Une fraîche pensée pour les violettes

Les violettes sont souvent les premières vivaces à fleurir au printemps. À vrai dire, elles conservent parfois leurs fleurs durant l'hiver sous la neige, si bien qu'elles peuvent s'ouvrir toutes grandes dès les premières caresses du soleil.

Les violettes sont souvent les premières vivaces à fleurir au printemps. À vrai dire, elles conservent parfois leurs fleurs durant l'hiver sous la neige, si bien qu'elles peuvent s'ouvrir toutes grandes dès les premières caresses du soleil.

 Elles poussent facilement presque partout. Il leur arrive même de s'installer dans le gazon où elles ont appris à se faire suffisamment petites pour éviter le couperet de la tondeuse. D'ailleurs, certaines d'entre elles peuvent devenir envahissantes si on ne modère pas leurs transports. Très malignes, plusieurs ont en effet profité de l'évolution pour s'inventer un ingénieux système de catapulte particulièrement efficace pour lancer leurs graines à tout vent.

 Dans son excellent ouvrage Flore printanière (Fleurbec éditeur), la botaniste Gisèle Lamoureux raconte que la violette des champs, par exemple, produit ses graines dans une capsule qui permet aux fruits de mûrir très discrètement, sous terre. Mais, quand le jour de la délivrance arrive, elle peut projeter sa descendance à plus de deux mètres de distance. Cette espèce annuelle qui nous est arrivée d'Europe voilà 150 ans peut produire autour de 40 000 graines en un seul été. On peut comprendre que dans certaines contrées européennes, elle soit considérée comme nuisible à l'agriculture.

 On compte environ 500 espèces de violettes répandues un peu partout dans le monde dans divers habitats. Au Québec, on en dénombre une trentaine, dont plusieurs ont droit à une longue présentation dans Flore printanière, notamment Viola tricolor, une de mes favorites, toujours en vente d'ailleurs, une autre échappée de culture qui nous vient d'Europe, l'espèce qui nous a donné les violettes à grandes fleurs, les pensées.

Des centaines de variétés

 Mais quelle est la différence entre les violettes et les pensées?

 Pour les amateurs de jardinage, la différence fondamentale reste la grosseur de la fleur. La réalité botanique est un peu plus complexe. Le terme pensée était déjà utilisé autour des années 1460 pour désigner la violette, qui était considérée à l'époque comme l'emblème du souvenir, nous dit Le Petit Robert. Le mot faisait donc partie du langage courant bien avant que les pensées modernes ne fassent leur apparition au XIXe siècle, à la suite du croisement de Viola tricolor puis de plusieurs autres espèces. Mais les pensées, qui sont toutes des hybrides d'origine complexe, ont toujours conservé un des caractères d'origine de leur première mère, si on peut dire, cette petite tache jaune au centre de la fleur. Le terme anglais de pansy est un calque du terme français.

 Toutes les violettes possèdent deux pétales dressés vers le haut, deux pétales horizontaux et un autre souvent en forme d'éperon, qui regarde le sol. Annuelles ou vivaces, elles se resèment facilement et sont très rustiques. On pourrait d'ailleurs les planter en début d'automne, lorsqu'elles sont en fleurs, pour obtenir une floraison dès le mois d'avril.

 Les pensées comptent quatre pétales à la partie supérieure de la fleur dont deux se superposent. Le cinquième, parfois plus grand, est situé à la partie inférieure. Elles sont bisannuelles mais, aujourd'hui, on peut obtenir des fleurs quelques mois seulement après le semis et elles sont ensuite vendues en tant qu'annuelles. Violettes et pensées fleurissent abondamment par temps frais, mais ont tendance à s'épuiser pendant les grandes canicules estivales pour ensuite reprendre leur souffle en août, quand le temps se rafraîchit. Le spectacle se poursuivra alors jusqu'aux gels.

Certaines violettes se mangent et sont largement utilisées en France en confiserie. Il est d'ailleurs relativement facile de les cristalliser avec du sucre. Tout bon livre de cuisine traitant de plantes sauvages offre quelques recettes originales à base de pétales de violette. D'autres sont odorantes, dont Viola odorata, une autre échappée de culture au Québec, celle dont on se sert en parfumerie. Offerts au Québec, les cultivars «Royal Robe», de couleur violette, et «White Czar», aux fleurs blanches, conservent parfois un peu de ce parfum d'origine.

