C'est un quartier «idéal» dans une ville qui ne l'est pas pour tous. Bienvenue à Lafayette Park, au coeur d'une communauté restée fidèle, envers et contre tout, à sa ville, et qui n'a rien perdu de sa modernité ni de sa mixité sociale. Témoignages.

 

L'architecte

Christian Unverzagt, architecte. Il vit avec sa femme, Michele, dans une townhouse (maison de ville) depuis cinq ans.

« Je viens du Michigan, j'ai étudié en architecture et je n'avais jamais entendu parler de Lafayette Park. C'est vous dire à quel point c'était méconnu.

«Je suis venu ici pour la première fois quand un de mes amis, qui louait un appartement dans l'une des deux tours, préparait son déménagement. On cherchait un nouvel appartement.

«Dès qu'on a vu la perspective sur le centre-ville, on s'est dit: «on le prend!». Maintenant, les choses ont changé. Il y a eu un livre* qui nous a donné une visibilité.»

Une expérience à partager

«J'ai créé le site internet parce qu'il y a des aspects de la vie d'ici que je veux partager.

«Lafayette Park est un modèle pensé il y a 60 ans et, pourtant, il y a beaucoup de leçons que l'on peut encore apprendre. Ça a toujours été un endroit à gauche, progressiste. C'est une véritable communauté ici. Ceux qui viennent pour l'architecture restent pour la communauté. Et ceux qui viennent pour la communauté restent pour l'architecture.»

miesdetroit.org

Des maisons prisées

«Avant, les maisons de ville ne se vendaient pas. Je dirais qu'il y a 10 ans, une maison se vendait environ 125 000$, et il y a trois ans, 85 000$. Mais maintenant, ce n'est plus le cas: cela peut aller jusqu'à 140 000$ ou 150 000$ et certaines maisons n'arrivent jamais sur le marché.

«Mais vivre ici, ce n'est pas simplement un investissement immobilier. Il faut comprendre qui est là, parce que comme c'est une coopérative, la vie dépend du bénévolat. Mes voisins, Glenn et Carol, vendent leur maison. Ils pourraient vendre au plus offrant, mais ils veulent trouver la bonne personne.»

*Thanks for the View Mr Mies: Lafayette Park, Detroit, de Danielle Aubert, Lana Cavar et Natasha Chandani, éd. Metropolis Books, 288 p. (en vente à Montréal au CCA).

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Photo fournie par l'éditeur

Le «publicitaire-auteur»

Toby Barlow, auteur et publicitaire. Il vit avec sa femme depuis sept ans dans une maison de Lafayette Park.

«Je suis arrivé à Detroit pour travailler pour le compte de Ford, comme publicitaire. Je cherchais une maison et j'ai découvert ce quartier. Au début, je pensais que c'était trop près de l'autoroute. Mais en fait, c'est parfait.»

Amoureux de Detroit

«Je ne m'attendais à rien en arrivant ici. Mais j'ai été frappé de voir à quel point la ville est vide et désolée. En même temps, il y a beaucoup de choses intéressantes qui se passent ici. Tenez, tout à l'heure, je roulais pas loin d'ici et j'ai vu des jeunes en train de monter des boîtes dans un immeuble. Ils m'ont dit qu'ils allaient lancer un musée des curiosités.»

www.seafoampalace.org

Sauver Detroit... avec des maisons

«Vous savez, il y a vraiment quelque chose qui est en train de se passer à Detroit. J'ai lancé le projet Write a House, nous avons reçu près de 350 candidatures d'auteurs qui veulent venir vivre à Detroit. Pour l'instant, tout se passe bien, nous rénovons notre première maison et devrions être prêts pour choisir un candidat dans les prochaines semaines. Il y a beaucoup d'artistes qui s'installent à Detroit...

«On n'a pas beaucoup d'argent ici, mais on a beaucoup de maisons. Il y a quelque chose à faire avec ça, pour changer la façon dont on parle de Detroit, pour que les gens voient cette ville comme un endroit créatif.»

writeahouse.com

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La designer

Cal Navin, artiste et designer pour GM. Elle vit à Lafayette Park depuis quatre ans.

«J'ai grandi à Birmingham [banlieue aisée de Detroit] et étudié à Detroit. Je suis arrivée ici en 2010: mon frère, John, est un enthousiaste de Mies et il a toujours un oeil sur les maisons. J'ai visité celle-ci pour l'acheter à ma fille. Mais dès que je l'ai vue, j'ai su que c'était pour moi. Évidemment, ça a créé quelques tensions...»

