Quand un problème survient, un locataire est généralement soulagé de savoir que son propriétaire se trouve à un escalier de distance. Mais il arrive qu'un propriétaire complique aussi la vie de son locataire (et vice versa). Petit tour d'horizon d'une cohabitation pas toujours de tout repos.

Un voisinage parfois litigieux

Environ 6 plaintes sur 10 déposées à la Régie du logement du Québec concernent des litiges de non-paiement de loyer ou d'augmentations contestées. Plusieurs autres sont le fruit de disputes entre propriétaires et locataires qui cohabitent dans un même immeuble, mais qui ont des habitudes aux antipodes.

« Quand il y a un litige entre locataire et propriétaire voisins, tout devient plus émotif, affirme Andrée Bourbeau, avocate spécialisée en droit du logement chez Ouellet, Nadon et associées. Et cette cohabitation fait aussi en sorte que les gens ont moins envie de faire valoir leurs droits, s'ils ont peur des représailles. »

Après les soucis liés à l'argent, les litiges au sujet de la jouissance paisible des lieux sont parmi les plus fréquents. L'expert en droit locatif Jean-Louis Landry en a vu de toutes les couleurs. « Une personne qui organise des fêtes trop souvent, une autre qui ne fait pas attention au bruit de ses pas sur des planchers mal insonorisés, l'utilisation tardive de la laveuse, des odeurs de barbecue qui deviennent incommodantes ou des enfants qui, après l'école, courent dans les corridors et cognent aux portes d'un immeuble de 75 logements. Il y a de tout. »

Me Bourbeau aide fréquemment des locataires à résilier leur bail. « On entame ces démarches à la suite de plaintes et de mises en demeure à propos de réparations qui devaient être faites ou de problèmes non réglés, comme des moisissures », explique-t-elle.

À l'autre bout du spectre, les propriétaires ont parfois du mal à composer avec certains locataires. Comme ceux qui accumulent une quantité étonnante de biens plus ou moins utiles. « Un espace trop encombré peut mettre en danger la sécurité du locataire, si celui-ci ne peut accéder à une sortie de secours », note Me Landry. Un appartement trop encombré peut également mener à la création de saletés et de moisissures qui se propagent chez les voisins, ajoute-t-il.

Un peu comme les punaises de lit, un problème récurrent à Montréal. « Les gens qui déménagent utilisent des camions qui ont servi deux ou trois fois la même journée et ils apportent parfois des punaises dans un nouveau logement, alors qu'ils n'y en avaient pas auparavant, illustre l'avocat. Le litige porte alors sur qui doit payer. » À l'occasion, des propriétaires doivent même s'adresser à la Régie quand un locataire refuse de laisser un spécialiste traiter son logement contre les punaises.

Selon Me Landry, un nouvel élément suscitera bientôt des discussions entre propriétaires et locataires : le cannabis. « Nul doute que la Régie sera inondée de demandes, soit en modification de bail pour interdire les joints à cause de la fumée, soit en résiliation de bail pour cause de culture ou autre », dit-il.

Les propriétaires se plaignent davantage

Selon les données de la Régie du logement, 89,1 % de l'ensemble des demandes pour non-paiement et toutes autres causes civiles étaient déposées par les propriétaires, en 2013-2014. « Les locataires sont vraiment minoritaires dans les recours, confirme Me Bourbeau. Comme plusieurs d'entre eux ne connaissent pas leurs droits, des comités du logement essaient de les aider. »

La majorité du temps, les Québécois doivent s'adresser à la Régie du logement avant d'avoir recours aux tribunaux. « Par exemple, s'il n'y a pas eu respect d'ordonnance, ils peuvent revenir vers un autre régisseur à la Régie ou s'adresser à la cour, souligne Jean-Louis Landry. Depuis quelques années, environ 20 % des dossiers sont représentés par des avocats. »

Mauvais souvenirs de location

Aux prises avec des propriétaires aux exigences insensées, ces locataires ont vécu l'enfer au quotidien. Quitte à se rendre en cour, à déménager ou à ne plus jamais considérer la location de leur vie.

Annexe au bail

Quand Guillaume et son colocataire ont signé leur bail en 2015, le contrat incluait plusieurs demandes farfelues. « L'annexe stipulait qu'on devait marcher sur la pointe des pieds puisque les vibrations pouvaient s'entendre à l'étage inférieur, se souvient Guillaume. L'été, on ne pouvait pas ouvrir les fenêtres à plus de 30 degrés. On pouvait utiliser la climatisation seulement pour "rafraîchir" l'appartement. Et on devait nettoyer l'entrée des escaliers une fois par mois selon des instructions précises. » Quand le propriétaire a voulu augmenter le loyer de 150 $, les colocataires l'ont contesté à la Régie. « Nous avons eu gain de cause, car l'augmentation a été fixée à 65 $ par mois. Et le juge a pris le temps d'expliquer au propriétaire qu'il ne pouvait pas dire à ses locataires comment vivre. Il lui a aussi demandé s'il était conscient de vivre en communauté. »

