Il est des termes plus galvaudés que d'autres et l'ébénisterie, particulièrement au Québec, n'y échappe pas. Comme c'est un métier non enclavé par un ordre ou un quelconque regroupement, quiconque peut s'improviser ébéniste et s'afficher comme tel. Conséquence : aujourd'hui, dans l'esprit d'une majorité, le métier d'ébéniste englobe maintenant la totalité des personnes fabriquant des objets meublants, allant du meuble-lavabo de salle de bains au mobilier haut de gamme fabriqué dans les plus pures règles de l'art. Il a pourtant été un temps où l'on différenciait toutes ces particularités.

Un peu d'histoire, s'il vous plaît!

Nos ancêtres français, au Moyen Âge, régissent les métiers par l'intermédiaire de corporations, à savoir l'équivalent de nos ordres professionnels actuels. Le travail du bois se limite alors à la charpenterie, aux chariots, aux huisseries, etc., et à quelques rares meubles, fort rustiques d'ailleurs. Jusqu'aux environs du XVe siècle, ces professions étaient regroupées sous une même corporation, celle des charpentiers. On distingue à l'intérieur de celle-ci deux grands groupes : celui des charpentiers à grande cognée, dédié à l'ossature des maisons, et celui des charpentiers à petite cognée, dédié aux ouvrages plus menus. Mais, bientôt, les intérieurs se raffinant et les meubles pareillement, on crée la corporation des menuisiers, terme signifiant «ouvriers travaillant à de menus ouvrages», à savoir les meubles, bien sûr, mais aussi les boiseries intérieures, les huisseries, les parquets, etc.

 

Vers la Renaissance, on importe de plus en plus d'essences de bois étrangères. Ces bois offrent une panoplie de couleurs - le rouge vif, le violet, le noir, etc. On utilise d'abord ces bois pour de petits objets, ensuite pour des meubles, puis, certains artisans développent une technique consistant à plaquer des feuilles d'ébène directement sur un meuble fait d'une essence meilleur marché, ce qui baisse considérablement le coût des matières premières. On appellera bientôt ces artisans des «menuisiers en ébène» puis, pour simplifier, des «ébénistes». Vers la fin du XVIIIe siècle, ce terme englobera tous les artisans fabriquant des meubles plaqués et constituera une branche de la corporation des menuisiers. Toutes les monarchies de l'époque se meublèrent alors de meubles d'ébénisterie.

Selon ces deux appellations - menuiserie et ébénisterie - on distingue donc les meubles d'ébénisterie - faits de bois massifs replaqués - et les meubles de menuiserie, faits uniquement de bois massifs. À titre d'exemple, le patrimoine mobilier québécois du Régime français ne compte en quasi-totalité que des meubles de menuiserie. Normal : l'aristocratie se faisait rare et la plupart des lieux où elle habitait - Louisbourg ou le Château Saint-Louis, pour ne nommer que ceux-là - ont été rayés de la carte avec tout ce qui s'y trouvait.

En France, encore aujourd'hui, on fait cette distinction entre un meuble fait uniquement de bois massif et un meuble plaqué. On fait aussi la distinction avec les meubles disons «architecturaux» telles les armoires de cuisine et de salle de bains par le terme «agencement» ou «meubles d'agencement», des meubles nécessairement liés à l'utilisation des panneaux de particules, du MDF et d'autres matériaux, utilisation qui ne nécessite pas la diversité et la masse de connaissances nécessaires pour faire un meuble d'assemblages de type menuiserie ou ébénisterie.

Partant de l'origine de ces termes, il est clair que les «ébénistes» sont rares, pour ne pas dire inexistants au Québec, qu'il y a beaucoup de «menuisiers en meubles» et que la quasi-totalité des personnes fabriquant du meuble sont en fait des «agenceurs».

Dans la vie de tous les jours, on touche du bois pour appeler la chance. Dans cette rubrique, on le touchera pour en faire des meubles et d'autres objets délicats et ornés. «Toucher du bois», c'est entrer dans le sillage de l'ébénisterie. À partir des rudiments. Cela, avec le concours de deux ébénistes et professeurs d'ébénisterie à l'école Artebois, rue de la Concorde, à Québec. L'un, Éric Thériault, est spécialisé en sculpture d'ornementation; l'autre, Pierre Pagé, en finition.

Des questions?

Écrivez aux auteurs à : maison@lesoleil.com