Un mal qui répand la terreurMal que le ciel en sa fureurInventa pour punir les crimes de la terre.La berce, puisqu'il faut l'appeler par son nom...

La première fois que j'ai vu des photos de blessures causées par la berce du Caucase, la fable Les animaux malades de la peste m'est tout de suite venue à l'esprit, mais en lui substituant le mot berce. Plusieurs plantes peuvent causer de sérieuses dermatites et l'herbe à la puce en est l'exemple le plus connu. Les ravages de cette berce sont cependant beaucoup plus graves.Si le contact avec la sève ne produit aucune douleur immédiate, le malheur est à venir. Un composé chimique contenu dans la sève s'active par l'action des rayons ultraviolets du soleil et provoque une brûlure de la peau au deuxième degré. Normalement, le processus débute une quinzaine de minutes après le contact et atteint son paroxysme dans les 30 minutes. Il arrive que la réaction soit beaucoup plus tardive, jusqu'à 24 ou 48 heures plus tard.

Il se forme alors de grosses cloques parfois très douloureuses même si elles ne piquent pas comme dans le cas de l'herbe à la puce. La guérison prend habituellement une semaine, une période au cours de laquelle il faudra éviter de s'exposer au soleil. Le plus étonnant, c'est que les cicatrices deviennent souvent autant de taches foncées ou noirâtres qui perdurent des semaines et parfois même des années, jusqu'à six ans selon la documentation scientifique sur le sujet. Plus encore, les lésions restent souvent sensibles au soleil par la suite. Il est conseillé d'utiliser un écran solaire de force 30 et plus durant au moins six mois après la rencontre maléfique. On peut même être affecté indirectement, notamment par les vêtements.

En cas de contact, éviter d'exposer la peau atteinte au soleil, utiliser du papier absorbant pour enlever la sève et laver au savon. S'il y a apparition de cloques sur une grande surface du corps, si les yeux sont atteints ou encore, si la victime souffre de fièvre, consulter sans délai un médecin ou contacter Info-Santé au 811. Bref une monstruosité végétale qu'il faut absolument éviter et éradiquer, si la chose est possible. Rien à voir avec l'herbe à la puce.

Une plante décorative très envahissante

Monstruosité, vous disais-je. Eh bien, la berce du Caucase atteint habituellement 2 à 3 m, parfois 5. Ses feuilles sont gigantesques, de 1,5 à 3 m de longueur; ses ombelles de fleurs font souvent 30, 40 et même 60 cm de diamètre. Elles sont magnifiques et spectaculaires lorsque séchées au bout du plant. C'est d'ailleurs ce gigantisme qui a permis à la berce de voyager.

En dépit de son caractère «brûlant», la plante originaire de l'ouest du Caucase, vraisemblablement de la Géorgie et autres pays limitrophes, s'est retrouvée en Angleterre en 1817 à des fins décoratives et quelques années plus tard, elle s'était déjà échappée de culture. Ce sont encore les amateurs de jardinage qui l'on propagée un peu partout en Europe, même dans la lointaine Islande, et ce sont encore des passionnés de jardins qui ont importé des graines aux États-Unis en 1917. Elle est maintenant présente dans plusieurs États du nord-est des États-Unis, sur la côte Ouest canadienne et américaine (Colombie-Britannique, Washington, Oregon), en Ontario et dans certaines provinces Maritimes. Presque partout, la plante est considérée par les autorités comme un risque pour la santé publique.

Il aura fallu attendre 1990 avant qu'elle ne soit officiellement répertoriée au Québec. Pour l'instant, sa distribution québécoise est mal connue. On sait qu'elle est présente à Québec et dans la région limitrophe, notamment dans Portneuf ainsi qu'à Sainte-Anne-des-Lacs, dans les Laurentides, près de Saint-Sauveur. Mais tout laisse croire qu'elle pousse à plusieurs autres endroits, notamment dans certains jardins.

Le plus étonnant, du moins ici, c'est que les cas de brûlures attribuables à la plante et dûment enregistrés se comptent seulement sur les doigts de la main, probablement parce que les victimes ne connaissent pas le nom de la berce maléfique et ignorent peut-être qu'elle a été la cause de leur tourment. Mais il y a fort à parier que les méfaits du monstre végétal prendront de l'ampleur. Je sais que des agriculteurs et des jardiniers sont au désespoir et ne savent actuellement à quel saint se vouer.

