La Presse: Dan Hanganu, pourquoi et comment avez-vous quitté la Roumanie?

La Presse: Dan Hanganu, pourquoi et comment avez-vous quitté la Roumanie?

 Dan Hanganu: Je suis né en Roumanie, j'ai été éduqué par les communistes et j'ai quitté le pays en 1970, juste après le Nouvel An. Après mon départ, les gens se sont demandé pourquoi, car j'avais un bon emploi (j'étais professeur à la Faculté d'architecture) et j'avais une voiture qui coûtait environ 60 salaires mensuels. Mais je n'avais pas la liberté, ce champ ouvert devant soi... C'était la dictature et tout était contrôlé.

 Q: Que vous reste-t-il de votre éducation communiste?

 R: J'ai travaillé pendant 10 ans en Roumanie et les communistes ne nous donnaient pas le choix: c'était l'architecture soviétique, point final! C'était une architecture triste et morose. Mais je suis reconnaissant pour une chose: mon apprentissage de l'histoire et de l'architecture classique. Or, je m'aperçois aujourd'hui que derrière l'architecture feux d'artifice qui se fait actuellement – la wow architecture –, il y a peu de substance. Par chance, certains contemporains (Foster, Piano...) possèdent cette culture architecturale.

 Q: Comment avez-vous commencé votre carrière d'architecte au Québec?

 R: J'ai d'abord travaillé pour Victor Prus, un des meilleurs architectes canadiens, avec qui j'ai collaboré à la construction de la station de métro Langelier. Avant de m'associer à Eva Vecsei pour le projet de la Cité (Concordia), j'ai travaillé auprès de Dimitri Dimakopoulos qui a réalisé ce projet discutable: l'hôtel Concorde à Québec. En tout cas...

 

Q: En tout cas?

 R: Je pense que c'est un projet brutal qui fait abstraction totale du contexte. Aujourd'hui, on ne pourrait plus faire la même chose. Dans le temps, on démolissait sans aucune crainte ou complexe d'infériorité.

 Q: Avez-vous déjà cru à l'architecture brutaliste?

 R: À l'époque, en Europe, on était très impressionnés par la Place Bonaventure, une construction brutaliste. Dans le temps, le béton et la culture des néons étaient à la mode. On se disait qu'on n'avait pas besoin du soleil, car on faisait notre cadre intérieur avec des lumières artificielles. Mais honnêtement, non, je n'ai jamais été brutaliste.

 Q: Que pensez-vous des maisons qui se construisent au Québec?

 R: Les maisons d'aujourd'hui offrent tout: un garage avec une ou plusieurs portes automatiques, de l'éclairage naturel, une bonne ventilation, une excellente isolation, une étanchéité optimale et plusieurs autres commodités technologiques... Mais moi j'ai le culot de vous dire qu'une maison, c'est plus que ça. Comme un habit, une maison n'est pas faite uniquement pour vous tenir au chaud, elle peut engendrer des sentiments. De fait, elle enrichit votre vie personnelle, au même titre que la musique ou une exposition de peinture.

 Q: Votre opinion sur la popularité des néomanoirs?

 R: On s'obstine à imiter le style «manoir» et à utiliser de la pierre artificielle. Pourquoi? Parce qu'il y a cette équation dans la tête des gens: si c'était bon avant, c'est encore bon aujourd'hui. On est resté là! On se prostitue en faisant des pastiches... Allez aux Pays-Bas et même en Roumanie, ça n'existe pas des maisons à tourelles... neuves! On peut toutefois y voir un bâtiment contemporain en verre à côté d'un édifice du 19e siècle. Résultat: la construction de 2009 concorde avec la philosophie et les techniques actuelles! Je crois que dans le Nouveau Monde, comme au Québec, construire des néochâteaux est une façon de récupérer ce qu'on n'a jamais eu.

 

 

Q: Pourquoi l'architecture contemporaine est-elle peu présente dans l'habitation au Québec?

 R: Les constructeurs se disent «pourquoi ferions-nous autre chose puisque ça marche!» Surtout, ils négligent les bienfaits qu'apporte l'architecture moderne. C'est une question de culture et d'éducation. Je crois que l'architecture devrait être enseignée à l'école comme la musique ou le sport, car c'est l'art le plus présent dans notre vie. Les gens ne font pas l'effort de comprendre l'espace contemporain capable de créer des émotions grâce à la lumière, à l'orientation, aux proportions, à la fluidité de l'espace...