 Les pensées n'émettent aucun parfum particulier mais, en contrepartie, on en compte des centaines de variétés aux coloris inimaginables. Elles produisent des fleurs habituellement beaucoup plus grosses que les violettes. Par contre, certaines hybridations récentes ont aussi donné des violettes aux fleurs très grandes.

 Changement de coloris

 C'est le cas d'ailleurs de la violette «Rain Blue and Purple», la seule plante de platebande qui figure parmi les vedettes de l'année 2009 de la prestigieuse All-America Selections. Ses fleurs atteignent 3 à 4 cm de diamètre. Ce nouveau cultivar résiste au froid et peut aussi tolérer des périodes de grande chaleur. Il a retenu l'attention des juges parmi des centaines d'autres hybrides en démonstration en raison de son changement de coloris. En effet, les fleurs débutent leur existence en étant de couleur pourpre et blanche mais au fur et à mesure qu'elles prennent de l'âge, elles tournent au blanc et au bleu. Le plant atteint autour de 15 cm et peut prendre jusqu'à 25 à 30 cm d'envergure. «Rain Blue and Purple» convient donc très bien aux boîtes à fleurs ou aux jardinières, d'autant plus que sa floraison s'étend du printemps jusqu'à la fin de l'été.

Le hic, c'est que ce plant risque parfois d'être difficile à trouver, comme c'est souvent le cas au Québec des plantes primées par la All-America, même si ses vedettes jouissent toujours d'une bonne couverture médiatique. Je me suis d'ailleurs lassé depuis un bon moment de trouver une explication au phénomène.

 Les semis de pensées et de violettes sont faciles à réussir. Il suffit de procéder à l'intérieur vers le début de mars, comme cela se fait en culture commerciale, pour pouvoir profiter de la floraison durant l'été. D'ailleurs, chez les producteurs, dès que les plants ont atteint une taille raisonnable, vers la mi-avril, ils sont placés à l'extérieur pour laisser la place aux autres annuelles en production, si bien qu'on peut les planter directement au jardin ou dans les boîtes à fleurs sans acclimatation préalable.

 Pensées et violettes sont peu exigeantes. Si les sols lourds à haute teneur d'argile ne leur conviennent pas, elles se contentent d'un terreau ordinaire contenant du compost, mais pas en excès. Évitez aussi de fertiliser, car cela provoquera le développement du feuillage au lieu de produire une abondance de fleurs. L'une et l'autre vont fleurir à l'ombre légère, mais seront plus prolifiques en plein soleil, la position idéale étant une exposition au soleil du matin ou de fin de journée. La floraison sera plus abondante et plus continue si on prend soin d'éliminer les fleurs fanées. Certaines pensées vont aussi donner des semences qui pourront produire des fleurs l'année suivante.

 Au bord des routes

 Le terme scientifique et latin de viola est originaire d'un terme grec dont la prononciation est semblable à via et qui désignait la violette. Certains estiment par contre que via ferait peut-être allusion aux routes romaines (via), car les violettes poussaient abondamment le long des voies de circulation de l'empire.

 Des graines à la couenne dure

 Les violettes se sèment et se resèment facilement. Leurs graines ont d'ailleurs la couenne dure, une caractéristique dont il faut se méfier quand on les met dans le compost. Si les normes de compostage domestique ne sont pas appliquées correctement, la chaleur produite pendant la décomposition du matériel végétal ne sera pas suffisante pour détruire virus et bactéries pathogènes, certains bulbes de même que les graines coriaces comme celles des violettes.

 Je me souviendrai toujours de ce gigantesque tas brassé régulièrement et avec soin, puis tamisé à la main, quelques tonnes d'un compost fin, à l'odeur agréable, que j'ai répandu sur toutes mes platebandes au cours de l'automne. Et au printemps suivant, quelques violettes ont commencé à faire leur apparition. Puis en quelques jours, elles ont commencé à se manifester à grande échelle, au point que toutes les platebandes ont été recouvertes d'un dense tapis violet. Un cauchemar. Quelques dizaines de violettes dans le jardin, c'est le paradis. Des dizaines de milliers, c'est l'enfer. À moins qu'elles ne servent de couvre-sol!