Avec la fin de l'été, les bouquets de fleurs séchées entrent dans les maisons. Longtemps restées dans l'ombre des plantes vertes, celles-ci font leur grand retour en semant au passage une poésie subtile. La Presse est allée à la rencontre de passionnés qui cultivent ce nouvel art du «slow flower».

Fibre décorative

Un brin bohèmes, faciles à vivre et délicates, les fleurs séchées s'offrent une seconde jeunesse. Fanées mais pas fades, elles sont l'accessoire décoratif de l'automne. Lumière sur une tendance en pleine éclosion au Québec.

Dans son atelier d'Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, Laurie Anne Perron a tendu des cordes aux murs auxquelles elle suspend des petits bouquets de fleurs avec précaution. Elle a répété l'exercice tout l'été au fur et à mesure des floraisons des espèces de son jardin à la campagne. Elle vend ses bouquets séchés, en ligne ou en boutique, comme des petits pains. «Les gens ont souvent associé les fleurs séchées à un passé démodé, mais les fleuristes parviennent aujourd'hui à créer des choses aimées de toutes les générations», observe-t-elle. La preuve? Les fleurs séchées rejoignent aujourd'hui les bouquets de mariée. Laurie Anne se réjouit d'ailleurs de ne vendre que des bouquets de fleurs séchées à la Saint-Valentin.

Chez Prune les fleurs, dans la boutique-concept MUST Société, à Griffintown, une échelle en bois est recouverte de roses séchées, et des bouquets «à emporter» attendent les amateurs. L'offre s'est un peu faite par hasard. «Quand j'ai ouvert cet espace, il y a deux ans, je n'avais pas prévu de vendre de fleurs séchées, mais au fil du temps, les gens nous en ont demandé», explique la propriétaire Nadine Jazouli.

La ferme Origine fleurs, à Saint-Joseph-du-Lac, des jeunes Clémence Rivard-Hiller et Evelyne Guindon, a, elle aussi, épousé cette nouvelle tendance avec intérêt. L'automne dernier, le café montréalais Le Butterblume l'a invitée à vendre dans son coin boutique des bouquets de fleurs et graminées séchés. Depuis, la demande des fleuristes et designers floraux a grandi, et Origine fleurs a intégré ces commandes bienvenues entre deux saisons dans sa production.

Décoration organique

L'image poussiéreuse des bouquets de grand-mères a cédé la place à des compositions sauvages et graphiques qui se prêtent à tous les décors. Grâce à Instagram, des fleuristes et stylistes sèment leurs idées aux quatre vents. «Les gens viennent souvent ici avec des photos de référence épinglées sur Instagram ou Pinterest», confirme Nadine Jazouli qui compte parmi sa clientèle beaucoup d'habitants de condos soucieux de compléter leur décoration avec une touche authentique. «Ils recherchent un élément végétal, dont ils n'auront pas besoin de s'occuper», confie-t-elle.

Pratiques, économiques et durables, les fleurs séchées répondent aussi à l'air du temps. «L'intérêt que nous avons remarqué pour celles-ci cet été rejoint celui pour les fibres naturelles (osier, rotin, bambou...) auquel on assiste au Québec», confie Elisheva San Nicolas, propriétaire de la boutique d'objets pour la maison montréalaise Coeur d'artichaut.

Pour mieux répondre à la demande, elle a créé un studio dans l'arrière-boutique où elle fait sécher les fleurs de ses bouquets. Elle est convaincue de l'apport bénéfique de celles-ci à un intérieur: «Avec leur côté fragile, elles amènent une douceur. Elles permettent aussi d'ajouter une couleur et une texture un peu comme les vases en verre ou les céramiques», illustre-t-elle.

Branches nues ou pampas dans une Marie-Jeanne, eucalyptus en couronnes ou dans un panier, rose dans une vieille bouteille ou une poterie délicate, composition suspendue à une branche ou sous cloche, herbier sous cadre... Les herbes et fleurs séchées colonisent maisons et appartements au hasard d'expérimentations en atelier ou maison. Une fleur sauvée du jardin ou d'un bouquet suffit à improviser une décoration et à prolonger l'été.

