La fin de semaine de la fête nationale des Patriotes est synonyme d'effervescence horticole, surtout après les récentes pluies diluviennes. Le choix est inimaginable: plus de 2000 variétés d'annuelles et 2 à 3 fois plus de vivaces, sans oublier les plantes potagères, les arbustes et les arbres.

Une armée de producteurs travaillent dans l'ombre, une grande partie de l'année, pour combler vos attentes. La petite plante en pot que vous tenez entre vos mains aura souvent nécessité deux ou trois ans de planification et de tests de leur part. Voici trois producteurs et un bouquet d'annuelles de leur choix.

Coup de coeur pour un pétunia

«Avez-vous vu ce nouveau pétunia? C'est le "Blueberry Lime Jam". Deux types de semences dans le contenant, des fleurs bleu foncé et d'autres vert lime. Je suis certaine que les amateurs vont aimer. Et puis, avec les pétunias de la lignée des Wave, comme celui-là, pas de fleurs mortes à éliminer ni de problèmes d'insectes. Les plants couvrent une grande surface dans la platebande, ce qui réduit les besoins en eau. Une plante "pas de trouble!"»

Mariette Marchand est intarissable quand elle parle de «ses» fleurs. Dans ses serres, une orgie de couleurs et d'odeurs vous rend immédiatement joyeux. Plus de 1000 variétés d'annuelles, de vivaces ou de potagères, des dizaines de milliers de plants presque tous produits ici, pour être vendus sur place. Propriétaire des Serres Primavera, de Boucherville, Mme Marchand n'est pas qu'une gestionnaire. C'est une amoureuse des plantes. Elle en parle avec affection, comme de ses bébés. Elle se fait souvent un plaisir, par exemple, d'offrir aux enfants un plant de Mimosa pudica pour les voir s'émerveiller devant les feuilles qui réagissent au toucher.

Le mot «j'aime» revient d'ailleurs souvent au cours de la présentation de ses préférées, lobélies, géraniums, torenia, baptisia, hibiscus acetosella aux feuilles rouges ou encore les héliotropes, une annuelle bleue ou blanche qui était peu connue il y 15 ou 20 ans quand elle a commencé à la produire. «Les héliotropes dégagent un délicieux parfum de bébé. Mais en serre, elles exigent une attention particulière, comme la plupart des plantes d'ailleurs. Au cours de la croissance, il faut absolument couper les fleurs. Sinon, elles tombent sur le feuillage qui devient alors couvert de moisissures. Ce travail doit être fait à la main.»

Les milliers de géraniums qui poussent ici doivent également être taillés à la main, un par un, pour former un beau plant, poursuit-elle. À vrai dire, la grande majorité des plantes offertes dans les jardineries et pépinières ont été l'objet d'une attention individuelle un jour ou l'autre de leur croissance.

Pour obtenir une belle plante qui fera le bonheur du jardinier durant tout l'été, il faut plus qu'une semence ou une bouture dans un pot. Comme chez la plupart des producteurs, le travail commence dès janvier. Si les jours ne sont pas assez ensoleillés, la plante ne poussera pas assez vite et, dans le cas contraire, la croissance pourra être trop rapide. Si l'atmosphère est trop humide, le chauffage et l'aération devront être augmentés pour éviter que les maladies fongiques ne viennent éliminer en quelques jours une grande partie de la production.

«Même si nous utilisons de la biomasse (granules de bois), le coût du chauffage reste toujours un cauchemar. J'ai dû laisser tomber une de mes préférées, le lysianthus, une fleur magnifique, parce que sa croissance est trop lente. Il fallait commencer sa production en décembre. Ce n'était plus rentable», raconte Mme Chartrand.

Si les géraniums, les impatientes et les bégonias restent les annuelles les plus vendues au Québec, il existe des centaines d'hybrides de chacune de ces espèces. Et des dizaines de nouvelles variétés font leur apparition chaque année.

Mariette Chartrand fait une partie de son choix de plantes à produire en novembre, à la foire horticole de Saint-Hyacinthe, mais aussi en consultant des magazines et catalogues professionnels. «J'aime essayer des nouveautés et j'ai mes coups de coeur que je veux partager. Mais en fin de compte, si je propose, c'est toujours le client qui dispose.»

