Après quelques jours à arpenter les allées de l'un ou de l'autre salon professionnel, on finit par attraper le tournis devant l'offre pléthorique de lits et de chaises, de lampes, de commodes et tutti quanti. Le marché étant saturé, le lit ou la chaise doit à tout prix se distinguer de ses millions de semblables s'il veut attirer l'attention.

Après quelques jours à arpenter les allées de l'un ou de l'autre salon professionnel, on finit par attraper le tournis devant l'offre pléthorique de lits et de chaises, de lampes, de commodes et tutti quanti. Le marché étant saturé, le lit ou la chaise doit à tout prix se distinguer de ses millions de semblables s'il veut attirer l'attention.

Dans cette tentative désespérée de faire différent, certains designers en arrivent à des résultats qui laissent perplexe. La question se pose alors: avait-on vraiment besoin de ça? «Ça» peut être un seau à glace gainé de cuir, bordé d'un bandeau de vison et d'une collerette en plumes de faisan (gare aux dégoulinades d'eau, sinon poils et plumes seront en piteux état à la fin du party).

Ou «Ça» est une commode parfaitement sphérique, logeant les tiroirs biscornus que l'on imagine, une râpe à parmesan en cristal taillé, une table en aluminium massif (imaginez le poids de la bête !), un frigo d'appartement en forme de pingouin ou encore une bouillotte dotée de tétons en silicone. Sans oublier la baignoire en cire au pourtour garni de mèches, tellement plus pratique (!) que le candélabre posé sur le rebord pour des bains romantiques à la lueur des bougies.

Ce type de produit a tous les défauts. Il se moque de l'aspect fonctionnel des choses - la raison d'être du design. Il coûte souvent très cher, parce que sa fabrication nécessite soit une main-d'oeuvre artisanale, soit une technologie hypersophistiquée. Il passera vite de mode, comme tous les gadgets, et de ce fait ira grossir les déchets qui encombrent la planète. N'empêche qu'il atteint la cible visée: faire la une des magazines de décoration, toujours à l'affût des choses hors de l'ordinaire. Du coup, les lumières se braquent sur son créateur.

C'est le cas d'Inga Sempé, quasi inconnue au bataillon malgré un parcours professionnel impeccable (dont le prix Création 2000 de la ville de Paris) jusqu'à la mise en marché de Brosse. Imaginez une étagère, où chaque tablette est fermée par un rideau en poils de brosse industrielle, habituellement utilisée au bas des escaliers mécaniques. Même si la presse a porté aux nues ce «meuble fuyant et mystérieux, qui relève à la fois du tour de passe-passe et de l'ironie surréaliste», la Brosse, avouons-le, plonge les gens ordinaires comme vous et moi dans le questionnement existentiel.

Il y a aussi l'histoire du tabouret Tam Tam. Créé en 1969, il était à l'origine fait de plastique et destiné aux pêcheurs. Un jour, à la Madrague, Brigitte Bardot pose ses célèbres fesses dessus. Il n'en fallait pas plus pour que Tam Tam devienne célèbre. En dix ans, il s'en vend plus de douze millions d'exemplaires, puis la mode s'épuise. En 2002, la compagnie Branex Design tente de relancer la vente en produisant un Tam Tam transparent. Le fait passe inaperçu ou presque. Qu'à cela ne tienne, se dit-on chez Branex, on fera un tabouret en or. Un Tam Tam en or! La bonne façon de dénaturer un objet au départ bon marché, populaire et sans prétention et de le tourner en ridicule.

Quand Philippe Starck se contente de poser des patins au fauteuil qu'il a créé pour le restaurant parisien Bon, et de le baptiser rocking-chair, là encore on reste sceptique. Aussi sceptique en fait que devant le frigo Cool Media de Siemens, avec écran LCD encastré dans la porte qui permet de regarder la télé, un DVD ou de se connecter à l'ordinateur.

Et que dire des fauteuils en bottes de paille du designer britannique John Angelo Benson, des lampes et des chaises recouvertes de plumes de marabout, des meubles en béton décoré d'une tête d'animal en cristal produits pour Lalique, des niches-lits en hêtre façon Louis XV de la manufacture belge Massant?

Le modèle tapissé de fourrure a fait un malheur au dernier Salon Maison & Objet à Paris. «Allons donc, c'est un petit bijou, m'a rétorqué la collègue française avec qui je voulais partager ma consternation. Et puis c'est très astucieux. Le chien a le choix de s'installer dans le compartiment ou sur le siège dessus». Ah bon...