Utilitaire ou décoratif, beau et dangereux, plusieurs fois millénaire, mais sans cesse réinventé, il élimine les frontières entre l'intérieur et l'extérieur, et tranche net le chaud du froid.

Utilitaire ou décoratif, beau et dangereux, plusieurs fois millénaire, mais sans cesse réinventé, il élimine les frontières entre l'intérieur et l'extérieur, et tranche net le chaud du froid.

L'auberge Saint-Antoine, dans le Vieux-Port de Québec, a enjolivé les murs de ses espaces publics et de ses chambres avec des artefacts, surtout en verre, découverts sous ses fondations. Enserrés dans des cages de plexiglas, mis en valeur par un éclairage subtil et changeant, ils évoquent, entre autres, l'ère des Entrepôts de vaisselle Vallerand, qui occupaient le lieu au début du siècle dernier. L'exposition d'esprit muséal s'insère avec bonheur dans un décor des plus contemporains.

À deux pas de là, l'hôtel Dominion de la rue Saint-Pierre a souligné l'arrivée du printemps en dressant devant ses immenses fenêtres cintrées, cinq trios de carrés et de rectangles de verre, ambre, bleus et jaunes. Juchés sur des panneaux de faux gazon, eux-mêmes arrimés aux murs extérieurs par des crampons de métal, ils égayent une façade grise et sévère. «Il fallait que ça se marie aussi avec le hall a expliqué le directeur, Richard Germain. On voulait créer un jeu avec l'intérieur et l'extérieur.»

C'est là toute la beauté du verre. Il se coordonne à la lumière, s'accorde avec la couleur, sied à toutes les formes, a mille utilités.

Tenez, Lacroix Décor a importé d'Europe des lavabos de verre trempé dont la beauté n'a d'égale que l'apparente fragilité. Transparents, peints à la main ou piqués d'éclats de verre contrastants, ils ont un genre à la fois design et chaleureux. Mais ils ne sont pas donnés: entre 300 $ et 5000 $. «Ils trouvent difficilement preneurs», se désole Nathalie Guenette qui n'a de cesse pourtant de vanter aux curieux leur solidité et leur entretien facile.

Les blocs de verre, en revanche, ont la cote. «Ils sont sur le marché depuis longtemps, fait observer Jean-François Houde, représentant chez Groupe Giroux Maçonnex. Mais depuis quelques années, ils reviennent en force.» Leur principal atout est de laisser passer la lumière, tout en créant une frontière réelle entre deux espaces. Ils sont souvent utilisés pour séparer une chambre d'une salle de bains. «On en voit de plus en plus comme parois de douche», ajoute M. Houde. Ils présentent des textures variées - translucides, vaguées, givrées, rayées - qui génèrent et reflètent la lumière. Dans les lofts, on les adore.

Les vertus du verre

Demandez à des verriers ce qu'ils aiment du verre. Invariablement, ils vous répondront : sa transparence. Une évidence... C'est cette vertu qui fait du verre un matériau si polyvalent: on le souffle, on le taille, on le teint, on le sculpte, on le chauffe.

Richard Morin et Claude Choinière font équipe depuis une quinzaine d'années. Ils assemblent le verre clair à froid, avec de la colle, sans imposer de transformation à la matière elle-même. Ils créent des vases et toutes sortes d'accessoires décoratifs, qu'il leur arrive de combiner au bois, à l'acier inoxydable et au polycarbonate (une sorte de plastique).

Leur défi? «Se réinventer, affirme Richard Morin. On est copiés, c'est affolant!» Dans les expositions de New York, Philadelphie, Chicago, des Chinois empruntent leurs idées et les revendent ici à des prix impossibles à concurrencer. «Au début, c'était flatteur», confie Morin. Mais passer de 20 employés à huit, lui a fait prendre conscience du poids de la menace asiatique. «Il faut donc créer, prendre de l'avance, être rapides pour arriver avec des petites séries, philosophe le verrier. C'est assez exigeant.»

Pierre Hivon n'est pas encore copié, mais ça ne saurait tarder, prévoit-il. «Dernièrement, j'ai visité un magasin à 1 $, à Montréal, et j'ai reconnu le travail de bons amis verriers. Des objets très bien conçus étaient vendus 40 fois moins cher que les originaux», raconte l'artiste de Sainte-Marcelline, près de Joliette, qui possède les boutiques Transparence et Belle de nuit, à Québec.

Pierre Hivon manipule le verre par thermoformage. Il utilise du simple «verre à fenêtre», qu'il peint à la main avec des émaux et qu'il dépose en aplat dans des moules ou des formes, avant de le cuire au four à 1550 degrés F. «Il devient comme de la tire d'érable», illustre-t-il.

Il fabrique de la vaisselle, des bougeoirs, des savonniers, des cadres, des paravents, des tables dans une palette plutôt uniforme de jaune, de vert, de rose et de bleu. «Ces couleurs deviennent parfaites en même temps que le verre se thermoforme, explique-t-il. Les deux étapes se font simultanément. C'est beaucoup, quand on considère qu'une étape prend huit heures.»

Le royaume du feu

À la verrerie la Mailloche, à place Royale, c'est le royaume du feu! Depuis bientôt 30 ans, les souffleurs de verre s'y activent sous la chaleur des fours, dans un atelier ouvert au public. Il paraît que 200 000 personnes y passent chaque année. Le mystère du verre soufflé en prend pour son rhume! Le maître Jean Vallières y règne depuis la première heure. C'est dire qu'il a vu évoluer le verre, à l'instar de tous les métiers d'art.

Le type de canne à souffler dont il se sert remonte à l'ancienne Égypte. Il oeuvre sans moule, porté par la répétition du geste qui engendre la forme. Jean Vallières aime la rapidité de l'exercice.

Aussitôt commencé, aussitôt fini! «Quand je sors un nouveau modèle, ça ne prend pas un mois avant de voir la réaction des gens, note-t-il. Ils commettent l'acte d'achat dès qu'ils aiment.» Ses petites lampes à la paraffine, par exemple, se sont envolées à une vitesse folle. Aujourd'hui, même Kyoto les réclame.