Le jardinier aux 1000 annuelles

Normand Tellier planifie minutieusement ses achats presque deux ans à l'avance. Propriétaire de la pépinière La Jardinière du Nord, à Saint-Félix-de-Valois, entreprise réputée pour sa grande variété d'annuelles (souvent autour de 1000), l'horticulteur oriente depuis quelques années sa production vers le marché des jardineries et des distributeurs de plantes, où il compte plus de 300 clients.

En juillet et en août, il visite de nombreux jardins d'évaluation aux États-Unis et au Canada où sont testés de nouveaux hybrides souvent identifiés seulement par un numéro. Il en commandera une certaine quantité qui lui sera livrée sous forme de boutures ou de semences au début de l'année suivante. Ces variétés seront ensuite cultivées un été au Québec afin de vérifier leur comportement au jardin ou en pot. Ce n'est que la saison suivante, après avoir éliminé les indésirables, qu'elles seront offertes aux détaillants pour une mise en vente sur une grande échelle, comme c'est le cas cette année de la colocase «Mojito», une plante offerte pour le coloris de son feuillage.

M. Tellier assiste aussi aux présentations des nouveautés exposées dans les platebandes de la firme Norseco, à Boisbriand, ou encore des jardins publics comme le Jardin botanique de Montréal, Daniel A. Séguin de Saint-Hyacinthe ou le Jardin Van den Hende, de Québec. «Si les plantes primées par certaines organisations internationales présentent toujours un certain intérêt, comme la magnifique échinacée "PowWow" par exemple, rien ne sera plus convainquant que de la voir dans un jardin. C'est là que vous serez convaincu que les consommateurs vont l'aimer», dit-il.

Mais encore faut-il que la plante soit relativement facile à produire, souligne M. Tellier. L'objectif est d'obtenir une floraison ou un feuillage le plus spectaculaire possible au moment de la vente. «Même si les amateurs se font sélectifs dans le choix des plantes potagères (de plus en plus populaires), il faut se rappeler que 60% des achats au centre de jardin sont impulsifs. Les consommateurs veulent voir des plantes en fleurs à leur arrivée au magasin. Tous nos efforts de production visent cet objectif ultime. La réussite n'est jamais garantie.»

Si les semis de certaines plantes comme les bégonias commencent en février, la livraison des boutures se fait de la mi-février à la mi-mars. «Le marché de la bouture est en pleine expansion, car il permet aux hybrideurs de récupérer leurs droits "d'auteur" immédiatement, explique le producteur. Dans le cas du canna "Tropicana" au feuillage rouge, par exemple, en plus du coût de base, chaque bouture est assujettie à une redevance de 1$, une somme qui s'ajoute au prix de détail de la plante.»

En plus des aléas de la production comme la luminosité, la température, l'humidité, les maladies fongiques, l'enracinement des boutures, le producteur doit aussi compter avec les délais de livraison. «Les boutures nous viennent de tous les coins du monde, d'aussi loin que l'Australie, l'Amérique centrale ou l'Asie. Dans certains cas, elles nous arrivent en piteux état, parfois même inutilisables car elles ont été entreposées dans un endroit trop froid. Non seulement c'est une perte totale, mais cela modifie complètement le calendrier de production.»

Passionné des fleurs, Normand Tellier éprouve toute sa satisfaction à voir une plante bien «réussie» trôner sur ses étals ou couvrir ses immenses jardinières. C'est aussi le plaisir de réaliser que les plantes choisies ont tenu leur promesses comme ces nouveaux bégonia rex aux feuillages magnifiques tels que «Celia» et «Fairy» ou encore, la nouvelle lignée de gerberas Festival.

Photo: Alain Roberge, La Presse

Normand Tellier, de la pépinière La Jardinière du Nord

L'horticulteur à vélo

Il est habituellement difficile de découvrir les serres de Frank Zyromski. Elles sont cachées depuis une trentaine d'années en bas d'une côte, le long de la route qui encercle le lac Nominingue, dans les Laurentides.

