Il invite ses étudiants à examiner des pièces de la Monnaie royale du Canada, le logo du Fonds canadien de télévision -celui apparaissant au générique d'une foule d'émissions- ou plusieurs timbres de Postes Canada.

Il invite ses étudiants à examiner des pièces de la Monnaie royale du Canada, le logo du Fonds canadien de télévision -celui apparaissant au générique d'une foule d'émissions- ou plusieurs timbres de Postes Canada.

Le but de l'exercice: démontrer que les besoins en expertise dans ce domaine sont grands au pays. Mais sa stratégie pédagogique ne vise pas seulement à encourager ses élèves à poursuivre leurs études.

Jacques Brisson dénonce le manque de considération de plusieurs grandes institutions fédérales à l'égard de notre patrimoine végétal. Une indifférence qui conduit souvent à publiciser de véritables aberrations botaniques. Plus encore, ces sociétés d'État font la promotion d'une espèce nuisible à nos plantes indigènes, notamment notre érable à sucre.

M. Brisson comprend mal qu'on utilise si souvent l'érable de Norvège pour illustrer notre arbre emblème national, puisque le Canada compte plusieurs érables indigènes. On en retrouve d'ailleurs sept au Québec.

Voici le résultat des identifications des trois experts consultés par La Presse:

> Pièce de 5$ en argent (2002): feuilles et samares de l'érable de Norvège.

> Timbre automne 2003 (49 cents): feuilles et samares de l'érable de Norvège.

> Timbre automne 2003 (1,40$ et 80 cents): feuilles et bourgeons de l'érable de Norvège, mais couleur automnale inadéquate.

> Timbre automne 2003 (80 et 40 cents): feuilles et bourgeons de l'érable de Norvège. Encore là, couleur inadéquate.

> Timbre-photo automne 2004 (illustration provenant d'une photo): érable de Norvège.

> Logo du Fonds canadien de télévision: samares de l'érable de Norvège.

Dans ce dernier cas, la situation est encore plus ironique, fait valoir le professeur. Les samares sont aplaties, indiquant ainsi qu'elles sont stériles. Symbole étonnant pour un fonds qui veut stimuler la création.

Par ailleurs, depuis des décennies, la Monnaie royale du Canada nous montre une vision pour le moins étrange du monde des acéracées avec sa pièce de 1 cent. On y voit le motif de la feuille d'érable depuis 1937. En dépit de son réalisme, il s'agit simplement d'une vision artistique, une plante qui n'existe pas. Ici, les feuilles sont alternes, comme chez le platane. Chez les érables, elles sont toujours opposées l'une à l'autre.

Selon M. Brisson, même si ces illustrations sont habituellement des oeuvres artistiques, ce n'est pas une raison pour fausser la réalité. Il estime aussi que de mettre à l'avant-scène l'érable de Norvège est une aberration.

Présent sur le continent depuis une centaine d'années, cet arbre, d'origine européenne, a été le plus utilisé en milieu urbain et en horticulture. Il pousse vite, il est relativement résistant aux maladies et au sel. Il en existe au moins une vingtaine de cultivars et plusieurs comme «Drummondii» aux feuilles panachées et «Crimson King» aux feuilles pourpres sont très beaux et très populaires. Mais on a réalisé que dans certains milieux, comme sur le mont Royal par exemple, cet immigrant de longue date peut devenir une véritable calamité, au point d'y remplacer l'érable à sucre.

Conservatrice de l'Arboretum Morgan, à Sainte-Anne-de-Bellevue, un des fleurons du patrimoine végétal du Québec, Christina Idziak s'inquiète elle aussi de la présence de cette espèce dans sa collection forestière. «L'érable de Norvège est très prolifique. Il produit beaucoup de semences et pousse beaucoup plus rapidement que de nombreuses espèces d'arbres indigènes, même à l'ombre. Quand il atteint sa taille maximale, parfois plus de 20 mètres, son feuillage est si dense et son envergure si grande qu'il occupe tout l'espace. Il produit tellement d'ombre que plus rien ne pousse au sol, aucune plante herbacée, même pas les indigènes à floraison printanière comme le trille.» Dans l'arboretum, les érables de Norvège atteignent actuellement de six à huit mètres.

Mme Idsiak explique que le réseau de parcs de ravins de Toronto a été entièrement envahi par l'érable de Norvège qui a pris toute la place. Ces parcs, constitués par des ravins aux pentes relativement abruptes, abritaient une flore très diversifiée, souvent naturelle, composée notamment d'érables à sucre. Toute cette végétation est disparue au profit d'Acer platanoides qui s'est établi grâce aux graines provenant des arbres poussant sur les terrains privés. «Ce n'est vraiment pas une bonne idée de planter des érables de Norvège près d'une forêt naturelle», fait-elle valoir.

Si la situation est différente en milieu très urbanisé, il n'en reste pas moins que cet érable produit une tonne de samares et qu'il faut veiller à ce que le terrain ne soit pas envahi. À maturité, il donne une ombre intense et un réseau de racines superficielles si dense qu'il est difficile d'y faire pousser quoi que ce soit au pied. L'érable de Norvège est aussi sensible aux engelures, aux pucerons et à certaines maladies du feuillage qui deviennent ensuite difficiles à traiter en raison de son envergure.

Et qu'en pensent la Monnaie royale et Postes Canada? Collectionneur de monnaie de la région de Sherbrooke et grand amateur de botanique, Jean-Claude l'Heureux est le premier à avoir souligné ce problème. Il s'est fait répondre à quelques reprises qu'il avait tort; on lui a laissé entendre qu'il était un empêcheur de tourner en rond. À La Presse, on a signalé qu'après tout, un érable ou un autre, cela n'avait guère d'importance. À Postes Canada, on est même allé jusqu'à dire, au sujet de la forme des samares, que le professeur Brisson n'avait pas raison. Difficile d'être de plus mauvaise foi.