Ronald Chabot n'a pas besoin de drogue et ne rêve pas de passer ses hivers en Floride. Son plaisir, il le prend à «réviser et à visualiser régulièrement» ses caisses, qui contiennent les millions d'objets de ses mille et une collections. «Je n'aurai jamais mal à l'âme», dit-il.

Ronald Chabot n'a pas besoin de drogue et ne rêve pas de passer ses hivers en Floride. Son plaisir, il le prend à «réviser et à visualiser régulièrement» ses caisses, qui contiennent les millions d'objets de ses mille et une collections. «Je n'aurai jamais mal à l'âme», dit-il.

Des thermomètres, des jeux de cartes, des harmonicas, des peignes, des missels, des médailles, des catalogues, des photos de religieuses, des chapelets, des crochets de cordonniers, des feuilles de musique, des bulletins paroissiaux. «Avez-vous des certificats miniers?» lui demande le photographe. Ronald Chabot recule d'un pas, tasse une boîte, étire le bras et brandit, en moins de cinq secondes, un document authentique tout jauni.

Il travaille dans le pavage, ce qui lui laisse beaucoup de liberté durant l'hiver pour se consacrer à son passe-temps. Ça fait 40 ans qu'il accumule les vieux objets. Le sous-sol de sa maison de Lévis ressemble à un jour de déménagement. Il y a des boîtes partout, partout, partout. À moitié ouvertes, en piles, à terre, sur des chaises. Et ce n'est là qu'une infime partie des trésors qu'il conserve dans d'autres maisons, d'autres entrepôts, ou qu'il prête à des musées.

Ronald Chabot règne sur ce capharnaüm avec la satisfaction d'un mycologue dans une talle de girolles. «J'ai perdu le contrôle», convient-il calmement. Il peut encore trouver sur demande à peu près n'importe quelle babiole. Mais c'est par hasard qu'il a remis la main sur un carnet d'adresses qui s'était glissé (!) dans une montagne de vieilles photos sépia de bonnes soeurs en cornettes.

Précieux catalogues

La source de cet encombrement? «J'avais prêté des catalogues à Michel Lessard, et il me les a rendus pêle-mêle», explique Ronald Chabot, qui a collaboré avec l'historien à sa Nouvelle encyclopédie des antiquités québécoises. Les catalogues en révèlent beaucoup sur les cultures et les époques. M. Chabot les collectionne depuis 15 ans.

Il ouvre une caisse, farfouille un peu, puis sort une merveille de son emballage plastifié : le premier catalogue du magasin montréalais Dupuis Frères, qui date de 1921. «Je l'ai acheté l'an dernier, à Saint-Alphonse-de-Rodriguez», nous apprend-il.

«Les gens se débarrassent vite de documents qui ont de la valeur, comme les cartes postales et les images religieuses, observe-t-il. Moi, je n'ai aucun problème de conscience à payer 5 $ dans un marché aux puces pour un objet qui en vaut 100 fois plus.»

Collectionner, c'est plus que d'acheter, d'échanger et d'accumuler. «Mes plus belles aventures d'achat sont celles des rencontres», confie-t-il. Quelle joie de savoir qu'un objet fera le bonheur d'une autre personne.

Ronald Chabot a parfois l'impression d'être choisi par l'objet ou d'en être l'héritier. Il donne l'exemple de cette luxueuse voiture jouet en acier (1930), qu'il a acquise d'un monsieur de 80 ans. La transaction ne s'est pas conclue en quelques minutes. Ronald Chabot a dû prouver qu'il la méritait. Elle figure en page 452 de la Nouvelle encyclopédie de Michel Lessard.

À 20 ans, Ronald Chabot était chauffeur de camion. Il croisait souvent des antiquaires au volant de leurs camionnettes et pressentait qu'ils déversaient leurs cargaisons aux États-Unis. «J'ai décidé que je sauverais quelques meubles», raconte-t-il.

Il s'est donc mis à cogner aux portes à l'improviste dans les campagnes. «Les gens n'étaient pas méfiants, j'avais le temps d'entrer dans leur bulle», poursuit-il. Il a commencé à acheter «de tout et de rien», sans rien connaître des antiquités. «Au fil des ans, j'ai développé une vision sélective et je me suis trouvé des champs de collection inusités. Les catalogues, par exemple.»

Les collections ont été l'école de Ronald Chabot. Il se dit sans culture, sans instruction. À 60 ans, pourtant, il est riche d'un bagage historique, sociologique et humain qui ne s'apprend pas à l'université. Les musées s'arrachent ses objets, ses meubles et son expertise. Sa conjointe tolère tout juste l'excentricité de son Ronald et ne met jamais les pieds dans son antre. «C'est ce qu'on appelle une veuve du collectionneur», philosophe-t-il.

 

Photo Raynald Lavoie, Le Soleil

Poêle à bois Royal de Bélanger, fabriqué en 1915.