Il y a un certain paradoxe à recevoir des amis en leur servant un repas préparé avec des produits locaux... sur une table décorée de roses importées à des milliers de kilomètres d'ici. Les «nouveaux fleuristes» ont décidé de revaloriser les fleurs locales. Pour le meilleur de l'environnement, mais aussi de leur portfolio.

Ne cherchez pas d'oiseaux du paradis dans les frigos de Raphaël Gaspard, il n'y en a pas. Pas plus qu'hier, pas plus que demain. Il n'y en aura jamais, pour la simple et bonne raison que des oiseaux du paradis, ça ne pousse pas dans le climat québécois. Pas plus que dans ses environs immédiats.

Raphaël Gaspard, mieux connu sous la raison sociale Garçon Fleur, fait partie de cette nouvelle vague de fleuristes qui déferle sur la région de Montréal, après l'avoir fait sur la côte ouest puis la côte est américaine, qui s'efforce d'utiliser le plus possible les fleurs cultivées localement, sinon exclusivement. Un peu comme les chefs des restaurants ont redécouvert ces dernières années les vertus de l'alimentation locale.

Ainsi, ces jours-ci, les fleurs utilisées par Raphaël Gaspard proviennent exclusivement de fermes des Cantons-de-l'Est et des Laurentides, quand ce n'est pas tout bonnement d'un jardin du quartier Notre-Dame-de-Grâce. Plus tôt dans la saison, il s'est approvisionné auprès de serres de l'Ontario et de l'Île-du-Prince-Édouard qui fonctionnent avec une faible consommation d'énergie (on n'y fait pas pousser de fleurs exotiques, mais on peut lancer plus précocement la culture d'espèces autochtones). «Ce n'est pas tout à fait local, mais les émissions de carbone sont nettement moins importantes que si je les faisais venir de Hollande ou d'Amérique latine», assure-t-il. De plus, parce qu'il s'écoule moins de temps entre leur cueillette et leur utilisation, moins (sinon pas) de produits chimiques seraient utilisés pour assurer leur préservation.

Et Raphaël Gaspard est loin d'être le seul à penser ainsi.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Raphaël Gaspard, de Garçon Fleur, et sa bicyclette emblématique avec laquelle il effectue ses livraisons.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Carmel Sabourin-Goldstein affirme gaspiller beaucoup moins depuis qu'elle favorise la fleur locale.

Aux États-Unis, le mouvement a pris de l'ampleur il y a une dizaine d'années, porté notamment par la Floret Farm, un couple d'urbains recyclés en fermiers dans l'État de Washington, qui ont fait école avec leurs pratiques permettant de cultiver, sur un espace restreint et avec la plus faible empreinte écologique possible, un maximum de fleurs.

Leur message a été entendu jusqu'ici, par des femmes comme Chloé Roy, 31 ans, propriétaire de Floramama, qui est allée suivre une formation auprès d'eux avant de devenir l'une des rares cultivatrices de fleurs du Québec, profession bucolique s'il en est une. «L'intérêt d'acheter des fleurs locales, c'est d'encourager les gens près de chez soi, mais aussi de profiter de variétés qu'on ne pourrait pas inclure dans les bouquets si elles n'étaient pas cultivées localement, comme le pois de senteur, qui a une odeur exquise», dit-elle.

La mode a aussi joué en faveur de la fleur locale. «Elle permet de faire des créations moins graphiques, plus organiques, plus sauvages, comme si on était allé se faire un beau gros bouquet dans le jardin abandonné d'une dame très riche. On peut se permettre de marier les fleurs avec des branches d'arbres, de gros feuillages, de la vigne, tout ce qu'on trouverait naturellement dans un jardin», dit Carmel Sabourin-Goldstein, d'Atelier Carmel.

«On peut développer une belle complicité en travaillant avec des gens d'ici, et formuler des demandes spéciales pour l'année suivante, remarque Nadine Jazouli, de Prune les fleurs. Et il ne faut pas se le cacher: c'est aussi moins dispendieux, car on n'a pas de frais de transports internationaux à payer.»

