Plusieurs d'entre elles se sont d'ailleurs installées à quelques mètres de la route, près de l'entrée principale de la réserve, où nous avions tout le loisir de les observer sans sortir de la voiture. Un geste très apprécié.

Plusieurs d'entre elles se sont d'ailleurs installées à quelques mètres de la route, près de l'entrée principale de la réserve, où nous avions tout le loisir de les observer sans sortir de la voiture. Un geste très apprécié.

Deux surprises au cours de ces quelques heures d'observation: les oies bleues semblaient plus nombreuses qu'en temps normal, sans doute le fruit d'un heureux hasard. Pour la première fois, je constatais aussi que certaines familles comptaient un rejeton de couleur extrêmement foncée, presque noir, contrastant avec le teint grisâtre de ses frérots et soeurettes. Au Service canadien de la faune, on explique que ces jeunes sont en réalité des oies bleues. Étrange!

Même si l'oie des neiges fait toujours l'objet de nombreuses études, notamment en raison de la hausse inquiétante de sa population, notre grand oiseau blanc du Nord ne nous a pas encore tout révélé sur sa vie intime.

L'oie des neiges est une espèce typiquement nord-américaine qui niche dans le Grand Nord, bien au-delà du cercle arctique. On en compte deux populations distinctes: la grande oie des neiges et la petite.

La grande oie, qui nous visite deux fois par année, niche au nord de la terre de Baffin, notamment dans l'île Bylot, où s'effectue la plus grande partie des recherches sur le terrain, et même dans l'île Ellesmere, plus loin encore, un territoire situé à deux pas de la pointe nord du Groenland. Comme son nom l'indique, elle est plus volumineuse; son poids moyen est de un à deux kilos de plus que celui de sa petite cousine. Cet automne, la population se situe autour d'un million d'individus.

La petite oie des neiges est à son tour subdivisée en deux groupes qui ont habituellement peu de contacts entre eux. Le groupe le moins important compte autour de 800 000 reproducteurs et niche au nord des Territoires du Nord-Ouest, jusqu'aux îles au nord de l'Alaska. Les autres se reproduisent en masse sur la terre de Baffin, mais plus au sud que «nos» oies blanches, ainsi que sur le versant ouest de la baie d'Hudson. C'est la population qui cause des problèmes. On en compte près de 5 millions et elles font des dommages considérables à l'environnement sur les aires de nidification et dans les terres agricoles plus au sud. Lors de la migration d'automne, plusieurs passent par la côte est de la baie d'Hudson et de la baie James pour ensuite bifurquer vers l'ouest. Et le rapport avec les oies bleues? Nous y arrivons.

Autour de 80% des petites oies blanches qui nichent dans le bassin de la baie d'Hudson et sur la terre de Baffin... sont bleues. À vrai dire, elles portent une robe presque noire mais leurs ailes ont une teinte bleutée. La tête est blanche et l'extrémité des plumes des ailes est bordée de blanc. Fort joli! Il existe toutefois beaucoup de variantes. Dans les ouvrages de référence, on parle souvent de la «phase» bleue, un terme qui porte à confusion car les oiseaux restent bleus durant toute leur existence. Les guides d'identification, eux, parlent plutôt de la forme «sombre», ce qui traduit beaucoup mieux la réalité.

Une question de génétique

Curieusement, la proportion d'oies bleues est en augmentation constante, une situation attribuable justement à leur coloris. Contrairement à leurs petites soeurs blanches, elles seraient moins visibles aux prédateurs sur les lieux de nidification nordiques et aux chasseurs qui les pourchassent dans les terres agricoles au centre du Canada et des États-Unis. Autre fait étonnant, on ignore toujours pourquoi la population de l'extrême ouest du continent reste presque entièrement blanche même si les contacts avec les oies «bleues» sont plus fréquents en raison de la hausse phénoménale des populations depuis deux décennies.

Retour au cap Tourmente. Le pourcentage des grandes oies des neiges présentant un plumage bleuté est de moins de 1%. La présence du gène responsable de cette couleur chez nos oies est attribuable à l'hybridation sporadique qui se produit entre les deux groupes d'oiseaux sur les aires de nidification. Mais il faut absolument que mâle et femelle en soient porteurs pour que l'effet puisse se manifester parmi la progéniture, une situation rarissime chez nos grands palmipèdes. Et même dans ce cas, les lois de la génétique feront en sorte que seulement une petite partie des jeunes sera bleue. Soulignons aussi qu'à chaque année, des individus et même quelques familles entières d'oies bleues se retrouvent au Québec durant la migration.