L'apparition d'une première fleur dans la platebande ou le gazon est toujours un moment de bonheur exaltant pour le jardinier.

D'ailleurs, de la mi-mars à la mi-avril, selon que la saison est plus ou moins hâtive, elles sont nombreuses à émerger de terre pour notre plus grand plaisir. Les crocus, les Eranthis hyemalis et leurs jolies fleurs jaunes, ou encore les minuscules Iris histrioides, sont les premiers sur la ligne de départ. Suivront évidemment les scilles, les puschkinias, les anémones de Grèce (Anemone blanda), les tulipes hâtives et bien d'autres. Le hic, c'est qu'il s'agit là de plantes vendues seulement en toute fin d'été ou au début de l'automne, toujours sous forme de bulbes.

Mais il existe aussi de nombreuses vivaces dont la floraison est extrêmement rapide, des plantes malheureusement peu utilisées au jardin. C'est que les amateurs attendent habituellement vers la mi-mai et souvent le grand congé de la fête des Patriotes pour faire le plein de vivaces et d'annuelles. Or à ce moment-là, bon nombre de ces espèces ont justement cessé de fleurir. Si bien qu'elles n'attirent plus l'attention face aux innombrables annuelles et autres vivaces qui ont été forcées.

Pourquoi attendre quand on peut les transplanter immédiatement et profiter de leur spectacle? N'ayez crainte, on peut les mettre en pleine terre même s'il fait relativement froid et celles qui ont déjà passé l'hiver en pot résisteront sans problème aux gels tardifs.

Je vous invite à visiter rapidement votre centre de jardin préféré pour ajouter tous ces petits trésors méconnus dans vos platebandes. Je vous en présente quelques-uns.

Bleu de rêve

D'abord la plus rare et probablement l'une des plus jolies, Hepatica nobilis, d'origine européenne. Toute menue avec ses 10 cm de hauteur, ses fleurs sont d'un bleu ciel à faire rêver aux anges. La floraison a commencé le 10 avril chez moi. En français, elle répond au nom d'anémone hépatique, la dizaine d'espèces d'hépatiques étant intégrée au genre anémone. Hepatica nobilis aime les sols lourds, une ombre partielle et un apport de compost l'automne ou après la floraison. Les fleurs font leur apparition avant les feuilles.

On trouve deux espèces d'hépatiques dans nos bois et l'une d'elles, l'hépatique acutilobée, est passablement répandue. C'est une des premières plantes à s'épanouir au printemps. Le frère Marie-Victorin nous dit que ses fleurs sont déjà présentes l'automne et qu'elles vont même s'ouvrir à l'occasion par beau temps. Les coloris vont du blanc au violet, mais sont souvent rosâtres.

L'anémone hépatique jouit d'une grande réputation au Japon; les cultivars qu'on y a développés sont d'ailleurs regroupés sous le nom d'hépatiques japonaises. Plusieurs sont à fleurs doubles et méritent amplement le terme de «bijou» qu'on leur donne parfois. Bijoux de luxe, doit-on préciser, car elles sont souvent hors de prix et très rares. La maison Fraser's Thimble Farm, de la Colombie-Britannique, en vend quelques-unes à un prix variant de 100 à 400$ pièce. Par contre, l'anémone hépatique de mon jardin, à prix courant, a été découverte aux Jardins Osiris, à Saint-Thomas de Joliette, et prend de l'ampleur chaque année.

Elles aiment la froidure

À l'exemple de notre hépatique sauvage, les violettes possèdent aussi des fleurs qui persistent souvent tout l'hiver sous la neige. Si bien qu'au printemps, dès que le soleil se manifeste, elles s'ouvrent toutes grandes pour profiter de la chaleur. C'est le cas notamment de ma préférée, la violette de Corse (Viola corsica), de Viola «Black Magic» au teint presque noir et de plusieurs autres. Rappelons aussi que les pensées (qui font partie des viola) aiment la froidure. Ce sont les rares annuelles que l'on peut planter au jardin au début mai.

Les hellébores s'épanouissent habituellement à la mi-avril. Le problème, c'est qu'elles produisent la plupart du temps des fleurs retombantes. Si bien qu'il faut littéralement se coucher par terre pour en voir la couleur. Évidemment, les catalogues nous les présentent sous leur plus beau jour, des couleurs souvent extraordinaires, ce qui n'est pas loin de la fausse représentation. Il faut donc opter pour les variétés de grande taille. Vous aurez moins mal au dos à la fin de votre tournée du jardin.