Trop de bruit

Il y a 15 ans, Claudia a entendu son propriétaire lui dire qu'elle n'avait pas le droit de travailler à la maison, alors que son boulot de journaliste consistait à réaliser des entrevues au téléphone et à écrire à l'ordinateur. « Il me disait : "Heille, c'est pas un bureau icitte ! Tu dois aller travailler comme tout le monde le matin. Je ne veux pas d'une personne qui reste à la maison." » Les règles à propos du bruit étaient aussi très strictes. « Je ne pouvais pas prendre un bain après 21 h, à cause du bruit dans les tuyaux... Et quand je passais l'aspirateur, ça le rendait fou ! » Après 18 mois, le propriétaire lui a demandé de quitter l'appartement. « C'était soi-disant pour y installer sa fille, mais je sais que ce n'était pas vrai. Il n'en pouvait plus de moi. Je suis partie sans faire d'histoire. J'aurais dû contester, mais je n'avais plus d'énergie après ça. Juste d'y repenser me donne de l'urticaire ! »

Propriétaires ou parents ?

Pendant sept ans, Émilie a composé avec des propriétaires très pointilleux. « Ils faisaient des remarques sur nos heures d'arrivée le samedi soir, sur la terre qui tombait de nos plantes sur leur terrain quand il pleuvait ou sur le type de savon que nous devrions utiliser dans notre baignoire. Ils étaient l'équivalent de parents sévères avec des attentes irrationnelles, qui sont toujours déçus de leurs locataires. » Toutefois, jamais elle n'a eu recours à la Régie pour régler la situation. « Ce n'était rien de sensationnel, mais ô combien fatigant après toutes ces années. Dans les faits, j'ai acheté la paix en me pliant plus ou moins à leurs demandes. »

L'AVIS DE LA RÉGIS



Si un propriétaire et un locataire n'arrivent pas à régler un problème, il n'est pas rare que l'un d'eux demande l'assistance de la Régie du logement. Le porte-parole Denis Miron clarifie les droits et responsabilités de chacun.

Gérez-vous souvent des problèmes de cohabitation entre propriétaires et locataires ?

On ne tient pas de statistiques sur les motifs des demandes. Mais il faut savoir que si le propriétaire habite ou non dans l'immeuble qui lui appartient, ça ne lui donne pas plus de droits ni le lui en enlève.

Donc, un propriétaire occupant qui fait du bruit excessif ne peut pas affirmer qu'il a tous les droits puisqu'il est chez lui ?

Il est tenu de respecter la quiétude des lieux, au même titre que les locataires. Les gens ont tous des droits égaux. Si le propriétaire nuit à la jouissance paisible des lieux, le ou les locataires incommodés peuvent demander une diminution de loyer. Et quand le préjudice est sérieux, ce qu'on doit démontrer, ça peut aller jusqu'à une demande de résiliation de bail.

Et si le fautif est un locataire ?

Le propriétaire peut demander une ordonnance pour que le locataire respecte ses obligations. Cependant, un locataire ne peut pas poursuivre un autre locataire, parce qu'aucun bail ne les lie. Donc, si un voisin vous dérange, tentez d'abord une entente à l'amiable. Puis, adressez-vous au propriétaire. Si ce dernier ne fait rien, le plaignant peut mettre en demeure le propriétaire pour qu'il intervienne.

Et si rien ne se passe encore ?

Il peut faire appel à la Régie pour forcer le propriétaire à intervenir ou demander une diminution de loyer pendant la période où il estime avoir été troublé. Tout sera évalué selon la preuve soumise. Rien dans la loi ne spécifie à partir de quel nombre de décibels on dérange ses voisins.

Un propriétaire peut-il empêcher un locataire de travailler chez lui ?

Quand on signe un bail résidentiel, on doit utiliser son logement à des fins résidentielles. Mais une personne peut travailler de la maison pour en tirer un bénéfice, si ses activités ne dérangent pas. Toutefois, si vous êtes un pigiste et que vous recevez beaucoup de clients, qui créent un va-et-vient constant, il se peut que cela trouble la jouissance paisible des lieux.

Un propriétaire peut-il inspecter un logement comme bon lui semble ?

Puisqu'il doit assurer l'habitabilité des lieux, la loi lui permet d'accéder au logement pour différentes raisons balisées, comme vérifier l'état des lieux ou faire des travaux. Mais le Code civil dit bien qu'il doit aviser le locataire au moins 24 heures à l'avance, sauf en cas d'urgence. Dans ce cas, il doit frapper à la porte, tenter de joindre le locataire, et s'il n'obtient pas de réponse, il peut entrer.

Le propriétaire peut-il imposer ses exigences de propreté au locataire ?

Le locataire doit maintenir son logement propre, mais s'il estime que le propriétaire a des demandes exagérées et qu'il n'a rien à se reprocher, il aura des recours. Le locateur ne peut pas user de harcèlement de manière à restreindre la jouissance paisible des lieux.