Photo Martin Chamberland, La Presse

La fleuriste compose des petits bouquets pour permettre une bonne ventilation et éviter de retrouver des fleurs pourries au coeur.

Bouquet d'hiver

Faire un bouquet de fleurs séchées est à la portée de tous à condition de respecter quelques règles de base. Laurie Anne Perron nous a reçus dans son atelier de Montréal pour nous livrer les ficelles du métier.

Séchage soigné

Laurie Anne choisit des fleurs suffisamment épanouies pour obtenir une grosseur intéressante avec laquelle travailler, car en séchant, celles-ci «rétrécissent». «Un bon accrochage, dans un endroit sec et si possible dans l'obscurité, pour mieux préserver les couleurs des fleurs, est le plus important», confie-t-elle. Dans son atelier d'Hochelaga-Maisonneuve, deux murs et une grande grille fixée au plafond sont garnis de petits bouquets de fleurs et d'herbes suspendus la tête à l'envers. 

Expérimenter

La fleuriste compose des petits bouquets pour permettre une bonne ventilation et éviter de retrouver des fleurs pourries au coeur. Si elle travaille avec des classiques comme le zinnia, le delphinium, l'hydrangée et l'immortelle, elle aime faire des essais avec des espèces moins connues. Le séchage peut prendre de deux jours à deux semaines en fonction de la variété. «La pivoine, avec ses multiples couches de pétales, peut mettre une bonne semaine à sécher», rapporte-t-elle. 

Variété

Au moment de composer un bouquet de fleurs séchées, Laurie Anne examine les couleurs, mais aussi les textures et les hauteurs de celles-ci. C'est pourquoi elle veille à avoir à sa disposition différentes espèces, ainsi que des graminées qui donnent un effet sauvage à l'ensemble. «C'est la variété qui fait la beauté d'un bouquet», estime-t-elle.

Ôter les feuilles

La fleuriste essaie en général d'enlever l'essentiel des feuilles des fleurs, qui se conservent plutôt mal, avant de procéder au séchage. Une fois ses petits bouquets de différentes variétés déliés et disposés sur le plan de travail, elle débarrasse celles-ci des petites feuilles en bas des tiges. 

Inspiration du moment

Au moment de créer un bouquet, Laurie Anne ne se fie qu'à son intuition. Elle assemble les tiges une à une en tenant l'ensemble face à elle. Elle aime ajouter une couleur vive, comme le jaune, pour apporter une chaleur à la composition, surtout l'automne et l'hiver.

Joli noeud

Lorsqu'elle obtient l'effet souhaité, la fleuriste dépose le bouquet sur le plan de travail, et l'entoure plusieurs fois de façon serrée avec une corde brute à laquelle elle fait un joli noeud floche. Elle coupe ensuite les longueurs superflues du cordage à l'aide d'un petit sécateur.

Tiges à la bonne hauteur

«Pour un effet esthétique réussi, il faut penser à couper les tiges du bouquet en fonction du vase dans lequel on compte mettre celui-ci», rappelle la fleuriste. Son astuce? Poser le vase au bord du plan de travail, et tenir le bouquet face à lui en fonction de la hauteur souhaitée. Les tiges et branchages sont ensuite coupés à l'aide d'un sécateur suffisamment puissant.

Longue vie

Un bouquet de fleurs séchées acheté ou confectionné l'automne devrait, normalement, traverser l'hiver et le printemps en beauté, le temps de pouvoir retrouver des fleurs fraîches, de préférence locales si on veut prolonger le geste durable, chez les fleuristes, sur le marché ou au jardin. On évitera néanmoins de le mettre devant une fenêtre où les fleurs risquent d'être exposées au soleil et donc de voir leurs couleurs pâlir. Certains branchages se conservent plus longtemps.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Laurie Anne choisit des fleurs suffisamment épanouies pour obtenir une grosseur intéressante avec laquelle travailler, car en séchant, celles-ci «rétrécissent».