Quatre retraités et un «jeune» dans la quarantaine sont en train de réaliser le rêve de tout ébéniste: fabriquer «un grand meuble». Entre septembre et décembre, ils auront passé près de 200 heures ensemble, dans le bran de scie, l'odeur de colle et le boucan de la machinerie de précision.

Quatre retraités et un «jeune» dans la quarantaine sont en train de réaliser le rêve de tout ébéniste: fabriquer «un grand meuble». Entre septembre et décembre, ils auront passé près de 200 heures ensemble, dans le bran de scie, l'odeur de colle et le boucan de la machinerie de précision.

 Ils symbolisent le succès de l'école d'ébénisterie Artebois, qui célébrait en septembre sa première année d'existence, avec des inscriptions qui ont plus que triplé en un an. Le jour, le soir et la fin de semaine, des hommes et des femmes, ébénistes amateurs, viennent y acquérir le b.a.-ba d'une activité qui se transforme vite en hobby.

 Des néophytes qui parfois n'avaient jamais touché à un 2 X 4 finissent leur première session avec une table à tenons et mortaises tout à fait présentable. «Trois cents tables sont sorties d'ici depuis un peu plus d'un an», précise Pierre Pagé, fondateur d'Artebois, menuisier depuis un quart de siècle et enseignant au Cégep Limoilou depuis 12 ans.

 Nos cinq compères ont dépassé, et de loin, le premier niveau. Chacun s'affaire, à raison de deux ou trois jours par semaine, à la fabrication d'une armoire Louis XV en noyer noir d'Amérique, une essence de bois très précieuse. «Même le dos et les tablettes sont en noyer massif», mentionne Pierre Pagé, qui supervise le groupe avec son collègue Éric Thériault.

 Les deux profs se sont si bien intégrés à leurs élèves qu'ils ont décidé de fabriquer leur propre armoire en même temps qu'eux.

 Russell Boulay, ancien administrateur à l'Institut national d'optique, en rêve depuis 30 ans, de son vieux meuble, en fait, depuis qu'il a vu Le discours de l'armoire, un documentaire de l'ONF des années 70.

Doigts coupés!

 Pierre Pagé le rabroue amicalement. Il y a longtemps qu'il ne montre plus à ses cégépiens ce classique de l'ébénisterie. «Dans le film, le gars avait des doigts coupés, raconte-t-il. À l'époque, on ne se préoccupait pas trop de sécurité.»

 L'armoire de Russell Boulay aura un fronton en forme de «chapeau de gendarme». «Ça, c'est 40 heures de plus, glisse Pierre Pagé. On a un Français dans le groupe qui est arrivé avec cette idée-là.» Ce Français, c'est Gérard Garnier, qui gagnait sa vie dans "le commerce", avant de bifurquer vers l'ébénisterie. «J'aime les courbes, moi», dit-il avec un clin d'oeil.

 Denis Rhéaume est de ceux qui n'ont jamais eu le temps de bricoler. À 56 ans, ce médecin de famille à la retraite s'est découvert un goût et des habiletés pour cet art qui requiert une précision chirurgicale. «Au début, tout est en pièces détachées, mentionne-t-il. Mais quand on voit le meuble fini, debout, c'est spécial.» Il y a de l'émotion, résume Pierre Pagé.

 Artebois a «mis le paquet» pour ces cinq hommes. «On a fabriqué des couteaux exprès pour eux», dit l'enseignant.

 Tenons et mortaises

 Ces armoires ne sont pas ordinaires. Inspirées de l'héritage du Régime français, assemblées à tenons et mortaises, avec leurs moulures refouillées, leurs portes à petit cadre avec coupe d'onglets, elles répondent aux critères de construction à l'ancienne.

 «Les femmes sont venues pour donner leur avis pour la couleur», mentionne Pierre Pagé. C'est dire que le travail progresse. Et que les armoires seront terminées à temps pour le Salon des artisans de Québec, à compter du 6 décembre. Artebois y aura son stand.

 

Photo Jean-Marie Villeneuve, Le Soleil

Chaque membre du groupe aura une armoire Louis XV en noyer noir d'Amérique, une essence très précieuse.