À l'ombre des grandes minoteries et de l'autoroute Bonaventure, presque au milieu d'une rue sinueuse et inconnue qui le contourne de justesse, se trouve un vieil immeuble de pierre grise tout tassé sur lui-même. C'était autrefois une station de pompage d'eau de la Ville de Montréal.

Depuis 2000, après des années d'abandon, le feu a remplacé l'eau dans le vieux bâtiment, qui résonne désormais du bruit du marteau qu'on abat sur l'enclume. Nous sommes aux Forges de Montréal, organisme à but non lucratif voué à la préservation et à la diffusion de ce patrimoine immatériel qu'est le savoir du forgeron.

L'âme de ce lieu est un diable d'homme, lui-même forgeron presque par nature, qui a pour nom Mathieu Collette. «Presque par nature», parce qu'il a découvert que ses aïeux pratiquaient ce métier aux premiers temps de la colonie, aux Forges du Saint-Maurice, et avant eux leurs ancêtres en Bourgogne, et on remonte comme ça jusqu'aux premiers registres d'état civil de France. «On peut penser qu'ils étaient forgerons de père en fils depuis la nuit des temps», dit ce dresseur de feu à l'oeil incandescent.

En 1993, à l'âge de 19 ans, il a choisi de devenir forgeron à son tour, après un hiatus de quelques générations. Il est allé chercher en France le savoir qui s'était perdu ici, quatre années de formation et d'apprentissage au terme desquelles, rentré au pays, il s'est mis à pratiquer ce métier avec une fougue qui ne s'éteint pas.

C'est pour faire partager cette passion et pour sauver de l'oubli des techniques délaissées pour cause d'industrialisation que Mathieu Collette a fondé les Forges de Montréal.

Lorsqu'il parle de son métier, Mathieu Collette s'enflamme, devient intarissable, à la fois historien, poète et pédagogue. Sa verve n'a d'égale que son talent d'artiste, qu'une superbe table en fer de Damas, posée dans un coin, prouve assez. Elle lui a valu le prix François-Houdé, remis par le Conseil des métiers d'art du Québec et la Ville de Montréal, en 1998.

Quand il ne travaille pas à des commandes ou à des projets personnels, il se consacre à la recherche et à la documentation. Par exemple, il a mis des mois (et brûlé 800 livres de fer!) pour reconstituer, étape par étape, la méthode de fabrication d'une hache de traite - celle que les colonisateurs échangeaient aux autochtones contre des fourrures, au XVIIe siècle. Il a fait pareil avec le clou de forge et les tenailles. Les «recettes» sont là, sur des panneaux de bois, claires comme de l'eau de roche, fixées pour la postérité.

Pour se financer, les Forges de Montréal, qui ne reçoivent aucune aide gouvernementale, louent du temps d'atelier à ceux qui pratiquent la forge comme passe-temps (eh oui, ça existe!), offrent des week-ends d'initiation au métier ainsi que des ateliers spécialisés (coutellerie, armurerie, ferronnerie d'art, Damas, patines) et réalisent des commandes pour des particuliers.

Mathieu Collette aimerait bien recevoir le soutien des gouvernements pour poursuivre sur sa lancée, par exemple pour offrir un programme de réinsertion sociale à des jeunes en difficulté, mais toutes ses demandes sont restées lettre morte jusqu'ici. L'économusée qu'il rêve de mettre sur pied devra donc attendre encore.

C'est dur, pour quelqu'un qui a l'habitude de battre le fer pendant qu'il est chaud...

lesforgesdemontreal.org

mathieucollette.ca

PHOTO MATHIEU WADDELL, LA PRESSE

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