À la fin novembre, par exemple, Henri Poupart chassait l'outarde à Hawkesbury, en Ontario, à trois ou quatre kilomètres de la frontière québécoise. À sa grande surprise, un des oiseaux abattus au cours de l'excursion était une bernache nonnette, une espèce d'origine européenne semblable à la bernache du Canada. Autre coup de chance, l'oiseau portait une bague à chaque patte, dont l'une indiquait le nom d'une institution scientifique du Royaume-Uni.

À la fin novembre, par exemple, Henri Poupart chassait l'outarde à Hawkesbury, en Ontario, à trois ou quatre kilomètres de la frontière québécoise. À sa grande surprise, un des oiseaux abattus au cours de l'excursion était une bernache nonnette, une espèce d'origine européenne semblable à la bernache du Canada. Autre coup de chance, l'oiseau portait une bague à chaque patte, dont l'une indiquait le nom d'une institution scientifique du Royaume-Uni.

Ex-journaliste (il a été rédacteur de la chronique de chasse et pêche durant plusieurs années à La Presse), recyclé dans le domaine de la pourvoirie, Henri Poupart est toujours resté un grand amateur d'oiseaux. En 1998, il avait signalé la nidification d'un couple de tourterelles tristes, à deux pas de Tasiujaq, sur le bord de la baie d'Ungava à 160 km au nord-ouest de Kuujjuak, une première dans ce coin de pays. Cette fois-ci, la bague permet de confirmer officiellement que «sa» bernache nonnette est la

première à nous arriver d'Europe. La situation est d'autant plus cocasse qu'il semble bien que le même individu ait été signalé à la même époque à Saint-Thimothé, près de Valleyfield, à environ 30 km de l'endroit où elle fut abattue. Une observation inscrite sur site Les oiseaux rares du Québec (www.oiseauxrares.qc.ca).

À chaque année, une ou deux bernaches nonnettes sont observées au Québec, comme c'est le cas ailleurs sur le continent. Toutefois, faute de preuve évidente, on a toujours cru qu'il s'agissait d'oiseaux d'élevage, cette espèce étant très prisée des collectionneurs, autant en Amérique du Nord qu'en Europe. Mais notre visiteuse, un mâle, a été baguée le 9 novembre 2004, dans la réserve de la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB), dans l'île d'Islay, tout près de la côte ouest de l'Écosse où elle passait l'hiver. Il s'agissait alors d'un jeune né au cours de l'été précédent.

Toute la population qui séjourne à cet endroit, environ 40 000 oiseaux, niche au sud-ouest du Groenland. «Il s'agit d'une découverte très excitante», écrit par courriel Steve Percival, chercheur écossais et consultant en écologie, qui a confirmé l'identification de l'oiseau à La Presse. «Au cours des années, des milliers de bernaches nonnettes ont été baguées à cet endroit, mais c'est la première fois, selon moi, qu'une d'entre elles est retracée au Canada et même dans toute l'Amérique du Nord», dit-il.

Un grand hasard

Mais comble de hasard, tout indique que c'est M. Percival lui-même ou un membre de son équipe qui a bagué l'oiseau récupéré à la frontière ontarienne, indique pour sa part le responsable du département des sciences biologiques à l'UQAM, Jean-Francois Giroux. La Presse avait fait appel à ce scientifique québécois, spécialiste des oies, pour découvrir l'origine exacte du palmipède. Or, M. Giroux a déjà fait des recherches dans l'île d'Islay en compagnie de Steve Percival.

Comment la bernache écossaise (ou danoise) s'est-elle retrouvée au Québec? «C'est la partie mystérieuse de l'aventure, répond M. Giroux. Il existe de petits groupes de bernaches du Canada et d'oies des neiges qui nichent au Groenland et reviennent sur le continent américain pour hiverner. Le hic, c'est que les nonnettes, les oies et les outardes nichent à des endroits différents et assez éloignés les uns des autres. Comment la bernache nonnette s'est-elle retrouvée en compagnie des bernaches du Canada, on l'ignore évidemment.»

Manifestement, l'oiseau égaré s'est joint par la suite à des cousins nord-américains à son arrivée sur le continent, puisque les bernaches et les oies des neiges du Groenland ne passent jamais par la région d'Hawkesbury pour se rendre aux États-Unis, mais plutôt par la côte atlantique dans le cas des oies blanches ou beaucoup plus à l'ouest, au Manitoba, dans le cas des bernaches du Canada.

Autre sujet d'interrogation: la présence d'un oiseau européen chez nous à la suite d'un changement de couloir migratoire suscite des questions sur la propagation de la grippe aviaire. «Nous tenons souvent pour acquis que les contacts entre les populations d'oiseaux d'Europe ou même d'Asie avec celles de l'Amérique du Nord sont inexistants. Mais ce n'est pas tout à fait le cas. Il ne s'agit pas de s'alarmer. Les probabilités de contamination intercontinentale sont infimes mais elles existent», fait valoir M. Giroux.

