Inauguré en 1961, l'ancien siège social canadien de l'entreprise pharmaceutique suisse Ciba est situé à Dorval, en bordure de l'autoroute 20. Cet édifice corporatif aux lignes nettes n'a rien de tapageur et n'a jamais réellement attiré l'attention. Mais voilà, depuis quelque temps, plusieurs architectes s'y intéressent vivement et, tous avouent que ce bâtiment est un joyau méconnu de l'architecture moderne de l'après-guerre. «C'est un projet visionnaire dont la façade constitue l'un des premiers exemples québécois de mur-rideau. Cette façade légère en verre, dotée de meneaux métalliques, contribuait à abolir les limites entre l'intérieur et le paysage. Élégant, le complexe comporte aussi une perle rare: un plan d'eau au-dessus duquel planent un passage vitré et une rotonde qui abritait, jadis, la cafétéria des employés. Du jamais vu en matière d'architecture industrielle ! » souligne l'architecte Gary Michael Conrath, fondateur de l'agence Indesign.
«Cette réalisation misait sur toutes les disciplines du design: de l'architecture de paysage à l'art public en passant par le mobilier, l'architecture et l'urbanisme», enchaîne Richard Lafontaine, architecte associé à l'agence Lafontaine Langford.
Les débuts
Construit au tournant des années 1960, le bâtiment Ciba a été conçu par l'architecte Percy Booth en pleine période d'effervescence architecturale, à Montréal. Situé à proximité de l'aérogare internationale de Dorval, l'édifice s'élève sur une partie du domaine du Club de Golf Royal Montréal. En 1970, les compagnies Ciba et Geigy s'unissent. En 1996, Ciba-Geigy et l'entreprise Sandoz fusionnent pour former Novartis.
La redécouverte
Hiver 2006. L'architecte Gary Michael Conrath réalise un travail de recherche sur le sculpteur et architecte Norman Slater, dans le cadre du programme de sauvegarde du patrimoine moderne de l'UQAM. Il décide alors de se rendre sur les lieux de l'ancien siège social de Ciba, car non seulement Norman Slater y a réalisé une sculpture, mais il a conçu l'aménagement intérieur du bâtiment, ainsi que son agrandissement.
Le jour de son arrivée, M. Conrath constate que la sculpture a été vandalisée. Constituée à l'origine de 51 drapeaux en aluminium, il n'en restait que neuf. Le printemps suivant, il y retourne en prévision du démontage des restes de la sculpture et pour documenter son étude. Il en profite pour photographier l'édifice, à l'époque inoccupé.
La rénovation
Décembre 2008. La société en commandite Espace MV1 et MV2, composée de plusieurs investisseurs, dont des membres de l'agence Cardinal Hardy, achète l'édifice et le terrain de l'ancien siège social de Ciba.
«Certains des partenaires financiers croyaient qu'un bâtiment aussi long et épuré, situé à proximité de l'autoroute 20, n'avait aucun potentiel pour être transformé en copropriété. À leurs yeux, il n'avait pas de cachet résidentiel et il valait mieux le démolir», se souvient Aurèle Cardinal, architecte, urbaniste et président de l'agence Cardinal Hardy.
Reconnu pour ses multiples conversions d'édifices industriels en copropriété, Aurèle Cardinal mise aujourd'hui sur les qualités architecturales de l'ancien édifice afin de valoriser le site. Exemple : deux bâtiments neufs en forme de L délimiteront une cour arrière ainsi protégée du bruit de l'autoroute, ce qui rehaussera la qualité de vie des occupants.
«Notre objectif est de remplacer un milieu de travail exceptionnel en un milieu de vie... exceptionnel», dit-il. La rotonde qui abritait la cafétéria des employés sera d'ailleurs rénovée en un lieu de rencontre des copropriétaires. Et surtout, le petit joyau qui s'y trouvait, une murale en céramique réalisée par les artistes Jean-Paul Mousseau et Claude Vermette, sera préservé.
«Je suis attaché à cette oeuvre, car je connaissais le céramiste Claude Vermette, ainsi que son frère, un architecte», révèle Aurèle Cardinal.
C'est d'ailleurs aux deux artistes qu'on doit le nom du projet de copropriété : Espace MV. De même, la rue qui mène au complexe s'appelle «avenue Mousseau-Vermette».
Et la conservation?
Certains architectes, dont ceux de Docomomo Québec, une association qui se consacre à la diffusion et à la sauvegarde de l'architecture novatrice du XXe siècle au Québec, ont quelques craintes à l'égard de la rénovation de l'ancien siège social et, surtout, de la construction de maisons de ville au sein du projet.
«Les nouvelles maisons de ville offrent une architecture plutôt anodine. J'aurais imaginé une architecture plus étonnante», s'interroge l'architecte Sophie Mankowski, de Docomomo Québec.
À cela, Aurèle Cardinal répond: «Nous avions d'abord proposé des plans de bâtiments contemporains neufs à toit plat, entre le boulevard Bouchard et l'ancien bâtiment de Ciba, mais nous avons essuyé un refus catégorique du Comité consultatif d'urbanisme de Dorval.»
«Une pure question de goût», enchaîne Mario St-Jean, directeur du Service de l'aménagement urbain de la municipalité de Dorval. Ce dernier souligne toutefois que les plans de rénovation de l'agence Cardinal Hardy étaient fort respectueux de l'architecture originale du bâtiment existant. «Celui-ci a d'ailleurs été identifié par Dorval comme étant un bâtiment patrimonial», note M. St-Jean.
Enfin, face aux inquiétudes concernant la préservation de l'architecture de paysage, Aurèle Cardinal réplique: «Abandonné depuis plusieurs années, le bassin d'eau sera complètement reconstitué. Quant aux tracés circulaires de béton et de végétation, ils ont disparu. Ils seront toutefois remplacés par un aménagement paysager neuf autour du plan d'eau.»
Renseignements
Espace MV: www.espacemv.com
Exposition Dorval Radical 1961Jusqu'au 29 janvier, à la Maison de l'architecture du Québec: www.maisondelarchitecture.ca
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Exposition Modernisme menacé: Perspectives sur l'avenir de l'environnement bâti moderneJusqu'au 1er mars,au Centre d'exposition de l'Université de Montréal: www.ame.umontreal.ca/modernisme.pd