Louis Joseph Papineau est une grosse pointure de l'architecture québécoise. Avec ses associés, il a modernisée le paysage des années 60 et 70 avec le pavillon du Québec à l'Expo 67, la station de métro Peel et l'aérogare de Mirabel. Aujourd'hui, cet adepte du minimalisme architectural -qui a signé plusieurs maisons- nous ouvre les portes de son appartement à l'Île-des-Soeurs, dont il a conçu l'aménagement.

Louis Joseph Papineau est une grosse pointure de l'architecture québécoise. Avec ses associés, il a modernisée le paysage des années 60 et 70 avec le pavillon du Québec à l'Expo 67, la station de métro Peel et l'aérogare de Mirabel. Aujourd'hui, cet adepte du minimalisme architectural -qui a signé plusieurs maisons- nous ouvre les portes de son appartement à l'Île-des-Soeurs, dont il a conçu l'aménagement.

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 Dans le milieu, Louis Joseph Papineau est réputé pour sa rigueur, son perfectionnisme et son amour de la simplicité achevée. Je m'attendais donc à découvrir un laboratoire aseptisé lorsqu'il m'a ouvert la porte de son appartement en copropriété. Erreur. L'endroit (environ 1000 pieds carrés) ressemble plutôt à un cocon baigné de sérénité. Mieux, en soirée, l'éclairage intérieur bien pensé magnifie les meubles et les murs lactés.

Certes le design est strict et les formes contrôlées. N'empêche, l'architecte prouve qu'un aménagement minimaliste peut être convivial, chaleureux et, surtout, confortable. Mieux, il n'est pas réservé qu'aux riches.

«En architecture, le respect d'un budget est une chose importante et je prêche par l'exemple», avoue l'homme menu tout de noir vêtu. Signe distinctif: il chausse des baskets Puma au design branché.

Louis Joseph Papineau est vif et toujours convoité. Il a encore plusieurs clients et manie les logiciels de modélisation 3D.

Vous semblez très en forme, quel âge avez-vous? lui ai-je demandé. Il m'a répondu par une colle. «Cherchez l'année de naissance de Clint Eastwood et vous connaîtrez la mienne», a-t-il laissé tomber, sourire en coin. Réponse: 1930.

Revenons à l'appartement.

L'architecte a acheté une coquille vide, au sein d'une des tours à condos de l'Île-des-Soeurs. Acquérir un logement à l'état brut n'est pas une pratique courante dans le milieu résidentiel. «C'est grâce à mon fils, vice-président chez Proment, que j'ai pu y arriver», admet-il. Les travaux ont duré six mois et c'est en mai 2001 que le concepteur et sa compagne ont pu emménager.

Le blanc, couleur «vivante»

La première chose qui frappe en entrant dans l'appartement est l'omniprésence du blanc. Un blanc pur, non teinté. Il couvre le béton apparent, les plafonds suspendus et le gypse des murs. Mais le blanc un peu trop «clinique» peut refroidir l'ambiance d'une pièce, non? «Pas du tout! Le blanc prend la couleur du ciel et, surtout, il réfléchit la lumière à 100%», souligne l'architecte.

Il me présente un livre: Thirty Colors. L'architecte Richard Meier y présente ses bâtiments immaculés qui, selon l'heure du jour, passent du bleu, au rose, au jaune, etc.

Autre avantage du blanc: comme le noir, il se marie avec tout.

«C'est avec des oeuvres d'art et la lumière que je réchauffe mon intérieur», ajoute-t-il.

Lumière naturelle et artificielle

«L'éclairage naturel et artificiel demeure le plus important des matériaux», croit Louis Joseph Papineau. Malheureusement, déplore-t-il, bien des gens se contentent d'une suspension dans la salle à manger et de quelques lampes de table. Le résultat est des plus banals. «Il est primordial de planifier l'éclairage résidentiel. Ainsi, il est préférable d'éviter d'exposer les sources lumineuses, comme les lampes à halogène ou les tubes fluorescents.»

Dans son condo, l'architecte a positionné 20 encastrés dirigeables pour, notamment, bien éclairer l'îlot et le rangement longeant le podium de la chambre principale. Même les plantes du salon ont droit à leur halogène...

Revenons à la chambre principale. Solution futée: deux encastrés ont été installés au-dessus du lit. «Comme dans un avion, il est possible d'obtenir de l'éclairage pour soi sans importuner son conjoint», explique Louis Joseph Papineau.

De par leur design, ces encastrés (signés Lithonia) offrent un gros avantage: ils sont dotés d'une petite ouverture permettant de camoufler les lampes à halogène (MR16). Seul le flot de lumière est visible.

L'éclairage indirect est également exploité. Dans la cuisine, un mince tube fluorescent (T5) a été posé dans la niche dominant la plaque de cuisson. Du côté de la chambre, un autre tube fluorescent (un T8, cette fois) permet d'illuminer le mur et, surtout, de mettre en relief une tapisserie signée Mariette Rousseau-Vermette.

Enfin, il peut paraître étrange qu'un architecte choisisse un appartement dont les fenêtres sont orientées au nord. Tout le monde répète qu'il est préférable d'avoir des fenêtres au sud ou au sud-ouest, pour le coucher du soleil.

