En 1960, la capitale nationale aussi bien que tout l'est de la province ont un besoin impérieux d'architectes. Jusque-là, Montréal n'en formait annuellement que quelques-uns. La distance détournait, semble-t-il, de nombreux jeunes de leur objectif.

Sous le gouvernement de l'Union nationale et de son chef Paul Sauvé qui, par son slogan «Désormais», signifiait son intention de se distancier du duplessisme, 19 architectes de Québec réclament l'établissement d'une école d'architecture. Ils l'obtiennent sur-le-champ. Ils voient en Noël Mainguy, alors président régional de l'Association des architectes du Québec (*), la personne idéale pour la piloter.

Ils le recommandent. Québec accepte. Il est nommé. Il n'a que 34 ans. Il en a, à présent, 84. «Ce fut, professionnellement, le plus beau temps de ma vie», confie-t-il au Soleil.

Il est né à Québec. C'est dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, au 581, Saint-Réal, en surplomb de la côte d'Abraham, qu'il grandit. Issu d'une famille de 13 enfants, d'un père courtier en assurances, il aime dessiner. Son frère aîné, déjà architecte, le fascine. L'idée de concevoir et de réaliser des bâtiments, tout comme lui, le soulève d'enthousiasme. «C'est ce que je ferai plus tard», décide-t-il.

Il fait ses études d'architecture à l'Université de Montréal. Passe ensuite un an à Paris, à l'Institut d'urbanisme de la faculté des lettres et sciences humaines de la Sorbonne. Reçu architecte en 1950, il entre aussitôt au service de son frère à Québec.

Fin 1955, il part à son compte. Avec Jean-Marie Roy, grand architecte en devenir, il fait route un moment. Ensemble, ils conçoivent et mettent en oeuvre un imposant immeuble institutionnel à Saint-Damien-de-Bellechasse.

Noël Mainguy se sent à l'aise en architecture résidentielle. Il crée de belles résidences dans la capitale dont celle, en 1958, du pdg de Simons du temps, Donald Simons. Encore qu'on lui doive aussi la chapelle Saint-Alphonse de l'église Saint-Charles-Garnier, à Sillery.

Sa créativité, sa vitalité intellectuelle, son esprit d'entreprise et de service le font accéder au poste de président régional de l'Association des architectes. À l'été de 1960, il prend les manettes de commande de l'École d'architecture de Québec. Huit ans après, il passe le flambeau à Fernand Tremblay, un architecte de notoriété du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

«Fernand Tremblay aura été d'ailleurs au nombre de l'équipe professorale fondatrice avec Évans Saint-Gelais, Jean-Marie Roy, Paul Béland, André Robitaille et le Polonais Zbigniew Jarnuskiewicz, lequel n'a jamais cessé de vivre à Québec et y vit, du reste, encore», raconte M. Mainguy.

Ils réussissaient tous bien dans leur pratique, se souvient-il. Bien que très occupés, ils mettaient tout de même leur savoir à la disposition de l'école. «Ils ne le faisaient pas pour les émoluments qui étaient symboliques, mais par amour de l'architecture tout en étant conscients de l'urgence d'établir une école, de participer à la création des programmes et de former des architectes», souligne M. Mainguy.

Il se félicite, en revanche, d'avoir eu, parmi les professeurs invités, des sommités tels Alfred Neumann et Boleslaw Schmitz. Les deux étaient doyens de facultés d'architecture. Le premier, de l'Université de Haïfa (Israël); le second, de l'Université de Varsovie (Pologne).

Trop peu de nouveaux

«Lorsque j'étudiais à Montréal, il y avait annuellement à la faculté deux ou trois étudiants nouveaux de la région de Québec. C'était peu, trop peu. Or, l'année même de son ouverture, en octobre 1960, l'école d'architecture accueillait 20 étudiants. Ils venaient de Québec, bien sûr. Mais aussi du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de Lotbinière et même du Nouveau-Brunswick», relate-t-il.

C'est en haut du 871, rue Saint-Jean, avant les remparts, que l'école a fait ses premiers pas. «L'équipement se résumait à quelques locaux de classe, des tables à dessin et une bibliothèque», continue M. Mainguy. L'École des beaux-arts, rue Saint-Joachim, juste à côté, lui ménageait l'apport de quelques professeurs de dessin.

Durant la première année, détaille l'ancien directeur, eu égard aux organisations physique, matérielle et pédagogique, il fallait déjà appréhender la deuxième. Durant la deuxième, la troisième. Et ainsi de suite jusqu'à la promotion des premiers bacheliers, en 1965.

Entre-temps, il a fallu déménager. «C'était vital», dit M. Mainguy. Rue Mont-Carmel, d'abord, dans le quartier latin. Là même où était le Marymount College, une institution d'enseignement pour filles, qui abrita ensuite l'École nationale d'administration publique (ENAP).

En 1964, l'École d'architecture joint l'Université Laval, de laquelle elle dépendrait désormais, et s'installe à la Cité universitaire. «Enfin nous étions avec les autres facultés. Nous ne nous sentions plus seuls», raconte cet homme de substance et de logique dont le fils est également architecte, bien qu'il ait embrassé la carrière de professeur d'arts plastiques.

En 1988, cependant, l'École d'architecture revient en ville. Soit dans le Vieux Séminaire, berceau même de l'Université Laval, près de la cathédrale.

Depuis sa fondation, l'école est ouverte jour et nuit. Pourquoi? demande Le Soleil à M. Mainguy. «Parce qu'elle est un lieu de créativité que le labeur, la discipline, l'esprit d'équipe, le besoin d'aller au fond des choses, le temps pour le faire et la convivialité font vibrer», répond-il. En 1968, il s'en va. Après un parcours réussi, malgré quelques secousses.

Le 20 juin 1960, les libéraux prennent le pouvoir et amorcent la Révolution tranquille. Par la suite, le gouvernement subit des pressions afin que l'École d'architecture ferme ses portes. Sous prétexte, semble-t-il, que son existence et la nomination de son directeur avaient été avalisées par le régime précédent. «Paul Gérin-Lajoie, le ministre de l'Éducation, s'en est confié à moi. Dans sa sagesse, il avait déjà conclu à l'inutilité de le faire, au motif qu'il n'y avait aucune raison valable», rapporte-t-il.

Heureusement. Car depuis, l'École d'architecture, qui fête jusqu'au printemps son cinquantenaire, aura «diplômé» 2500 personnes et fait germer le talent de grands architectes qui ont changé les couleurs de nos cités, d'autres plus effacés qui ont sculpté l'espace pour le mieux-être des individus et des familles.

(*) L'Association des architectes du Québec devint, plus tard, l'Ordre des architectes.