Si les installations du propriétaire sont plutôt discrètes, il y a fort à parier qu'une des plantes que vous achèterez au cours des prochains jours aura séjourné chez lui. Frank Zyromski fait pousser environ sept millions de boutures par année, des boutures qui seront vendues à un certain stade de croissance à d'autres producteurs comme Mariette Chartrand ou Normand Tellier, par exemple, ou, dans une moindre proportion, aux centres de jardinage lorsque la plante sera entièrement éclose. On parle d'environ 800 variétés, du bégonia au géranium en passant par les fuchsias, les osteospermums ou les impatientes.

Si vous avez acheté un oeillet (dianthus) de la lignée Supertrouper, notamment le «Lilac on Purple» au parfum prononcé, ou encore le Bégonia Rieger tel le prolifique «Julie» aux fleurs orangées, vous avez probablement fait affaire avec M. Zyromski indirectement.

Ici, pas question de se promener dans les serres dont l'accès est strictement réservé au personnel. La prévention des maladies est au coeur de la production. Malgré les apparences, produire une plante n'est jamais facile, souligne-t-il. D'ailleurs, la réputation des plantes de Frank Zyromski n'est plus à faire dans le monde horticole. Plusieurs entreprises européennes ont choisi Nominingue pour faire pousser une partie de leurs plantes destinées au marché nord-américain.

Évidemment, c'est lui qui détermine les variétés qui pousseront dans ses serres. Un choix assez facile à faire, explique-t-il. «Les 20 ou 30 firmes internationales qui travaillent directement avec les hybrideurs, ceux qui créent les nouveaux hybrides, ont d'innombrables jardins d'essais afin d'observer l'évolution de ces nouveautés, souvent durant des années avant qu'elles ne soient mises en marché. Et les producteurs donnent leur opinion. Personne n'a intérêt à créer une nouvelle variété si nous ne sommes pas convaincus que le public l'aimera. Elle doit être florifère, facile d'entretien et résistante aux maladies. Chaque nouveauté présente une amélioration ou une différence par rapport aux autres. Aujourd'hui, par exemple, on trouve de nombreuses variétés résistantes au blanc, l'oïdium, ce qui n'était pas le cas dans le passé.»

Il faut habituellement trois ans avant que le choix de Frank Zyromski se retrouve sur les étals d'un centre de jardin. Il teste depuis deux ans une quinzaine de variétés de basilic qui seront mises sur le marché dès l'an prochain, si les essais sont concluants.

Grand amateur de vélo, il prend des vacances estivales en Europe durant plusieurs semaines, le plus souvent sur deux roues, un moment de repos... pour visiter notamment des hybrideurs et des centres de jardin, histoire de découvrir des nouveautés qui se retrouveront tôt ou tard au Québec.

La plante préférée de...

Frank Zyromski

La lignée de bégonias Solenia, pour leur croissance vigoureuse, l'abondance de leurs fleurs, leur résistance aux maladies et aux premiers gels légers, même à Nominingue. Et ils poussent en plein soleil!

Mariette Chartrand

Le géranium «Tango Neon Purple» pour le coloris de sa fleur, presque fluorescent, et sa floraison continue jusqu'à tard l'automne. Autre atout, les insectes ne l'attaquent pas.

Normand Tellier

Le lantana, notamment la variété «Lucius Citrus Blend» pour les coloris de ses fleurs, son étrange parfum, son feuillage lustré et odorant et sa résistance à la sécheresse une fois implanté au jardin.

Des plantes partout...

On compte environ 7000 points de vente de végétaux au Québec, de la quincaillerie au dépanneur en passant par le fleuriste, la grande surface, le magasin d'alimentation et les 250 centres de jardinage.

Les grandes surfaces contrôlent environ 50% du marché des annuelles et des vivaces.

Plus de 80% des annuelles, plantes potagères, vivaces, arbustes décoratifs et arbustes à petits fruits vendus au Québec sont produits chez nous.

En raison notamment de la forte concurrence, d'une tendance à la surproduction et du marché restreint, le prix des plantes au Québec est habituellement considéré comme le plus bas au Canada.

Photo fournie par Nicolas Zyromski

Frank Zyromski