermer la trappe, ce qui redirige la fumée autour du four. On met au moins une heure pour que le four atteigne une température de cuisson. Il faut être patient pour maîtriser la cuisson au four d'une cuisinière à bois. « C'est de l'essai-erreur, avertit René Fréchette, des Poêles d'antan. Des gâteaux brûlés, faut que tu sois prêt à en manger quelques-uns ! »

Sources : Répertoire du patrimoine culturel du Québec, INRS, Dictionnaire biographique du Canada

PHOTO LA PRESSE

Publicité de cuisinières à bois de P.T. Légaré tirée de La Presse du 6 septembre 1921

La passion du feu de bois

« J'ai toujours pensé que les passions, ça se développe, et c'est ce qui m'est arrivé. Les cuisinières à bois, c'est beau, c'est chaleureux. Quand tu prends une épave et que tu la restaures à neuf, c'est vraiment valorisant. »

Dans le réservoir de l'une des cuisinières exposées dans le petit bureau des Poêles d'antan, à Saint-Wenceslas, au sud-est de Trois-Rivières, René Fréchette laisse une photocopie qui montre l'état dans lequel se trouvait l'appareil avant qu'il en fasse la restauration complète. « Comment tu peux ne pas trouver ça valorisant ? », nous demande l'artisan, le regard pétillant. 

Cette cuisinière, qui apparaît dans la plus récente publicité télé de la Société de l'assurance automobile du Québec, figure parmi la demi-douzaine que M. Fréchette a récemment restaurée pour la vente. Mais il en possède une soixantaine d'autres qui peuvent être remises à neuf au goût des clients.

L'entrepreneur effectue trois ou quatre restaurations complètes par mois ; le délai de livraison est d'environ six mois pour les projets les plus ambitieux. Et il insiste pour rencontrer chacun de ses clients. 

« Il faut gagner la confiance des gens parce que l'achat d'une cuisinière au bois est toujours émotif, ça touche les sentiments, affirme René Fréchette. Et il faut être prudent avec les clients qui ont des coups de coeur. J'aime mieux laisser un bon souvenir que de précipiter les choses. De toute façon, j'ai de l'ouvrage en masse ! »

SOUCI D'AUTHENTICITÉ

Dans l'entrepôt étriqué des Poêles d'antan s'entassent plusieurs milliers de pièces usagées recueillies au fil des 20 dernières années. René Fréchette dispose aussi de centaines de composantes neuves, forgées pour la plupart à partir des moules originaux des cuisinières les plus populaires. 

« J'ai certainement de 400 à 500 variétés de pièces neuves, affirme-t-il. C'est nécessaire qu'elles soient comme à l'origine pour que ce soit parfaitement sécuritaire. Après tout, une cuisinière, c'est une véritable boîte à feu ! »

À l'aspect sécuritaire s'ajoute le souci d'authenticité. « Quand je vois un poêle monté avec des vis à tête carrée, ça me dérange parce que ça n'existait pas avant la Deuxième Guerre mondiale, regrette M. Fréchette. Chaque projet est unique. Il y a des pièces rares, certaines que l'on doit conserver authentiques et qui peuvent coûter cher. »

« Mais après tout, ce sont des appareils qui ont 100 ans, et je les restaure pour qu'ils durent 100 ans de plus ! »

- René Fréchette

René Fréchette ne sera évidemment pas là en 2117. Mais pas question de ranger ses outils de sitôt. « Mon fils de 30 ans me donne un bon coup de main et j'aimerais bien qu'il prenne la relève, surtout que c'est difficile de former de nouveaux employés. Mais il est mécanicien et son patron songe aussi à lui céder son garage. Il est donc devant un beau dilemme, révèle l'homme de 60 ans, lucide. Mais pour l'instant, j'ai encore le goût. Le matin où je vais me lever et que je n'aimerai plus ça, je vais arrêter. Mais restaurer des poêles à bois n'est pas encore un travail pour moi, alors on continue ! »

7000 $

C'est le prix de la restauration complète d'une cuisinière luxueuse quand on doit notamment refaire les tôles du four et du réservoir, les pièces de fonte de la surface de cuisson et quand on applique du chrome neuf.

Photo Martin Chamberland, La Presse

René Fréchette a acheté plusieurs moules de pièces originales notamment à l'occasion d'encans organisés à la fermeture de fonderies qui avaient collaboré avec les fabricants originaux de cuisinières à bois.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Les cuisinières les plus luxueuses étaient assemblées avec des dosserets en carreaux de céramique. René Fréchette a mis la main sur un lot complet auprès d'un collectionneur qui est subitement décédé. « J'en ai 2000 à 3000, de près de 80 modèles différents », affirme-t-il.