D'entrée de jeu, la psychologue Diane Allaire souligne qu'il y a mille et une raisons pour expliquer la décision des conjoints de ne pas dormir ensemble, autre qu'un divorce ou des difficultés sexuelles.

D'entrée de jeu, la psychologue Diane Allaire souligne qu'il y a mille et une raisons pour expliquer la décision des conjoints de ne pas dormir ensemble, autre qu'un divorce ou des difficultés sexuelles.

Des facteurs physiques ou externes, comme les troubles de sommeil (insomnie, cauchemars, ronflement), la maladie d'un des conjoints ou les horaires divergents peuvent mener à un réaménagement des habitudes.

Un collègue, que nous appellerons Jacques, vit justement cette situation. Plusieurs nuits par semaine depuis environ huit ans, sa conjointe et lui s'endorment dans deux pièces séparées. Une solution pratico-pratique à des horaires incompatibles, explique l'homme qui travaille de soir, alors que sa compagne fait du 9 à 5. «J'arrivais le soir chez nous, je marchais sur la pointe des pieds. Il y avait toute une retenue que là je n'ai plus besoin d'envisager».

Jacques peut maintenant écouter de la musique et aller au lit aux petites heures de la nuit sans déranger sa blonde, et celle-ci ne réveille pas Jacques, lorsqu'elle se prépare, tôt le matin.

En couple depuis 16 ans, la transition s'est faite naturellement, lorsqu'ils ont emménagé dans un appartement plus vaste. Un choix d'autant plus adéquat, puisque Jacques ronfle et que sa conjointe a le sommeil fragile. Mais pas question pour les tourtereaux de s'enfermer dans un cadre strict. «Il ne faut pas que ça devienne une routine. (...) Quand on a envie de se retrouver, peu importe le jour ou l'heure, on le fait».

Jacques n'a jamais pensé mettre à sa main l'ancienne chambre de son fils et se refuse à le faire, de peur que la distance s'installe. «C'est peut-être juste psychologique, mais je n'ai pas le goût de décorer en conséquence, de me sentir plus chez moi. Mon chez-moi, c'est avec ma blonde», insiste-t-il.

Question de caractère

La personnalité joue un rôle non négligeable, lors de l'adoption d'un tel mode de vie. Certaines personnes craignent que le train-train quotidien ne tue le désir et brise leur relation. «Ce sont des stratégies pour éviter la routine», note Mme Allaire. En invitant l'un ou l'autre à dormir dans sa chambre, ils revivent l'époque des premiers rendez-vous.

D'autres encore ont besoin d'un espace bien à eux ou ont tendance à s'oublier lorsqu'ils sont en présence des autres. «Ça permet d'avoir une pièce à notre ressemblance et où il n'y a pas de concession à faire», continue Mme Allaire.

Professionnelle à l'aube de la trentaine, Mélanie (nom fictif) tient mordicus à son espace personnel. «Déjà que quand tu es avec quelqu'un, tu partages tellement de choses, c'est important de garder un petit coin juste à toi».

Son copain a donc sa «chambre d'homme avec la télé et rien sur les murs», raconte-t-elle en riant, tandis que la sienne a été décorée selon les principes du feng shui. «Ma chambre est très enveloppante, elle reflète vraiment ma personnalité et mes goûts. Quand j'arrive pour me détendre, c'est moi que je reconnais dans ma chambre.»

Ils dorment ensemble presque tous les soirs, dans sa chambre à elle, précise-t-elle. Et leur choix ne nuit pas à leur sexualité, il ajoute même du piquant. Mais que ce soit à cause d'une grippe ou du Monday Night Football, lorsque le besoin s'en fait sentir, chacun se retire dans ses quartiers.

Vieillir ensemble

Chez les ménages vieillissants, les petits bobos peuvent compromettre le sommeil du conjoint. Il arrive aussi que les rôles aient tout simplement changé, fait remarquer Mme Allaire. «Ils sont devenus plus des amis que des amants».

Pour le psychologue Yves Dalpé, un couple peut se cacher derrière le prétexte d'un problème d'ordre physique, comme le ronflement, pour rendre socialement acceptable sa décision de faire chambre à part.

Dans d'autres cas, la solidité du couple n'est nullement en cause et la deuxième chambre est souhaitable, puisqu'elle accroît le confort des habitants, nuance-t-il.

Avoir une deuxième chambre «sert d'exutoire», fait valoir le designer Paul Simard. Il a d'ailleurs imaginé une suite formée de deux chambres entièrement meublées, mais qui se rejoignent en une verrière commune. Les conjoints peuvent donc avoir leur intimité, tout en étant à proximité l'un de l'autre.

Tabou

Mais entre faire chambre à part et le crier sur les toits, il y a un tout un monde. Les préjugés abondent et rendent les adeptes discrets, voire cachottiers. «Ils savent que les gens pourraient les juger, que ce n'est pas habituel», relate Mme Allaire. Jacques renchérit: «C'est vrai que ça ne nous tente pas de nous faire écoeurer (...) On a une sexualité bien vivante, ça ne nous empêche pas de la vivre».

Et le malaise est palpable, même au moment de construire ou encore de décorer son chez-soi. Les clients sont peu enclins à indiquer clairement que la chambre d'invités servira aussi, sinon exclusivement, à un des partenaires. «Il faut que le designer soit attentif et sache lire entre les lignes», mentionne Paul Simard.

C'est aussi ce qu'a pu constater l'architecte Suzanne Bergeron. Il faut parfois gratter un peu avant que «le chat sorte du sac». Mme Bergeron préfère parler d'une chambre d'appoint, sise dans le même secteur que celles de la famille. Elle sert à la fois aux invités et aux conjoints, de façon occasionnelle.

«Une chambre d'appoint est drôlement accommodante, quel que soit l'âge de la famille», considère Mme Bergeron.

Elle est alors aménagée confortablement, dotée d'un lit double ou d'un lit escamotable, avec un bon matelas, une grande penderie. Elle doit convenir aux deux sexes, et à un éventail d'âge.

Par contre, lorsque le couple fait chambre à part à l'année, la décoration contraste fortement, indique la designer Diane Lapointe, qui a travaillé à trois reprises sur de tels projets. La pièce de madame était très féminine et celle de monsieur un peu plus rigide, de style anglais par exemple, avec motifs à carreaux et rayures.

Faire chambre à part a bien évolué, conclut Mme Bergeron. «Avant, c'était (comme) renier l'autre. Maintenant c'est porteur de respect de l'autre», philosophe-t-elle.