Rien ne pouvait arriver de mieux à cette maison de Montréal-Ouest que de tomber entre les mains heureuses des propriétaires actuels. Des mains délicates qui l'ont traitée comme on traite une antiquité. Au départ délabrée, la voici maintenant rayonnante, quelque peu bohème et, en prime, lauréate du concours Maison coup de coeur 2014 de l'Opération patrimoine architectural de Montréal.

En juin 1974, Mary Sanders et Alf Thomas Sanner, respectivement d'origine américaine et norvégienne, s'épousent en justes noces à Paris. Confrontés au choix d'un lieu pour le travail, ils optent pour Montréal, «cette bulle de France en Amérique». «Nous sommes venus pour six mois, et nous sommes restés!», lance Mary Sanders.

Le couple s'établit dans Montréal-Ouest, mais il doit partir en 1982, pour le travail, en Caroline-du-Sud. En janvier 1986, le voici de retour avec deux enfants (le troisième naîtra en 1988). Ils se rendent à une journée portes ouvertes, une maison étant à vendre. Tandis que son mari se mêle aux autres visiteurs, Mary Sanders attend dans l'entrée, en grande conversation avec une ancienne voisine. «Alf revient, raconte-t-elle: «OK, on la prend!» Je réponds: «Très bien!» Et le courtier de s'exclamer: "Mais vous n'avez même pas visité la maison!"»

M. Sanner a aimé le style architectural du bâtiment, qui lui rappelait les maisons du Massachusetts, admirées lors de vacances en famille. «Je ne savais pas alors qu'elles étaient de style colonial hollandais», commente-t-il.

Le couple avait deux critères: un foyer pour l'hiver et un balcon pour l'été. Cette habitation les avait. «De plus, elle était en mauvais état, ce qui la rendait abordable», ajoute M. Sanner.

L'approche wabi-sabi

Alf Thomas Sanner se réclame du courant wabi-sabi, cette esthétique japonaise qui valorise l'imperfection et l'impermanence des choses, qui y voit de la beauté. «C'est l'esprit wabi-sabi qui m'a guidé, et aussi de traiter la maison comme une antiquité, avec soin et amour, confie-t-il. Je ne voulais pas changer les choses, mais les restaurer.»

En 1905, année approximative de la construction, la maison était une unifamiliale campagnarde, entourée de potagers et de champs. Cent ans plus tard, Alf Thomas Sanner et son grand complice, Réal Roy, menuisier de finition, entreprennent une restauration méticuleuse.

Balcons et corniche

Les deux compères s'attaquent à la galerie avant, tellement détériorée qu'elle se mêle à la terre. Réal Roy examine à la loupe, sur une ancienne photo, les marches du balcon, qu'il reproduit dans leurs moindres détails. Pendant ce temps, M. Sanner fait de petits travaux et des recherches sur l'internet.

«Nos trois enfants ont été élevés sur ce balcon, rapporte Mary. Il y avait toujours beaucoup de jeunes chez nous, au point qu'on s'est fait demander si on tenait une maison de transition!»

Sur la vaste lucarne bardée de cèdre, les ornementations de bois ne se voyaient pas, toutes fondues en un beige peu expressif. «D'une année à l'autre, nous avons testé différentes combinaisons de couleurs, relate Alf Thomas Sanner. Une fois le travail terminé, on s'assoyait de l'autre côté de la rue pour le contempler. Nous avons finalement choisi des teintes qui rappellent San Francisco.»

Les voisins immédiats, Betty et George, observaient de leur fenêtre le travail de M. Sanner. «George était le fils du deuxième propriétaire de notre maison, explique ce dernier. C'était aussi la maison de son enfance. Il était heureux de voir que nous en prenions si grand soin. Il a fini par me donner ses outils.» Betty, qui est partie longtemps après George, il y a trois ans, à 93 ans, a légué 25 000$ aux Sanders-Sanner pour qu'ils continuent à restaurer leur maison.

La maison-soleil

Sur le côté, un tout petit vitrail, trouvé dans un centre de récupération, représente un lever de soleil. Il a été posé, en guise d'imposte, au-dessus d'une des deux portes de bois massif, trouvées... sur le trottoir. «Des voisins changeaient leurs portes», explique M. Sanner.

Inspiré, Réal Roy baptise le cottage «maison soleil». Le vitrail-soleil étant situé du côté est, les deux acolytes ont l'idée d'un autre soleil du côté ouest: ils la concrétisent sous la forme d'une cloison de bois suspendue et très ajourée, reproduisant l'astre du jour. Un écran d'intimité joliment fleuri, en été, lorsque les rosiers sauvages et le chèvrefeuille s'y entrelacent.

Bijoux aux fenêtres

Pour M. Roy, les fenêtres sont comme les yeux d'une maison («l'âme est là»), et leurs charnières, des bijoux. «J'ai décapé les charnières et je les ai peintes de couleur or, comme autant d'autres soleils pour la maison.»

«Il y a toujours quelque chose à faire, reprend M. Sanner. C'est comme un hobby. On se sent en vacances dans cette maison. Et à force de lui donner de l'amour, elle nous le rend. Mon plus jeune veut poursuivre ce projet familial.»

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Un écran ajouré réalisé par Réal Roy. En été, le chèvrefeuille et les roses sauvages le transforment radicalement.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Pour ne pas briser l'ancien verre fragile, au centre, Alf Thomas Sanner a fait poser des charnières dans le haut et une poignée dans le bas. La fenêtre peut ainsi être nettoyée ou peinte sans qu'on ait à l'enlever.