Par exemple, certains oiseaux s'aventurent de plus en plus vers le Nord, comme c'est le cas notamment de la paruline à croupion jaune qui visite depuis quelques années la terre de Baffin, au-delà du cercle arctique. Selon le chercheur Joël Bêty, de l'Université du Québec à Rimouski (UQAR), il est démontré aussi que l'hirondelle bicolore niche environ 10 jours plus tôt qu'il y a 30 ans.

Par exemple, certains oiseaux s'aventurent de plus en plus vers le Nord, comme c'est le cas notamment de la paruline à croupion jaune qui visite depuis quelques années la terre de Baffin, au-delà du cercle arctique. Selon le chercheur Joël Bêty, de l'Université du Québec à Rimouski (UQAR), il est démontré aussi que l'hirondelle bicolore niche environ 10 jours plus tôt qu'il y a 30 ans.

Pour leur part, les migrateurs de courte distance (pluvier kildir, merle d'Amérique, étourneau, geai bleu, etc.) arrivent sur les territoires de reproduction nordiques 13 jours en avance par rapport aux données enregistrées il y a 90 ans. Chez les migrateurs de longue distance, notamment ceux qui hivernent en Amérique du Sud, ce délai est de quatre jours. Cette différence explique d'ailleurs les répercussions que le changement climatique pourrait avoir sur une foule d'espèces. Le phénomène est perceptible actuellement chez notre grande oie blanche.

Joël Bêty étudie la migration, la reproduction de même que le rôle écologique des oiseaux dans leur milieu naturel, notamment dans la toundra, un environnement plus sujet et plus sensible que bien d'autres à la hausse de la température globale. «À l'échelle continentale, les changements climatiques ne seront pas uniformes, loin de là, dit-il. Or, nos oiseaux migrateurs, c'est-à-dire la majorité de nos espèces, devront s'adapter aux changements qui affecteront ces écosystèmes. L'adaptation sera plus problématique si ces modifications sont brusques et prononcées comme c'est justement le cas dans l'Arctique.»

Un retard fatal

Le chercheur rappelle que les oiseaux se reproduisent toujours à la période la plus propice pour la survie des oisillons, c'est-à-dire au moment où la nourriture est la plus abondante. Or, le réchauffement climatique risque de perturber sérieusement ce synchronisme.

Ainsi, on constate une baisse marquée de certaines populations de gobemouches noirs aux Pays-Bas, explique Joël Bêty. Ce petit insectivore au dos noir et à la poitrine blanche hiverne en Afrique. Or, en raison de la hausse de la température, si faible soit-elle, la croissance de la végétation est plus avancée qu'elle ne l'était quand l'oiseau atteint les territoires de reproduction. Si bien qu'à son arrivée en terre néerlandaise, les insectes nécessaires au gobemouche pour nourrir adéquatement ses petits sont beaucoup moins nombreux.

La situation est encore plus délicate pour les espèces qui nichent dans le Nord parce que la période de croissance des plantes est extrêmement courte. Et une fois à maturité, la végétation commence à se dégrader très rapidement. L'oie des neiges, par exemple, fait son apparition à la terre de Baffin vers la fin mai ou début juin. La ponte débute vers la mi-juin et l'éclosion a lieu au début du mois de juillet. Les oisillons vivent alors une véritable course contre la montre. Comme le soleil disparaît à peine de l'horizon, ils broutent presque 24 heures sur 24. Ils n'ont guère le choix puisque l'envol aura lieu dans six semaines. Et il commence à neiger en août dans ce coin de pays.

«Si, pour une raison ou une autre, la période de reproduction est retardée d'une seule semaine, le succès de reproduction des oies chute de 90 %. Tout simplement parce que la nourriture de bonne qualité ne sera pas assez abondante, explique le chercheur. Les petits ne seront pas assez développés pour entreprendre la migration ou réussir le voyage. Or, de récentes données indiquent qu'un partie de la population arrive déjà un peu trop tard dans le Nord. On parle d'une journée ou deux.»

Moins de bécasseaux

Jusqu'à maintenant, on n'a pu mesurer l'impact du phénomène qui risque de prendre de l'ampleur. La population d'oies des neiges ne va pas s'effondrer demain matin, mais les oiseaux devront s'adapter au nouveau comportement de la végétation nordique.

Par ailleurs, en raison de la proximité de leurs aires d'hivernage et de reproduction, il sera probablement plus facile aux migrateurs de courte distance de s'adapter aux modifications de leurs habitats. Mais pour une espèce qui doit parcourir 4000 ou 5000 kilomètres afin de se reproduire, et parfois beaucoup plus chez celles qui hivernent en Amérique du Sud, ces changements seront sans doute plus difficiles à vivre. D'autant plus qu'au sud de la planète, les hausses de température seront moins élevées que dans le nord, un autre facteur de perturbation pour les grands migrateurs. Il leur sera vraisemblablement plus difficile de synchroniser abondance de nourriture et reproduction.

La situation pourrait devenir dramatique pour les voyageurs au long cours. Depuis des siècles, ils ont fréquenté leurs aires de repos en fonction de la nourriture disponible sur les lieux au moment de leur passage. Le climat risque là aussi de changer la donne.

D'ailleurs, chez la presque totalité des 24 espèces de bécasseaux qui nichent dans l'Arctique, au nord du Québec, on note actuellement un déclin prononcé. Tout laisse croire que les changements climatiques sont en cause, du moins en partie.

Le grand paradoxe

Les changements climatiques risquent d'entraîner la disparition de plusieurs espèces d'oiseaux à l'échelle du globe, notamment chez les espèces nordiques qui auront de la difficulté à trouver de nouvelles aires de nidification. Difficile en effet de nicher plus au nord que dans l'Arctique. Par contre, plus au sud, la faune aviaire du Québec devrait probablement s'enrichir, estime Joël Bêty.

C'est que plusieurs espèces vivant à la limite nord de leur aire de distribution sont susceptibles de s'installer chez nous si le climat se réchauffe un tantinet. La mésange bicolore, un oiseau répandu au sud de la frontière, niche depuis quelques années au Québec et sa population semble en expansion. On peut s'attendre aussi à ce que certaines espèces observées de plus en plus fréquemment au Québec finissent par y nicher régulièrement. C'est le cas du pic à ventre roux ou encore de la corneille des rivages, aperçue de plus en plus souvent dans le coin de Burlington, dans l'État de New York. D'autres espèces présentes chez nos voisins américains pourraient aussi s'établir en terre québécoise. Le coulicou à bec jaune, l'urubu noir, le troglodyte de Caroline, la paruline verte, la paruline à gorge jaune, la paruline du Kentucky et la paruline à capuchon, pour ne nommer que celles-là, sont aussi du nombre. Bienvenue!