Étrange étymologie

Le nom bernache a été attribué pour la première fois à la bernache nonnette à l'époque du Moyen Âge. Comme l'oiseau niche dans le Grand Nord de l'Europe et que les populations du Sud ne le voyaient qu'à partir de l'automne, sur les aires d'hivernage, on croyait que ce palmipède n'émergeait pas d'un oeuf comme les autres volatiles.

On pensait qu'il s'agissait plutôt du rejeton d'un étrange crustacé ressemblant à un coquillage et qui répondait alors au nom de bernache, barnache ou bernacle, d'où le terme barnacle goose, en anglais.

Aujourd'hui appelé anatife, ce crustacé se fixe aux épaves par un muscle qui forme un long pédoncule donnant à la bête l'allure de la tête et d'un cou d'oie, du moins si on a une imagination fertile. D'ailleurs, le mot anatife signifie «qui produit des canards», à cause d'une légende voulant que les canards déposaient leurs oeufs dans le coquillage, nous apprend le Petit Robert.

Quant à l'appellation nonnette, petite nonne, elle vient des plumes noires recouvrant partiellement la tête de l'oiseau, rappelant ainsi la coiffe noire que portaient les religieuses, du moins à une époque pas tellement lointaine.

Le terme s'applique aussi à la mésange nonnette, une espèce répandue dans une bonne partie de l'Europe de l'Ouest et semblable à notre mésange à tête noire. La mésange nonnette affectionne forêts, parcs, vergers et jardins, et se nourrit volontiers aux mangeoires.

Un dernier mot: le terme outarde, couramment utilisé au Québec pour désigner la bernache du Canada, nous vient des premiers arrivants français qui ont confondu notre oie avec l'outarde canapetière, un oiseau européen juché sur de grandes pattes et de la taille d'un gros faisan dont la silhouette peut vaguement rappeler notre palmipède familier.

Un oiseau de l'Arctique

Beaucoup plus petite que la bernache du Canada, la bernache nonnette a le cou et le haut de la poitrine noirs, mais sa tête est presque entièrement blanche. Sa poitrine est aussi très pâle. Chez notre outarde, seuls les joues et le dessous de la tête sont blancs alors que la poitrine est gris très foncé.

La bernache nonnette est un oiseau typique de l'Arctique. On en compte trois populations indépendantes qui nichent sur la côte sud-est du Groenland, dans l'île norvégienne du Spitzberg, à l'est du Groenland, ou dans l'archipel de Nouvelle-Zemble, dans l'océan Arctique, au large de la Russie, un endroit où se sont déroulés à l'époque de nombreux essais nucléaires souterrains. De nature très grégaire, ces oiseaux nichent en petits groupes, parfois denses, nous dit l'auteur Steve Madge, dans son Guide des canards, des oiseaux et des cygnes (Delachaux et Niestlé). Le nid est souvent établi dans une île, sur une falaise rocheuse, parfois au milieu d'une colonie d'oiseaux marins. En Nouvelle-Zemble, l'oiseau recherche à l'occasion la présence du faucon pèlerin afin de profiter, croit-on, de sa protection contre certains prédateurs.

La bernache nonnette produit de trois à cinq petits par année qui peuvent prendre leur envol environ 45 jours après l'éclosion. Le régime alimentaire est végétarien. Ces oiseaux hivernent aussi à des endroits distincts, surtout dans les îles Hébrides, au nord-ouest de l'Écosse et en Irlande. Ceux du Spitzberg vont dans le nord-ouest de l'Angleterre et le sud-ouest de l'Écosse.

Quant à la population russe, elle passe surtout l'hiver dans les Pays-Bas. Le palmipède est rarement signalé ailleurs en Europe et la plupart du temps, il s'agit d'oiseaux échappés de captivité. La population globale, qui serait en croissance, se situe autour de 120 000.

Leur présence en milieu agricole au cours de l'hiver donne parfois lieu à des conflits avec les agriculteurs qui, dans certains cas, obtiennent des permis de chasse pour les éloigner de leurs terres.

Une bernache ou un scotch?

L'île d'Islay est minuscule. Elle s'étend sur 40km du nord au sud et en mesure à peine une trentaine de largeur. On y trouve pas moins de sept distilleries. Nous sommes au pays du scotch. Mais le scotch et les bernaches ne vont pas nécessairement ensemble. Non pas que les oies soient victimes d'éthylisme, mais elles font plutôt compétition aux distilleries.

Dans les années 80, le projet de création de la réserve naturelle de la RSPB avait soulevé une farouche opposition des distillateurs locaux. Le projet visait à protéger des aires agricoles pour les bernaches qui faisaient face alors à un déclin prononcé de la population. Non seulement on réduisait ainsi le potentiel de production d'orge, mais la hausse éventuelle du nombre d'oiseaux était susceptible de nuire aux producteurs céréaliers dans le reste de l'île à cause des dommages causés aux cultures. Mais les oies ont eu gain de cause. Elles sont aujourd'hui beaucoup plus nombreuses, et le scotch coule toujours à flots.