Les mises en garde, y compris celle du pape François, ont afflué mercredi à l'adresse du président américain Donald Trump qui s'apprête à prendre une décision historique en reconnaissant Jérusalem comme la capitale d'Israël.

«Je ne peux taire ma profonde inquiétude», a déclaré le pape. «J'adresse un appel vibrant pour que tous s'engagent à respecter le statu quo de la ville, en conformité avec les résolutions pertinentes de l'ONU».

Le souverain pontife ne peut qu'accorder un intérêt tout particulier à la ville qui abrite les lieux les plus saints de trois grandes religions monothéistes, y compris le Saint-Sépulcre.

L'Iran, bête noire de M. Trump, ne s'est pas privé de pincer la corde religieuse, en déclarant qu'il «ne tolérera pas une violation des lieux saints musulmans».

Ces voix ne sont que quelques-unes de celles qui ont continué à s'élever pour s'alarmer notamment du risque de violences causé par la question de Jérusalem, chaudron diplomatique.

Les groupes palestiniens ont appelé à trois «jours de rage». Dans la bande de Gaza, des centaines de Palestiniens en colère ont brûlé des drapeaux américains et israéliens et des portraits de Donald Trump. Un rassemblement est prévu jeudi à Ramallah en Cisjordanie, territoire occupé par l'armée israélienne depuis 50 ans.

Dans une intervention prévue à 13h00, M. Trump doit rompre avec des décennies de diplomatie américaine et internationale et reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël. Il tiendra son engagement de campagne et ne fera là que reconnaître «une réalité» à la fois historique et contemporaine, a dit un responsable américain sous le couvert de l'anonymat.

Casus belli

M. Trump ordonnera par ailleurs de préparer le transfert de l'ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Il ne fixera pas de calendrier pour ce déménagement qui devrait prendre des années.

Dans un apparent souci d'apaiser les Palestiniens, M. Trump est prêt à soutenir «une solution à deux États», a dit le responsable américain, alors que le président des États-Unis s'est jusqu'alors, à la grande frustration des Palestiniens, gardé d'adhérer à l'idée d'un État palestinien indépendant, solution référence de la communauté internationale.

Toute reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël est un casus belli pour les dirigeants palestiniens, qui revendiquent Jérusalem-Est, occupée puis annexée par Israël, comme la capitale de l'État auquel ils aspirent.

L'Autorité palestinienne, interlocutrice des États-Unis, d'Israël et de la communauté internationale, a prévenu que les États-Unis se discréditeraient comme intermédiaire impartial de toute entreprise de paix et que l'effort actuellement mené par les collaborateurs de M. Trump pour tenter de ranimer une dynamique moribonde serait considéré comme terminé.

La communauté internationale n'a jamais reconnu Jérusalem comme capitale d'Israël et considère Jérusalem-Est comme un territoire occupé. Israël proclame tout Jérusalem, Ouest et Est, comme sa capitale «éternelle et indivisible».

«Incendie» régional

«L'avenir de Jérusalem est quelque chose qui doit être négocié avec Israël et les Palestiniens assis côte à côte», a dit l'envoyé spécial de l'ONU au Proche-Orient, Nickolay Mladenov, lors d'une conférence à Jérusalem, alors que les négociations de paix sont suspendues depuis 2014.

Alors que chacun guettait sa réaction, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou est au contraire resté silencieux sur le sujet lors de son discours durant la même conférence.

M. Nétanyahou, à la tête du gouvernement considéré comme le plus à droite de l'histoire d'Israël, a aussi ordonné la discrétion à ses ministres pour ne pas attiser les tensions, selon les médias.

Plusieurs d'entre eux ont cependant salué l'augure, tel le ministre de l'Éducation Naftali Bennett qui a appelé d'autres pays à emboîter le pas aux États-Unis. Pour lui, la décision à venir de M. Trump «constitue un pas spectaculaire vers la paix».

Le ministre américain des Affaires étrangères Rex Tillerson a de son côté assuré que M. Trump restait «très engagé en faveur du processus de paix». «Nous continuons de croire qu'il y a une très bonne opportunité de faire la paix».