 Q: Quel est le bâtiment qui vous a rendu célèbre?

 R: Je ne sais pas si célèbre est le bon mot... Mais le musée Pointe-à-Callière a une histoire intéressante et pas nécessairement des plus amusantes. L'emprise de l'opinion publique (et des audiences publiques) sur l'architecture se faisait déjà sentir à l'époque. J'étais convaincu qu'il fallait faire un geste contemporain, mais au moment des comités et des commissions, mon projet a soulevé des réactions très négatives. On le trouvait trop moderne et trop haut par rapport aux bâtiments avoisinants. Les gens ne s'intéressaient qu'à deux choses: l'intégration formelle et la hauteur de l'édifice. C'est comme s'ils avaient jugé un roman en discutant seulement des dimensions de la couverture. Le musée a été qualifié de cicatrice sur le visage du Vieux-Montréal et d'éléphant blanc. Ça a été assez dur. Heureusement, le maire Jean Doré a eu cette phrase extraordinaire: «On ne construit pas pour le moment, mais pour l'avenir.»

 Q: Les critiques négatives vous ont-elles blessé?

 R: Non, je pense que j'étais trop jeune et dans le temps, j'étais plus confiant... Mais l'emprise de la «douce tyrannie de l'opinion publique» sur le métier d'architecte m'inquiète beaucoup. Je pense qu'il va falloir faire confiance aux experts. Honnêtement, le meilleur résultat issu des compromis à tout prix est la médiocrité. Dans l'histoire, les grands succès ont été faits par ceux qui ont eu la fronde et la formidable force (que je n'ai plus parfois) de tenir leur bout.

 Q: À vos yeux, qu'est-ce qu'un bâtiment bien intégré à son environnement?

 R: Je peux respecter un bâtiment voisin sans nécessairement le copier. Je considère que l'architecte contemporain a l'avantage de pouvoir utiliser un vocabulaire actuel tout en exprimant sa connaissance de l'histoire. Répéter et imiter correspond à nier ce que l'on est.

 Q: L'édifice de HEC Montréal est-il bien intégré?

 R: C'est le seul bâtiment au Québec à avoir reçu à la fois un prix citron et un prix d'excellence en architecture. Ça vous dit tout...

 

 

Q: Comment résumer votre style?

 R: D'abord, je m'intéresse au site et je me demande comment en tirer profit. L'autre de mes grands principes est le suivant: l'architecture doit contribuer à l'épanouissement de l'être humain. Je fanfaronne un peu, mais on m'a toujours dit que l'on se sentait bien dans mes bâtiments, à HEC Montréal, notamment. Ce que je construis représente une suite d'états d'âmes et de surprises. En architecture, on peut manipuler les espaces et créer des sentiments.

 Q: D'un côté, vous privilégiez les matériaux primaires à l'état brut. De l'autre, vous collectionnez les antiquités et les petits objets. Auriez-vous une double personnalité?

 R: Mes bâtiments affichent de la force et de la gravité tout en possédant une touche de poésie. Autrement dit, je cherche les contrastes. Je crois à la valeur sculpturale de l'architecture et je considère que certains détails (un tableau, une sculpture) doivent contrebalancer l'ensemble. Malheureusement, je constate que plusieurs de mes bâtiments n'ont pas eu droit à cette dernière touche qui fait toute la différence. J'ai conçu moi-même des sculptures qui n'ont jamais été posées à l'endroit qui leur était réservé. Moi, je suis latin jusqu'au bout des doigts et je crois que l'élément poétique rend l'architecture unique et peut adoucir certains jours difficiles. C'est pour ça que dans tous les bâtiments que je construis, il y a toujours une petite connerie, un clin d'oeil ou une blague!

 

Photo David Boily, La Presse

Impossible de rester indifférent devant l'imposante école HEC Montréal. L'édifice a soulevé la controverse, à l'époque de sa construction. Il a été réalisé en collaboration avec Jodoin Lamarre Pratte et associés architectes.