À son apparition, la foule surexcitée a explosé de joie: après trois semaines d'absence du Liban qui ont pris l'allure d'un feuilleton haletant, le premier ministre démissionnaire Saad Hariri a été ovationné tel un fils prodigue par ses partisans mercredi.

Pleurs, bain de foule et égoportraits: rassemblés devant sa résidence de Beyrouth, des centaines de Libanais venus de différentes régions ont célébré le retour de leur dirigeant avec un mélange d'émotion et de soulagement, après un séjour énigmatique en Arabie saoudite qui a inquiété jusqu'à son propre camp.

« Saad ou personne », « Nous sommes avec toi dans les beaux jours comme dans les mauvais », lisait-on sur des pancartes brandies par les hommes, femmes et enfants qui ont envahi la cour et les environs de la maison de M. Hariri, en centre-ville.

Les « mauvais jours » pourraient être une allusion aux mystérieuses deux semaines durant lesquelles le premier ministre est resté en Arabie saoudite après l'annonce de sa démission, suivie d'un déferlement de spéculations, Riyad étant accusé par certains de retenir Saad Hariri contre son gré.

« Tous avec lui »

Mona Sabbagh arrive à peine à retenir ses larmes. « On était tellement inquiet », confie à l'AFP cette femme portant un T-shirt sur lequel a été imprimée une photo d'elle et de M. Hariri.

« Maintenant tous sont avec lui, pas seulement le Liban mais aussi le monde entier », assure cette quadragénaire pour qui « le Liban en ressort grandi ».

La démission de Saad Hariri, un protégé du régime saoudien, a rapidement été interprétée comme un nouvel épisode du bras de fer entre l'Arabie saoudite et son grand rival régional l'Iran. Elle a fait couler beaucoup d'encre tellement l'affaire a pris une tournure rocambolesque.

Mercredi, face à une nuée de téléphones portables brandis par ses sympathisants, Saad Hariri, en tenue décontractée, est sorti sur le perron de sa demeure, tandis qu'à l'extérieur des écrans géants retransmettaient l'évènement.

« C'est un moment que je n'oublierai pas ! », s'est-il exclamé au milieu des vivats, sous le regard de ses collaborateurs et proches observant la scène d'un des balcons.

M. Hariri a toujours prétendu ne pas avoir été retenu contre son gré en Arabie saoudite. Mais son sourire franc et sa gestuelle détendue contrastaient avec le visage crispé et un rien abattu qu'il a affiché ces dernières semaines, notamment au cours de la seule interview accordée à Riyad.

« Vous êtes ma vraie famille », a-t-il ajouté, avant de prendre un bain de foule.

Ses partisans, dont beaucoup étaient au bord des larmes et tenaient des portraits de leur chef, ont multiplié les messages d'empathie.

« C'est le visage de la paix », assure Rana, tandis que pour Ali, venu de Barja, localité sunnite du centre du Liban, « Hariri a redonné vie au pays » avec son retour.

Pour Mohammad al-Khalil, militant du parti de M. Hariri, ce retour « signifie la renaissance du Liban ».

Alors que le dirigeant a suspendu sa démission dans l'attente de plus de consultations, ce sympathisant défend comme d'autres, la ligne dure face au Hezbollah proiranien.

En démissionnant, M. Hariri, qui est à la tête d'un gouvernement auquel participe le Hezbollah, avait invoqué la « mainmise » de l'Iran et du mouvement chiite sur les affaires du Liban.

« Il faut un seul arsenal, celui de l'armée libanaise », clame le militant de 23 ans.

Le Hezbollah est le seul parti libanais à ne pas avoir déposé les armes après la guerre civile (1975-1990), et son arsenal est considéré comme la principale pomme de discorde dans le pays.

« Saad, homme libre »

Pendant des heures, des haut-parleurs ont diffusé des chansons à la gloire de Saad Hariri --fils de Rafic Hariri, un ex premier ministre tué le 14 février 2005 dans un attentat--: « Nous t'aimons, nous continuerons de t'aimer » ou encore « Saad, homme libre ».

Si certains ne croient pas aux spéculations de privation de liberté, d'autres sympathisants restent perplexes.

« Il y a eu beaucoup de choses que nous n'avons pas comprises », reconnaît Hala, manifestante de 32 ans.

La tension était telle que la France, ancienne puissance mandataire au Liban, est intervenue et, selon les analystes, a « volé au secours » de M. Hariri en l'invitant à quitter Riyad pour Paris.

« Pendant trois semaines, nous étions comme dans une situation de guerre, tout le monde se demandait où était passé M. Hariri, les gens commençaient à plier bagage », fait valoir Nada Rabaa, 48 ans.

En ce jour de fête de l'indépendance, cette avocate ne tarit pas d'éloges sur l'action de Paris dans cette affaire.

« Aujourd'hui, c'est le véritable jour de l'indépendance grâce au président (français Emmanuel) Macron qui nous a ramené » Saad Hariri, s'enthousiasme-t-elle.