Le roi Salmane d'Arabie saoudite, grand allié de Washington, a prévenu qu'une telle décision risquait de provoquer «la colère des musulmans» et la Turquie a brandi le spectre d'un «incendie» régional en jugeant qu'une reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël «ferait le jeu des groupes terroristes».

Le président turc Recep Tayyip Erdogan veut réunir un sommet des dirigeants des principaux pays musulmans le 13 décembre à Istanbul. Une réunion d'urgence de la Ligue arabe pourrait avoir lieu samedi.

La Chine, le Royaume-Uni et le Pakistan ont joint leur voix au concert de réprobation.

Les fronts en présence

En reconnaissant Jérusalem comme la capitale d'Israël et en y transférant l'ambassade américaine, actuellement à Tel-Aviv, le président Donald Trump romprait avec le positionnement de la communauté internationale et des décennies de politique américaine.

Un peu d'histoire

Le plan de partage de l'ONU en 1947 prévoyait la partition de la Palestine en trois entités: un État juif, un État arabe et Jérusalem formant un «corpus separatum» sous régime international spécial administré par les Nations unies.

Ce plan a été accepté par les dirigeants sionistes, mais rejeté par les leaders arabes.

Suite au départ des Britanniques et à la première guerre israélo-arabe, l'État d'Israël est créé en 1948, et fait de Jérusalem-Ouest sa capitale, Jérusalem-Est étant alors sous contrôle de la Jordanie.

Israël s'empare de Jérusalem-Est au cours de la guerre des Six Jours en 1967 et l'annexe. Une loi fondamentale entérine en 1980 le statut de Jérusalem comme capitale «éternelle et indivisible» d'Israël.

La position israélienne

Le gouvernement israélien l'a rappelée mardi: «Jérusalem est la capitale du peuple juif depuis 3000 ans et la capitale d'Israël depuis 70 ans». Cela vaut pour tout Jérusalem, Ouest et Est, ville «réunifiée».

La position palestinienne

L'Autorité palestinienne, interlocutrice de la communauté internationale et d'Israël, revendique Jérusalem-Est comme la capitale d'un futur État palestinien indépendant. Le Hamas islamiste, qui ne reconnaît pas Israël, évoque Jérusalem tout court comme la capitale d'un futur État de Palestine.

Celle des États-Unis

En 1995, le Congrès américain a adopté le Jerusalem Embassy Act appelant les États-Unis à déménager l'ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, «capitale de l'État d'Israël».

La loi est contraignante pour le gouvernement américain. Mais une clause permet aux présidents de repousser son application pour six mois. Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama ont systématiquement actionné la clause tous les six mois.

M. Trump l'a fait pour la première fois en juin 2017, à contrecoeur.

La communauté internationale

Sa position n'a guère changé depuis des décennies. L'ONU ne reconnaît pas l'annexion de Jérusalem-Est, qu'elle considère comme territoire occupé. Elle a déclaré la loi israélienne de 1980 comme étant une violation de la loi internationale.

Pour elle, le statut final de Jérusalem doit être négocié entre les parties.

La vision internationale largement répandue reste celle de Jérusalem comme la capitale d'Israël et d'un État palestinien indépendant.

La résolution 478 de l'ONU en 1980 appelait tous les pays ayant une mission diplomatique à Jérusalem à l'en retirer. Treize pays (Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, République dominicaine, Équateur, Salvador, Guatemala, Haïti, Pays-Bas, Panama, Uruguay, Venezuela) ont déménagé leur ambassade à Tel-Aviv, où se trouvent celles des autres pays.

La singularité russe

Les médias israéliens ont fait grand cas en 2017 d'un communiqué du gouvernement russe disant qu'il considérait «Jérusalem-Ouest comme la capitale d'Israël».

Le document, salué par une partie de la classe politique israélienne bien que dépourvu de véritable conséquence concrète, reconnaissait aussi «Jérusalem-Est comme la capitale d'un futur État palestinien».