Les habitations anciennes modestes, on l'oublie souvent, constituent elles aussi un patrimoine précieux, un album photo de notre histoire collective. Maisons d'artisans venus s'établir en ville, ensembles immobiliers destinés aux ouvriers ou aux vétérans, on s'éveille maintenant à leur valeur, on les restaure, on commence à les protéger.

Elizabeth Gomery et Stefan Fews ont acheté leur maison en rangée de la rue Lewis le 23 août 2002, six jours après leur mariage. «C'était la maison ou le voyage de noces, dit Mme Gomery en riant. On ne pouvait pas se payer les deux!» 

Les Gomery-Fews ont visité la résidence à 14 h et signé la promesse d'achat à 17h. «Dès que je suis entrée dans le vestibule, je l'ai voulue, raconte la propriétaire, à cause de la rosace, au plafond, à 10 pieds.»

Douze ans et demi plus tard, Elizabeth Gomery et son mari n'en reviennent pas de la qualité architecturale du bâtiment. «Cette petite maison est tellement pratique et intelligemment conçue, pas besoin de rien y ajouter: tout est là, dans une jolie enveloppe qui a du caractère.» 

Une fantaisie appréciée: «Il y a plein de rondeurs, dans cette maison, qui ont demandé du temps d'artisan et qui n'étaient pas nécessaires, explique l'heureuse propriétaire: les moulures de l'escalier, un angle de mur arrondi, l'arche entre le salon et la salle à manger... C'est la marque du constructeur.»

Le chemin de fer pour voisin  

Le premier jour, toutefois, a été marqué par un doute sérieux. «Nous n'avions pas pensé au train, relate Mme Gomery. Il nous a réveillés à 6 h 30 du matin. On s'est regardés et on s'est dit: «Qu'est-ce qu'on a fait?» Mais tout bien considéré, il n'est pas dérangeant. C'est un train de banlieue, qui passe aux heures des travailleurs. Le premier est à 6h30 et le dernier, à 21h30.»

Premier proprio: un électricien du CP  

La maison date de 1892. Son premier propriétaire, électricien au Canadien Pacifique, l'a payée 963$. Les frais de notaire? 5$!

La maison fait 1100 pi2, sans compter le sous-sol. Les propriétaires actuels se réjouissent du fait que leurs prédécesseurs n'aient pas souscrit à la mode d'enlever les moulures de plâtre. D'autres maisons de leur rue, qu'ils ont eu l'occasion de visiter, n'ont pas eu cette chance. Ces ornements ont toutefois demandé des soins de restauration particuliers. «On pourrait vous en dire long sur le manque de plâtriers qui connaissent les techniques anciennes, s'exclame Mme Gomery. Je pense qu'il n'y en a qu'un dans toute la région de Montréal!»

Une maison pour longtemps  

Au début, Stefan Fews a sablé et repeint le toit de l'oriel et du balcon, dont la tôle était rouillée. «Nous pensions que ce serait une adorable première maison, relate Mme Gomery, disons pour cinq ans. Sans voiture, nous faisions toutes nos courses à pied ou en BIXI. Nous avons continué ainsi à l'arrivée de notre première fille. C'était merveilleux. Je dirais même: c'était merveilleux en partie parce que c'est un espace mesuré, sans rien de superflu.»

Les Gomery-Fews ont donc refait la cuisine à neuf, non sans concilier sa nouvelle allure avec celle de la maison. Il a fallu déplacer une porte pour aménager une pièce de 9 pieds sur 15, comme un large corridor aux deux murs garnis d'armoires de style shaker. Des portes récupérées de l'ancienne cuisine ferment le garde-manger de la nouvelle. Un évier neuf mais rétro, et des fenêtres à carreaux complètent cette esthétique rurale.

Un cabanon de 10 pi2, sur le mur extérieur de la cuisine, qui datait peut-être de 1940, a été enlevé pour récupérer de la lumière et agrandir le balcon.

Le sous-sol habitable 

Deuxième transformation d'importance : l'aménagement du sous-sol, qui a porté la superficie habitable à 1500 pi2. M. Fews a construit les étagères sous l'escalier, et le reste a été exécuté par des professionnels: cuir recyclé sur liège dans le séjour, ajout d'une salle de lavage et d'une salle de bains avec douche. Une excavation en sous-oeuvre avait été faite par un propriétaire précédent, ajoutant quelques pieds de hauteur au sous-sol. «Plus tard, ce sera le coin de nos ados...», dit Mme Gomery.

Vie de quartier  

La rue en cul-de-sac fait que les Gomery-Fews ne sont pas inquiets de voir leurs deux fillettes, Sophie, presque 8 ans, et Lili, 6 ans, jouer au hockey dans la rue, en été. «On a une vraie vie de quartier. De plus, les écoles et les services sont à proximité.»

Un chemin de fer et son quartier

De la rue Sainte-Catherine, dans Westmount, descendent en parallèle quelques avenues tranquilles qui vont buter, plus au sud, sur le talus de la voie ferrée, le long de la falaise de l'ancien ruisseau Glen. Elles se nomment Abbot, Irvine, Lewis, place Blenheim...

Dans ce quartier, chemin de fer et habitations ont apparu en même temps. La mise en service de la ligne du Canadien Pacifique, en 1889, lance le début du lotissement, alors que la construction de la première gare, en 1896, au bout de l'avenue Abbott, donne le coup d'envoi à l'érection des résidences.

À la même époque, la création du parc Westmount permet de drainer définitivement les terres avoisinantes, ce qui donne de la valeur aux terrains.

Influence victorienne 

Les promoteurs construisent, essentiellement, des maisons en rangée pour propriétaires à revenus modestes. Les maisons conjuguent influence victorienne et simplicité paysanne. Beaucoup des premiers acheteurs de ces propriétés étaient des employés du CP. 

Le secteur, d'abord à caractère rural, avait été annexé au village de la Côte-Saint-Antoine en 1876. En 1895, Côte-Saint-Antoine devient la Ville de Westmount, et le quartier du CP, une petite banlieue. En 1905, la Ville de Westmount devient la Cité de Westmount.

Au fil des décennies, les résidences ont étonnamment bien survécu comme ensembles patrimoniaux. Si quelques détails architecturaux ont disparu, les propriétaires ont en revanche personnalisé leurs demeures en peignant les boiseries et, parfois, les murs de brique.