L'hiver, le hêtre est l'un des seuls arbres de nos érablières à conserver sa parure, des feuilles jaunâtres, souvent blanchies par le froid, qui se mettent à chanter dès que le vent se manifeste. J'aime le hêtre. Son écorce grise et lisse, au contact agréable, et son port imposant.

Pour être franc, mon affection n'est pas désintéressée. J'ai constaté au cours des années qu'il y a une association directe entre le hêtre et les chanterelles. J'ai découvert à maintes occasions le festin mycologique juste aux pieds de l'arbre. C'est aussi le cas en Europe.

Pourtant, dans les érablières, on n'hésite pas à lui trancher le tronc pour qu'il ne fasse plus compétition aux érables.

Le plus étonnant, c'est qu'en dépit de sa belle allure, l'arbre est très rarement utilisé à des fins décoratives même s'il est offert en pépinière.

Ce n'est cependant pas le cas en Europe, où plusieurs hybrides spectaculaires aux feuilles pourpres enjolivent les grands parcs. Or bon nombre de ces arbres sont offerts dans nos centres de jardinage, mais restent méconnus. Tout simplement parce qu'on ignore leur existence, soulignent les pépiniéristes.

Le hêtre européen, Fagus sylvatica, est souvent considéré comme peu rustique alors qu'en réalité, plusieurs spécimens poussent sans problème, parfois depuis quelques dizaines d'années, dans les zones beaucoup plus froides que la région métropolitaine (notamment dans les zones 4 et 3).

Ma rencontre avec le hêtre européen est récente. C'était il y a trois semaines, lors du Rendez-vous horticole du Jardin botanique, au stand des Jardins de Jean-Pierre, de Sainte-Christine, près d'Acton Vale (www.jardinjp.ca). Un arbre splendide d'environ 1,5 m aux feuilles rose et vert.

Et on m'a fait découvrir du même coup un autre spécimen à deux pas du restaurant du Jardin botanique, un arbre magnifique d'environ 10 m planté en 1975. Ce Fagus sylvatica purpurea «Tricolor», de son nom scientifique, n'a pas exigé d'entretien, n'a jamais été malade et n'a jamais souffert du froid, me dit-on. D'ailleurs, un autre arbre européen a été transplanté il y a plusieurs années en pleine terre argileuse sur le terrain de l'institution sans que le végétal ait éprouvé de difficultés.

Pourtant, il est souvent indiqué que l'arbre exige un sol riche et bien drainé. Ses feuilles sont vivement colorées en mai et en juin, puis deviennent un peu plus foncées au cours de l'été. Elles conservent ce coloris jusqu'à l'automne.

Et comme Fagus grandifolila, notre hêtre à grandes feuilles, les hybrides européens conservent quelques feuilles décolorées au cours de l'hiver. D'ailleurs, ils peuvent aussi se contenter d'un coin mi-ombragé.

Le hêtre européen et ses hybrides poussent eux aussi très lentement. C'est pourquoi ils commandent habituellement un prix élevé, souvent plus de 100$.

Trouver le hêtre rouge!

Où trouver le fagus «Tricolor»? Une tournée rapide sur l'internet et quelques appels m'ont permis de constater que l'arbre est relativement rare. On trouvera quelques spécimens au Jardin de Jean-Pierre (qui accepte les réservations pour l'an prochain), à la pépinière Jasmin, boulevard Henri-Bourassa Ouest, et au Centre de jardin Deux-Montagnes, à Saint-Eustache (www.centredujardin.com). Ce dernier a un choix intéressant de hêtres européens. Évidemment, vous en trouverez probablement ailleurs, jamais en grande quantité.

Mais il n'y a pas que le «Tricolor» qui soit intéressant. L'hybride «Red Obelisk», avec son feuillage pourpre très foncé, est un arbre colonnaire qui atteint autour de 10 m de hauteur avec le temps, mais ne dépasse guère les

3 ou 4 m de largeur, un peu à l'image du célèbre chêne fastigié d'Europe qu'on trouve un peu partout à Montréal.

Le cultivar «Purple Fountain», aux branches retombantes et aux feuilles pourpres est aussi offert par des grossistes.

Fagus sylvatica purpurea est une forme naturelle du hêtre européen qui peut atteindre une taille spectaculaire, du moins sur son continent d'origine. Ses feuilles sont pourpres. Toutefois, son envergure le destine plus particulièrement aux très grands terrains ou aux parcs. Le grossiste Québec Multiplants de Québec en tient en stock.

Pour parodier le vieux Shakespeare: hêtre ou ne pas hêtre? À vous de répondre à la question. Et qui sait si, un jour, vous n'irez pas aux chanterelles dans votre propre cour.

L'héritage du tigre

Mauvaise nouvelle: mon vinaigrier «Tiger Eyes» est mort. Enfin, j'ai mis fin à ses tourments.

Le tronc principal de l'arbuste atteignait pas moins de 15 cm de diamètre. Ce printemps, les branches ont commencé à produire des feuilles, mais leur croissance s'est arrêtée brusquement. Un chancre probablement mortel s'était développé à mon insu au niveau du sol.

La bonne nouvelle: «Tiger Eyes» me laisse plusieurs rejetons qui atteignent déjà 1,5 m et qui semblaient vouloir remplacer le plant principal. Avec leur feuillage jaune, ils font une relève magnifique. D'autant plus que leur taille ne dépassera pas 1,5 m, et que leurs feuilles tourneront à l'orangé l'automne et enflammeront la platebande.

«Tiger Eyes» est un mutant de la forme lacinié de notre vinaigrier commun. Mis en marché en 2003, il s'est retrouvé chez moi l'année suivante avec la promesse formelle qu'il ne drageonnerait jamais, du moins selon le producteur américain.

Deux ans plus tard, des bébés tigres faisaient leur apparition à 3 m du plant mère. C'était l'invasion. J'ai entouré le système racinaire d'une feuille d'aluminium de

45 cm de hauteur. Mais les racines passaient par-dessus l'obstacle. C'était l'évasion. J'ai finalement laissé certains drageons en place et transplanté les autres ailleurs. Depuis, c'est la réconciliation. Une histoire de compromis.

Photo: Pierre Gingras

Mon vinaigrier «Tiger Eyes» à la fin du mois de juin.