«J'adore cette orientation franc nord, car ce que je vois à l'extérieur est toujours très bien éclairé, insiste l'architecte. Sans compter que je ne subis jamais de surchauffe, l'été, alors que mes voisins orientés au sud vivent pratiquement les stores fermés», explique-t-il.

Matériaux pauvres, espaces riches

«Même si un matériau est très coûteux, seul un bon design lui donne de la valeur», fait remarquer le spécialiste. Sans compter que l'architecte minimaliste qui se respecte (!) choisit des matériaux industriels ou manufacturés.

Conséquence? Tous les placards de rangement de l'appartement de M. Papineau sont en mélamine blanche. «J'aurais préféré des panneaux laqués, mais la mélamine, bien abordable, me satisfait», dit-il.

Ce mobilier blanc a été méticuleusement dessiné par l'architecte. Tout y est mathématiquement cohérent. À preuve, les dimensions des 13 panneaux du long rangement bas sont formées de multiples de quatre. Ainsi, chaque panneau fait 16 pouces sur 16 pouces. Une distance de huit pouces les sépare du plancher. Ce long mobilier est surmonté d'un rangement (donnant sur la salle de bains). Ce dernier est composé de quatre modules de 16 pouces sur 16 pouces. Seule amélioration à apporter: «J'aurais dû augmenter le nombre de tiroirs car, contrairement aux armoires, ils sont faciles d'accès», note le concepteur.

Les panneaux de particules laminés (mélamine blanche) sont présents dans les trois espaces de vie, la cuisine, la salle à manger et le salon. Ainsi, une continuité visuelle est assurée. Quant au plan de travail de l'îlot, il est tapissé de stratifié blanc (Arborite).

Expérience spatiale

Étonnamment, la chambre principale a été surélevée à 60 cm du sol. Elle forme ainsi un podium. Dans cette pièce, un plafond suspendu a été créé afin de cacher la mécanique et contenir des encastrés, ceux-ci ne pouvant être installés dans le plafond de béton. Résultat? La hauteur «réelle» du plafond de la chambre principale n'est que de sept pieds (2,1 m).

Des panneaux de toile translucide peuvent être tirés afin de séparer cette pièce de la cuisine. À noter, aucune marche ne permet d'accéder aisément à la chambre, lorsqu'on se trouve dans la salle à manger.

Comment justifier un tel aménagement?

«D'abord, j'ai réalisé un podium et refusé d'y aménager des marches, car je désirais qu'une séparation psychologique se produise entre les deux espaces, explique Louis Joseph Papineau. Mais surtout, cette installation nous force à faire le tour de la salle de bains pour se rendre à la chambre. Cette expérience spatiale donne l'impression que l'appartement est plus grand.»

Quant à la hauteur modeste du plafond, l'architecte précise qu'un effet enveloppant, propice à la chambre, est ainsi donné.

L'art d'agrandir sans agrandir...

Bien des éléments architecturaux «invisibles» font paraître un logement plus spacieux.

Parmi ceux-ci, il y a la création de cloisons ne touchant pas au plafond. Ainsi, ce dernier se transforme en plan libre. Autre astuce: la diminution du nombre de portes à charnières intérieures. «Mon condo devait en comporter six, selon les plans du constructeur, mais je n'en ai installé qu'une, celle du cabinet de toilette», termine le copropriétaire.

Un architecte moderne

 On lui a posé la question 100 fois: êtes-vous un descendant du célèbre Louis Joseph Papineau, l'un des instigateurs de la rébellion de 1837? «Je suis de la lignée de son frère, Denis-Benjamin», précise l'architecte qui, avec ses associés des années 60, a marqué le paysage architectural québécois.

 Avec la collaboration de Luc Durand, l'agence Papineau Gérin-Lajoie Le Blanc, une des plus cotées de l'époque, a réalisé le célèbre pavillon du Québec d'Expo 67. Autre bâtiment connu? L'agence a conçu la Résidence des filles de l'Université de Montréal en 1962. «À l'époque, on s'était battu avec acharnement pour que le béton apparent de cet édifice ne soit pas couvert de brique», révèle Louis Joseph Papineau. La station de métro Peel (1965) fut son premier projet de grande envergure. Il a d'ailleurs été récompensé pour cette réalisation qui fut l'une des premières stations à faire une grande place aux oeuvres d'art.

 «On avait reçu des plans de la Ville de Montréal, mais on les a complètement transformés», ajoute-t-il.

 L'agence très convoitée signe d'autres pavillons de l'Exposition universelle: celui de Monaco et du Canadien National. Quant au pavillon de l'Italie, l'agence réalisera les plans d'exécution du bâtiment, ainsi que la surveillance du chantier. Parmi les autres mandats, il y a la conception de la station de métro Radisson et l'aérogare de Mirabel.

