Pardon? De la dentelle made in China à Bruges, l'une des villes qui se prétend à l'origine de la dentelle! «Personne n'est prêt à payer le prix», déplore Mme Ross, responsable des cours à la Guilde des dentellières de Québec.

Pardon? De la dentelle made in China à Bruges, l'une des villes qui se prétend à l'origine de la dentelle! «Personne n'est prêt à payer le prix», déplore Mme Ross, responsable des cours à la Guilde des dentellières de Québec.

Coussin de coton et de fil métallisé de Véronique Louppe

Cet art textile est le plus délicat. Fabriquer une pièce «au bord en forme de dents» prend des jours, des semaines. À la boutique La Dentellière du boulevard Champlain, un mininapperon fait aux fuseaux se vend 110 $. Imaginez une nappe, un chemin de table, une lampe ou des rideaux. Les quelques vraies dentelles offertes à la vente sont dans des présentoirs verrouillés.

Pourtant, on a l'impression qu'il y a de la dentelle partout dans nos maisons et sur nos vêtements. Ce ne sont que des ersatzs ajourés faits à la machine.

À la Maison Routhier, à Sainte-Foy, quelque 150 femmes ainsi que deux ou trois hommes de tous les âges, se réunissent chaque semaine pour suivre les cours de broderie et de dentelle, offerts par la Guilde des dentellières. «Les femmes nous arrivent après le travail, sur leur erre d'aller, à la course, les nerfs à fleur de peau, raconte Esther Ross. À 21 h 30, elles sont devenues toutes calmes.»

Véronique Louppe, à gauche, et son élève Francine Lefebvre, dans un cours de dentelle aux fuseaux.

Au fil des siècles, la dentelle a toujours été un moyen d'expression pour les femmes. Selon Esther Ross, il y a une réelle satisfaction à manipuler et avoir en main le produit de son travail. Aujourd'hui, le plaisir est décuplé en raison de l'amélioration de la technologie: les aiguilles ne plient pas, ne cassent pas, ne rouillent pas. «On fabrique des objets par pur plaisir, observe Esther Ross. On est plus perfectionniste qu'avant.»

Aux fuseaux

Si Esther Ross enseigne la dentelle à l'aiguille, Véronique Louppe, elle, est spécialiste de la dentelle aux fuseaux. «Cette technique n'a pas changé depuis le XVIIe siècle, mentionne-t-elle. Elle est restée rudimentaire.»

Fabriquer une pièce «au bord en forme de dents» prend des jours, des semaines.

Mme Louppe est la seule dentellière professionnelle reconnue par le Conseil des métiers d'art du Québec. Pour elle, la dentelle n'est pas un loisir, mais son «seul gagne-pain». Elle l'enseigne, elle fabrique des petits morceaux pour les boutiques et les salons, et elle crée des pièces uniques, telle cette oeuvre baptisée Envol, réalisée à l'occasion d'une recherche financée par le Conseil des arts et des lettres du Québec, et cette autre, Confidences, présentée à la Biennale du lin de Portneuf, l'été dernier.

À titre de «dentellière contemporaine», Véronique Louppe se «donne la liberté d'utiliser des matériaux différents», comme du fil de métal ou du fil électrique. «Ça me permet de faire des oeuvres tridimensionnelles», explique-t-elle.

Origines nébuleuses

À Bruges, à Venise ou à Peniche (Portugal), les dentellières des siècles passés se retourneraient dans leurs tombes en voyant pareilles dentelles. D'où vient la dentelle ? «On ne sait pas», répond Esther Ross. De la Belgique ? De l'Italie ? Du Portugal ? «Elle est probablement née dans une ville portuaire, car elle est un dérivé des filets de pêche», affirme-t-elle.

Broche en fil de métal de Mme Louppe

Alors que la broderie repose sur un support tissé, sa soeur la dentelle est «autoportante». Aux fuseaux, à l'aiguille, au crochet. Nouée, tissée, brodée. Blonde, chantilly, malines. De Calais, de Bayeux, du Puy, de Binche, de Valenciennes, d'Alençon, de Vologda (Russie). La dentelle a 1000 visages. Mais une seule image: la délicatesse. En Europe et aux États-Unis, on l'enseigne à l'université. «Ici, on ne conserve que les pièces religieuses, se désole Esther Ross. On n'a pas développé de tradition en arts textiles.»

Heureusement, il y a les Médiévales et les Fêtes de la Nouvelle-France où les dentellières peuvent faire valoir leur talent. Dans un projet d'histoire de cinquième année, Esther Ross avait préparé un «stencil des continents» sur lequel les élèves devaient broder des trajets et des noms de pays. Elle en avait tiré un coussin. «Les jeunes ont adoré», dit-elle.

Des cinéastes ont aussi magnifié le travail des artisanes. La comédienne Ariane Ascaride nous a ravis l'an dernier, dans Les Brodeuses, d'Éléonore Faucher.

En 1977, Isabelle Huppert avait joué dans La Dentellière, de Claude Goretta.

Au service du théâtre

Ivon Bellavance, lui, met la dentelle au service du théâtre. Ce scénographe diplômé de la Maison des métiers d'art de Québec est «tombé en amour avec la machine à tricoter», alors qu'il étudiait les arts textiles.

Sur ce gros «appareil qui ressemble à un synthétiseur», il s'est mis à expérimenter la dentelle au fil. «En dentelle, pour que le motif ressorte, il faut que l'un des deux fils soit plus gros que l'autre, explique-t-il. Un fil crée le motif, l'autre retient l'ensemble, comme un mortier.»

Cette technique est surtout utilisée dans le vêtement. Ivon Bellavance s'en sert pour la décoration et les installations. Il a notamment travaillé pour le Cirque du Soleil en concevant une sculpture de dentelle pour son théâtre de la Nouba, à Disney World, en Floride.