Plusieurs primevères se manifestent aussi rapidement, souvent avant le mois de mai. C'est le cas de Primula veris aux fleurs jaunes et au feuillage frisé, du moins quand il sort de terre. Le groupe de primevères oreilles d'ours ou Primula auricula, compte plusieurs petites plantes alpines à feuillage persistant. Elles donnent des petites fleurs jaunes. Et contrairement à la plupart des primevères, elles résistent relativement bien à nos grandes chaleurs estivales.

Autres printanières hâtives: les brunneras, notamment le populaire cultivar «Jack Frost» au feuillage argenté et aux fleurs de myosotis. Il aime une position légèrement ombragée, un sol bien drainé mais retenant l'humidité. Une fois la floraison terminée, son feuillage continue à nous ravir tout l'été. S'ajoutent aussi à la liste les bergénies, l'ancolie du Canada, la rampante pervenche, les lamiers. Parmi les espèces inusitées, notons Euphorbia myrsinites, parfois appelée euphorbe de Corse, une plante grasse au feuillage persistant qui produit de jolies bractées jaunes, idéale pour les rocailles.

Même si elles ne donnent pas de fleurs, plusieurs espèces de fougères émergent du sol rapidement et offrent un feuillage d'un vert tendre à croquer qui pousse à vue d'oeil. La matteucie fougère-à-l'autruche est l'une d'elles, la seule d'ailleurs qui se mange, mais elle est parfois envahissante. La fougère la plus intéressante demeure toutefois la capillaire du Canada en raison de ses frondes décoratives. Ses fines tiges printanières sont rouge vif.

Des indigènes fort pressées

De nombreuses plantes indigènes sont toujours pressées de fleurir au printemps. Ce sont surtout des espèces de sous-bois qui doivent profiter au maximum de la lumière pour accomplir presque tout leur cycle annuel. Elles ne disposent que des quelques semaines où les arbres n'ont pas encore toutes leurs feuilles pour fleurir, être fécondées et ensuite produire des graines. Souvent d'ailleurs, leurs feuilles disparaissent au cours de l'été. Plusieurs sont des plantes bulbeuses mais sont offertes en plants au début de saison.

Parmi ces indigènes remarquables figurent la sanguinaire du Canada et son rejeton, la sanguinaire à fleur double, Sanguinaria canadensis «Multiplex», beaucoup plus rare et coûteuse. Plus éphémère que ses parents, cette splendeur ne fleurit que durant quelques jours, mais ce sont des moments de pur bonheur. Les feuilles de sanguinaire sont aussi fort décoratives.

Les trilles sont également de ceux qui fleurissent tôt. Le plus hâtif est le Trillium erectum, le trille rouge, suivi par le trille blanc, Trillum grandiflorum, ses pétales passant du blanc au rose en fin de maturité. Il se vend aussi un cultivar à fleur double mais il est hors de prix, souvent plus de 100$ pièce, et il est moins intéressant que ses parents. Certaines autres espèces comme le trille jaune (Trillum luteum) sont aussi très beaux mais un plus tardifs. Par contre, la floraison dure plus longtemps et leur feuillage est marbré de vert pâle. Les feuilles des trilles disparaissent au cours de l'été. Il vaut donc mieux noter leur emplacement.

Avec ses fleurs blanches en forme de clochettes, le sceau de Salomon fait aussi merveille au printemps. Son beau feuillage perdure jusqu'au gel. Un cousin relativement populaire, celui-là, Polygonatum odoratum, présente un feuillage panaché de blanc crème aux nervures rouges.

Chez les érythrones, il faut s'attarder à l'espèce européenne, Erythronium denscanis, aux fleurs rose foncé ou mieux encore, car plus facile à trouver, à l'Érythrone «Pagoda» aux fleurs jaunes, plus grande que la première avec ses hampes florales d'environ 30 cm de hauteur. L'une et l'autre prennent de l'ampleur avec les années et se contentent d'un sol ordinaire et d'une position légèrement ombragée. Attention! Même si la tentation peut parfois être forte, ne prélevez pas d'érythrones (Erytronium americanum) dans la nature (ni toute autre plante sauvage d'ailleurs) car le résultat est très décevant. Seule une minorité de plants donne des fleurs. J'ai aussi vécu la même situation avec le dicentre à capuchon, un joli coeur saignant tout de blanc vêtu. Très envahissant, il ne produit presque pas de fleurs au jardin, du moins chez moi.

Autre beauté indigène printanière peu connue: l'uvulaire grandiflore. Peu exigeante en matière de sol, elle produit des fleurs jaunes retombantes, très particulières.

Les actées ont aussi une floraison très hâtive mais, dans ce cas, ce sont plutôt les fruits rouges (Actaea rubra) ou encore les jolies baies blanches de l'actée à gros pédicelles qui retiendront l'attention à la mi-juillet.