En effet, Heracleum mantegazzianum, de son nom scientifique, est aussi extrêmement envahissante. À tel point, comme c'est le cas dans plusieurs pays, qu'elle inquiète les autorités du ministère québécois de l'Agriculture, de l'Environnement et certains bureaux régionaux du ministère de la Santé et des Services sociaux. La berce est vivace en zone 3, sinon en régions plus froides, elle exige habituellement deux ou trois ans pour fleurir, puis sa racine meurt. Entre-temps, elle aura produit autour de 30 000 graines qui lui permettront de se répandre un peu partout.

Que faire si vous croyez avoir découvert le monstre du Caucase: signaler sa présence au Réseau de surveillance des plantes exotiques envahissantes, puis l'éliminer, si la chose est possible, en prenant toutes les précautions nécessaires. Vous trouverez une foule d'informations sur le site du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs: www.mddep.gouv.qc.ca/biodiversite. Vous n'avez qu'à cliquer sur «espèces nuisibles».

Il existe aussi une berce indigène au Québec, la berce laineuse ou grande berce. Pour les néophytes que nous sommes, la distinction peut prêter à confusion si on fait abstraction du gigantisme de la plante européenne. La plante d'outre-mer produit souvent des taches pourpres sur ses tiges, ce qui n'est pas le cas de la berce locale et ses ombelles comptent de 50 à 150 rayons. Incidemment, la berce laineuse est aussi toxique mais ses brûlures sont beaucoup moins importantes.

 

Appel au public pour localiser les indésirables

Il existe autour de 800 espèces de plantes exotiques introduites dans la nature québécoise, dont 135 sont sujettes à problèmes, explique Isabelle Simard, coordonnatrice au Service des écosystèmes et de la biodiversité au ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs. La berce du Caucase, la fameuse renouée japonaise, la châtaigne d'eau ou encore le phragmite en sont de bons exemples. Bien sûr, il est bien difficile pour une poignée de scientifiques de localiser toutes ces plantes sur le territoire en dépit de leur bonne volonté.

C'est pourquoi en février dernier l'Union Saint-Laurent-Grands Lacs a lancé, en collaboration avec Québec et Ottawa, le Réseau de surveillance des plantes exotiques envahissantes, un outil de détection en ligne qui fait appel au grand public afin de localiser rapidement les foyers d'infestation, si petits soient-ils, et d'éradiquer les plantes nuisibles dans les plus brefs délais, au besoin. Évidemment, il n'est pas question de se lancer dans une campagne d'éradication du phragmite ou de la salicaire pourpre, par exemple, mais certaines autres espèces pourraient effectivement faire l'objet d'un contrôle pour éviter ou limiter l'invasion. Pour l'instant, 14 espèces sont surveillées de très près. Parmi elles, trois n'ont pas encore été signalées au Québec, dont le kudzu, une liane plante jadis introduite aux États-Unis comme plante fourragère ou pour combattre l'érosion des sols. Le kudzu est maintenant rendu dans la région du lac Érié. Il peut produire des tiges de 20 m en une seule année et couvrir des forêts entières.

On devient membre du réseau gratuitement (www.rspee.glu.org). Les informations glanées sont validées à l'aide de photos analysées par des experts. Le but est de dresser une carte de distribution et de suivre du même coup l'évolution de chaque indésirable. Bien conçu, le site contient une documentation sur chaque plante intéressante et complète. Évidemment, vous pouvez commencer par signaler la présence de la salicaire ou de la renouée japonaise dans votre jardin. N'ayez crainte, on ne vous enverra pas un commando pour saccager vos platebandes. Cette information permettra néanmoins de savoir si la plante est présente dans un secteur donné.

Fondée en 1982, l'Union Saint-Laurent-Grands Lacs est une coalition internationale vouée à la protection des écosystèmes. Présent dans huit États américains, en Ontario et au Québec, l'organisation dirige notamment des activités de restauration environnementale.

Photo: fournie par le Jardin botanique de Montréal

La salicaire pourpre est une des espèces visées par le Réseau de surveillance des plantes exotiques envahissantes.