État originel

«Quand je suis arrivée ici, tout était d'origine : il n'y avait eu qu'un propriétaire depuis 1958. J'ai rénové tout en essayant de garder le style. Avant les travaux, j'ai montré au conseil ce que je comptais faire. Tout a été accepté.

«J'ai toujours habité dans des maisons victoriennes. Mes meubles ont changé quand je suis arrivée ici. J'avais déjà les fauteuils Eames, mais j'ai rajouté des pièces modernistes.»

Fenêtres et intimité

«Ce que je préfère, c'est la lumière qu'il y a dans la maison. C'est fantastique. Je peux rester des heures dans mon bureau.

«Je ne me sens pas envahie par les gens qui passent devant la maison. Les gens de Lafayette Park respectent beaucoup l'intimité.»

Consultez le blogue de Cal sur ses rénovations: lafayetteparkmies.blogspot.ca/

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Les réfugiés financiers

Jill-Morgan Aubert travaille pour InsideOut Literary Arts, une ONG qui offre de la poésie dans les écoles de Detroit. Elle vit depuis quatre ans à Lafayette Park avec son mari, Vasco Roma, et leurs deux enfants, Tiago et Paulo.

«Je n'aurais jamais cru qu'on pourrait trouver une maison ici. On vivait à Brooklyn, et on voulait déménager: on ne pouvait plus se permettre de vivre à New York. On peut dire que nous sommes des réfugiés financiers de New York!

Espaces

«J'aime particulièrement les grandes fenêtres. Quand je vais chez mes parents, je trouve que les fenêtres sont petites et que la maison est sombre.

«En arrivant ici, on n'a pas fait grand-chose: un peu de peinture et c'est tout. On a acheté quelques meubles et même si je ne suis pas très fan du style moderniste du milieu du XXe siècle, je vois que ça prend tout son sens dans une maison de ce genre.»

Communauté

«Lafayette Park est un endroit très beau et surtout, c'est une fantastique communauté. Mais même ici, il y a beaucoup de défis. On a été victimes dans le quartier de quelques agressions ce printemps, avec des armes à feu. On ne pouvait plus marcher de notre voiture à notre porte. Clairement, la police a pris ça au sérieux. Mais c'est effrayant, car il y a une proximité géographique entre Lafayette Park et des crimes très graves.»

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Les professeurs à la retraite

Glenn et Carol Weisfeld, professeurs d'université à la retraite. Ils viennent de déménager, passant d'une townhouse à une courthouse, juste en face de leur ancienne maison. Au moment de notre visite, leur ancien logis était à vendre... 159 000$.

«Cela fait 37 ans qu'on habite à Lafayette Park : on a même élevé notre fille ici. On arrivait de Chicago, on connaissait Mies van der Rohe, mais jamais on n'aurait cru qu'on pourrait vivre dans l'une de ses maisons! Quand on a visité ici, on s'est dit, quoi, on peut vivre dans une maison de Mies?

«C'était incroyable, et le prix aussi: on avait payé 10 000$ pour la maison.»

Chez Mies van der Rohe

«On vieillit, on a un petit-fils et on voulait avoir une maison sur un seul étage. C'est pourquoi quand notre voisine a mis une courthouse en vente, on l'a tout de suite achetée. La négociation a été rapide.

«Notre townhouse est en vente, mais le problème, c'est qu'on a seulement eu deux offres jusqu'à présent. La banque évalue toujours la valeur de la maison en deçà de l'offre.»

Forêt

«Ce que j'aime ici, c'est l'aménagement paysager. On dirait vraiment qu'on vit dans la forêt. On ne se verrait vraiment pas vivre ailleurs. Pourquoi? C'est ici, notre communauté.»

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Mies van der Rohe

Mies van der Rohe démarre sa carrière d'architecte en Allemagne. Directeur du Bauhaus (l'école des arts qui marque l'histoire, entre les deux guerres), il fuit son pays natal pour les États-Unis lors de la montée du nazisme. Mies van der Rohe s'installe à Chicago, une ville qui porte toujours sa signature. Utilisant le verre, l'acier et le béton, ses constructions frappent aujourd'hui encore par leur modernité: les grands espaces vitrés brouillent la frontière habituelle posée entre l'intérieur et l'extérieur. Mies van der Rohe signe à Detroit sa construction résidentielle la plus ambitieuse (Lafayette Park). Montréal lui doit notamment le Westmount Square, un imposant ensemble de logements et bureaux ouvert en 1967, à Westmount.