Que serait Montréal sans sa montagne ? Certains n'ont qu'à franchir le seuil de leur porte pour se retrouver sur ses pentes ! Ils habitent le Site patrimonial déclaré du Mont-Royal. Cette semaine : incursion dans le Mille carré doré.

La rue Redpath-Crescent, pratiquement englobée par le parc du Mont-Royal, est l'un des derniers ensembles bâtis du « Mille carré doré », ce quartier sur le flanc sud de la montagne occupé par la riche bourgeoisie anglophone entre 1850 et 1930.

S'y sont établis de riches commerçants écossais aux noms encore familiers :  John Redpath, James McGill, John Molson, Simon McTavish, mais aussi un architecte canadien-français du nom d'Ernest Cormier. Dans les années 1870, la propriété des Redpath se morcelle, ce qui permet, entre autres, la création du parc du Mont-Royal.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Une volumétrie complexe. À noter: la cheminée désaxée d'où émergent deux conduits torsadés.

Hauts murs de pierre

La maison qui nous intéresse, construite en 1928 et 1929 dans un style néo-Tudor, présente une volumétrie complexe, comme deux corps de maison emboîtés l'un dans l'autre à 90 degrés, chacun doté d'un toit à forte pente et d'une cheminée décentrée. Ses hautes ouvertures allègent un peu la sévérité de la pierre de taille.

À l'intérieur, la maison respire la solidité et le raffinement. Elle est aussi très grande : 10 000 pi2, répartis sur cinq niveaux, avec sept chambres sur les étages (dont une sert de bureau) et une chambre supplémentaire, plutôt une suite, au premier sous-sol. Amples aires de vie au rez-de-chaussée, salle de billard en haut et piscine extérieure.

Malgré ces qualités, les occupants actuels n'auraient jamais pensé acquérir la propriété. Trop grande, trop chère !

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Un cadre de porte à la fois massif et finement ouvragé.

Une affaire d'Halloween

« Ma femme a été séduite par l'ancien propriétaire, pas par la maison ! », lance, en boutade, le maître des lieux, qui ajoute que cette transaction immobilière est une affaire d'Halloween. « Nous étions intéressés par un lot du grand terrain, pour faire construire, mais il n'y avait pas moyen de rencontrer le propriétaire, un homme d'affaires très occupé !

« Un soir d'Halloween, des enfants se sont présentés avec des boîtes de l'UNICEF. Je leur ai dit : "Dites au monsieur d'à côté que je vais donner le double de sa contribution." » Quelques minutes plus tard, « l'inaccessible » et sympathique voisin sonnait à la porte. Il est resté jusqu'à minuit ! « Son offre de vente était telle que ça n'avait pas de sens de la refuser, poursuit le propriétaire actuel, lui-même très actif dans le commerce de détail. C'était en 1989, en pleine crise immobilière. »

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Petits carreaux de vitre sertis dans le plomb.

Le mont Royal dans la cour

Depuis, le couple n'a rien changé à la résidence, à part la couleur des murs.

Mille fois, Monsieur a fait le tour de la montagne en ski de fond. C'est dans le parc du Mont-Royal que Madame a appris à son fils de 6 ans - qui a aujourd'hui 20 ans - à faire de la planche à neige. La famille se souvient également d'innombrables marches jusqu'au lac aux Castors, parfois pour aller chercher Tatoo, le chien fugueur.

En même temps, la ville est juste à côté. On va au cinéma à pied.

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Un monde de raffinements à découvrir: l'arche de porte à accolade, les caissons ornementés du plafond, le bois sculpté des portes, la gracieuse richesse du lustre, la finition des murs à la truelle, avec des insertions dans le marbre...

Chambres en ville

Pendant une quinzaine d'années, leur foyer familial est devenu le point de chute des neveux et nièces venus étudier en ville. Les jeunes se rendaient à pied au collège Marianopolis ou à l'Université de Montréal. « Ç'a été notre période "chambres en ville", relate le couple en riant. Nous avions huit ou dix jeunes à souper tous les soirs. Et que dire des partys de cégep, dans cette grande maison ! »

La maîtresse de maison se réjouit aussi d'avoir eu assez d'espace pour héberger temporairement des soeurs et des nièces, en période de déménagement, par exemple.

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Sous la frise ornant le haut du mur, pas deux fois le même animal.

Détails ornementaux

Où qu'on tourne le regard, dans cette maison, on n'en finit plus de découvrir des détails ornementaux. Au plafond du salon, les caissons sont ornés dans les coins de nombreuses rosettes, toutes différentes. Les calorifères à eau chaude sont dissimulés dans des casiers de fer forgé dotés d'une porte sur charnière, toujours invisibles et de bon fonctionnement après 186 ans de loyaux services. Le plancher de chêne est en lattes coupées dans le sens de la sève (quarter-cut), une rareté d'un luxe certain.

Autre détail impressionnant : le cadre de porte en marbre taillé, parfaitement ajusté aux pierres et au béton du mur, comme si la construction datait d'hier. « C'est du béton construit sur du roc, commente le propriétaire. Ça ne bouge pas. »

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L'âtre de marbre reprend la forme en accolade des portes.