Contraintes

Or, l'achat local n'est pas aussi simple qu'il y paraît. Car quand on parle de fleurs locales, on ne parle pas (seulement) de celles qui poussent naturellement dans les champs, de marguerites ou de verges d'or. Les fleuristes veulent des dahlias aux couleurs originales (café au lait, par exemple), des pavots, des pivoines. Et la clientèle exige certaines garanties de résultat, surtout lorsqu'il s'agit d'événements réglés au quart de tour, comme un mariage.

«Il faut que les clients fassent preuve de plus de souplesse: s'ils veulent des fleurs locales pour leur mariage, ils doivent s'attendre à ce que le résultat ne soit pas pile comme sur la photo qu'ils ont vue», remarque Maude Sabourin de Rustique création florale.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Carolyne Boyce, propriétaire de la ferme Floralia, confectionne ses bouquets avec les fleurs qu'elle fait pousser elle-même dans un champ.

C'est pour cela qu'elle dit surtout s'en servir pour compléter un bouquet, l'«assaisonner» et marquer sa différence.

L'hiver, les choses se compliquent encore plus et le recours aux fleurs importées est essentiel pour répondre aux clients qui continuent de réclamer des compositions colorées. Au grand dam de Chloé Roy, qui estime qu'il faudrait plutôt accepter de passer nos hivers sans fleurs. «C'est une question de philosophie: je n'achète pas de fraises en janvier parce qu'elles ne viennent pas d'ici», dit-elle.

Caroline Boyce, propriétaire de la ferme Floralia, est moins catégorique. «On peut faire de très beaux arrangements avec du cèdre et des conifères, et des branches d'arbres fruitiers: après février, si on les trempe dans l'eau chaude, elles peuvent fleurir», dit l'experte. Garçon Fleur tentera d'ailleurs cette année, pour la première fois, de s'en tenir à des produits cultivés au Québec. L'expérience lui dira si le client est prêt, lui aussi, à franchir ce pas.

Un fleuriste... sans fleurs?

Plusieurs fleuristes tournent désormais le dos au modèle classique de la boutique où le client pouvait débarquer à l'improviste et se laisser inspirer devant des réfrigérateurs débordants de fleurs pour (se) faire un cadeau impulsif. Ils ne répondent qu'aux commandes passées au minimum une semaine plus tôt et les végétaux ne sont livrés qu'en fonction des demandes préalables. Du coup, quand on passe chez eux en début de semaine, une fois les mariages et autres événements passés, il n'est pas rare qu'on n'y trouve pas le moindre pétale. « Un fleuriste traditionnel gaspille énormément : il doit acheter plein de fleurs pour que ses frigos soient bien remplis pendant la semaine, puis jeter tous les invendus le dimanche. Je l'ai fait longtemps, mais je détestais ça. Maintenant, toutes les fleurs livrées chez moi sont déjà vendues », raconte Carmel Sabourin-Goldstein, d'Atelier Carmel. C'est mieux pour l'environnement et le budget, précise-t-elle. Même si c'est un peu dommage pour la spontanéité.

Passer à l'acte

La tendance au «C'est moi qui l'ai fait!» (Do it yourself, pour les anglos) a aussi contaminé la fleuristerie, et ses commerçants remarquent un engouement de leurs clients pour les ateliers de création florale. En voici certains qui ont répondu à la demande. Horaires et coûts variables: consultez leurs sites web.

Garçon Fleur

Avec une formule brunch le dimanche

garconfleur.com

Les Petites excuses

lespetitesexcuses.com

Floralia

Une formation de deux jours est prévue avant l'automne.

floralia.ca/fr/atelier

Atelier Carmel et Prune-les-Fleurs

Des cours devraient débuter à l'automne.

ateliercarmel.ca

prune-les-fleurs.com