 La rencontre d'un gourou

 Louis Joseph Papineau a étudié l'architecture à l'Université McGill. C'est à cette époque qu'il attrape la piqûre pour l'architecture moderne et, surtout, qu'il rencontre un gourou: Philip Johnson. «Lors de ma cinquième année d'étude en architecture, des collègues et moi avons invité le grand architecte américain à donner une conférence à l'université. Il est venu, sans hésiter, rappelle Louis Joseph Papineau. L'année suivante, en février, ajoute-t-il, nous nous sommes rendus (nous étions 12 étudiants dans deux voitures) à New Canaan, dans l'État du Connecticut, voir sa fameuse maison de verre Glass House. Cette journée m'a profondément marqué», confie-t-il.

 L'autre grand nom de la modernité qui a influencé le Montréalais est sans contredit Mies van der Rohe.

 «Louis Joseph Papineau a mis notre architecture québécoise à niveau, car il était au courant de ce qui se faisait ailleurs, notamment aux États-Unis», renchérit Louis Martin, professeur d'histoire de l'architecture au département de l'histoire de l'art, à l'UQAM.

 La construction d'une maison culte

 En mars 1964, Louis Joseph Papineau termine la construction de sa résidence, dans l'île Verte, à Laval. Caractéristique hors du commun: elle évoque notamment la Glass House, car ses deux façades (avant et arrière) sont complètement vitrées. À l'extérieur, les fondations sont en pierres des champs. Au sous-sol, des fenêtres pleine hauteur illuminent la salle familiale.

 Même si Louis Joseph Papineau ne l'habite plus, cette résidence (dite Papineau) est considérée comme une icône de l'architecture des années 60 et fait encore vibrer de nombreux architectes. D'ailleurs, le diplôme d'études supérieures de Marc-André Plourde, architecte de formation et professeur en technologie de l'architecture au cégep du Vieux-Montréal, porte sur la résidence Papineau.

 Richard Langford, architecte et chargé de formation pratique à l'École d'architecture de l'Université de Montréal, partage le même engouement. «La composition de cette habitation est à la fois claire et très inspirée, soutient-il. Surtout, elle paraît toujours aussi moderne, 40 ans après sa construction.»

Points de vue

 Louis Joseph Papineau possède une manie: remettre en question les acquis. Conséquence? Il tente de trouver de nouvelles solutions à certaines habitudes courantes d'aménagement. Voici six éléments qui, selon l'architecte, peuvent être améliorés ou reconsidérés.

 1. Sous-sol peu invitant

 «Dans une habitation, le sous-sol est le volume qui coûte le plus cher au pied carré, calcule l'architecte. Malheureusement, il n'est pas soigneusement planifié. Quel gaspillage d'espace! soupire-t-il. Je me suis juré qu'il n'y aurait jamais de sous-sols dans mes maisons, mais plutôt des niveaux inférieurs invitants», ajoute-t-il. Il a par ailleurs aménagé de larges fenêtres pleine hauteur dans les fondations de son ancienne résidence de l'île Verte (Laval), au niveau de la salle familiale. Résultat: l'effet «sous-sol-sombre-et-déprimant» a été annulé. «Il faut toutefois s'assurer que les ouvertures, notamment, soient structurellement solides», précise-t-il.

 2. Escalier à pente prononcée

 Par souci d'économie d'espace, bien des constructeurs de maisons réalisent des escaliers composés de contremarches élevées et de marches peu profondes. En raison de sa pente plutôt accentuée, il peut être fatiguant de monter et descendre quotidiennement un tel escalier. «J'ai toujours construit des escaliers à pente douce dont les marches ont un pied (30 cm) de profondeur (ou giron) et six pouces (15 cm) de hauteur, explique Louis Joseph Papineau. J'ai découvert que ce rapport était confortable pour l'usager», dit-il. En prime, un effet d'opulence est donné à la cage d'escalier, un espace trop souvent négligé.

 3. Moulures et quart-de-ronds

 Louis Joseph Papineau les a toujours évités. «Ils servent à cacher les défauts du gypse mal posé», soutient-il. À la place, il préfère opter pour des joints métalliques. «La première chose que je regarde en découvrant une nouvelle maison, c'est la beauté du joint entre le mur et le plancher», dit-il. Toutefois, bien des ouvriers n'ont pas l'habitude de les installer, car trop peu de designers les demandent dans le milieu de la construction.

 4. Porte-fenêtre standard

 Pourquoi ne pas la remplacer par une porte vitrée flanquée d'un fenêtre pleine hauteur, suggère l'architecte.

 5. Cloisons mal exploitées

 Pourquoi les cloisons ne serviraient-elles qu'à séparer visuellement les espaces? D'abord, elles peuvent comporter du rangement intégré. Ensuite, elles peuvent créer un effet d'agrandissement. Comment? En n'atteignant pas le plafond. Celui-ci se transforme alors en plan lisse.

 6. Prises électriques

 Elles sont incontournables, mais peuvent «briser» la beauté d'une belle grande surface. Si possible, vaut mieux les camoufler. «J'ai deux prises électriques sous le plan de travail en porte-à-faux de ma cuisine», explique M. Papineau.

 

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Dans le milieu, Louis Joseph Papineau est réputé pour sa rigueur, son perfectionnisme et son amour de la simplicité achevée.