L'Arabie saoudite a décidé d'ouvrir sa frontière avec le Qatar pour permettre aux pèlerins de se rendre sans entrave au pèlerinage à La Mecque, une mesure saluée jeudi par Doha mais qui ne signale pas une sortie de crise dans le Golfe.

Le 5 juin, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte ont rompu tout lien avec le Qatar, accusé de soutenir des groupes extrémistes et de se rapprocher de l'Iran chiite, grand rival du royaume saoudien sunnite.

Riyad a aussitôt fermé sa frontière avec le Qatar - sa seule frontière terrestre - et, avec ses alliés, elle a suspendu tous les vols avec l'émirat, fermant les espaces aérien et maritime aux appareils qataris.

Il est peu probable que la nouvelle décision saoudienne désamorce cette crise inédite dans le Golfe, mais elle apparaît comme une tentative de dépolitiser le pèlerinage prévu fin août sur les lieux saints musulmans de la Mecque et Médine dans l'ouest saoudien, selon des experts.

La décision a été annoncée par l'agence officielle SPA après que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a reçu mercredi soir à Jeddah en Arabie saoudite un membre de la famille princière qatarie, cheikh Abdallah ben Ali Al-Thani.

Sur proposition du prince Mohammed, le roi Salmane a approuvé l'entrée des pèlerins qataris par l'unique poste-frontière terrestre de Salwa puis leur transport depuis l'aéroport international du roi Fahd à Dammam (est saoudien) vers les lieux saints, selon SPA.

Selon la télévision d'État saoudienne, quelque 120 pèlerins qataris étaient entrés en territoire saoudien jeudi par le poste-frontière de Salwa.

Le roi saoudien a également ordonné l'envoi d'avions saoudiens à l'aéroport de Doha pour transporter «tous les pèlerins qataris à ses frais vers la ville de Jeddah», d'où ils gagneront la Mecque.

«Politisation» 

Le ministre qatari des Affaires étrangères Mohamed ben Abderrahmane Al-Thani s'est félicité de la décision saoudienne, tout en dénonçant la «politisation» du pèlerinage.

«Indépendamment de la manière dont des Qataris se sont vus interdire le pèlerinage, qui a été politisé, et de la manière également politisée dont on leur a ensuite permis d'effectuer le pèlerinage, le gouvernement du Qatar salue la décision (saoudienne) et y répondra positivement», a-t-il dit.

Pendant la rencontre à Jeddah, le prince héritier saoudien a parlé «de relations historiques et profondes» entre Riyad et Doha. Des termes qui n'étaient plus utilisés depuis le début de cette crise.

Le chef de la diplomatie qatarie a néanmoins souligné que la visite du cheikh Abdallah en Arabie saoudite était une «initiative personnelle» et que ce dernier n'était pas mandaté par le gouvernement de son pays.

Avant l'annonce saoudienne, le prince héritier Mohammed avait reçu un appel téléphonique du secrétaire d'État américain Rex Tillerson pour parler des «développements dans la région», selon l'agence SPA.

M. Tillerson s'est beaucoup impliqué, avec l'émir du Koweït, pour tenter de désamorcer la crise.

En juillet, Doha avait accusé Riyad de mettre des obstacles à la participation de ses ressortissants au hajj. L'Arabie saoudite refusait notamment que ces pèlerins arrivent de Doha à bord de vols de la compagnie Qatar Airways qui ne peut plus survoler l'espace aérien saoudien.

«Pas de percée»

Des analystes ont mis en garde contre tout excès d'optimisme après l'annonce saoudienne.

Pour Ali Shihabi de l'Arabia Foundation à Washington, il s'agit d'un simple «geste de bonne volonté» à l'égard du peuple qatari, «et non d'une percée» pour sortir de la tourmente diplomatique.

Signe de la méfiance persistante, la Commission qatarie des droits de l'Homme a réaffirmé que «la question du hajj ne peut être soumise à des calculs politiques ou personnels», car «c'est un droit inscrit dans toutes les conventions internationales des droits de l'Homme et dans la charia (loi islamique)».

Sur les réseaux sociaux, les réactions étaient mitigées.

«Nous n'avons pas besoin de l'aumône du roi» d'Arabie, «le pèlerinage est un droit qatari», a écrit un utilisateur de Twitter. «Salmane, vous êtes vraiment un roi humanitaire», a rétorqué un autre utilisateur.

Depuis le début de la crise, le Qatar a rejeté en bloc les accusations de ses voisins, y voyant une tentative de mettre sa politique étrangère sous tutelle et une volonté d'étrangler son économie.

Quelque deux millions de pèlerins sont attendus à la Mecque pour effectuer le hajj, l'un des cinq piliers de l'islam.

Plus de deux mois de crise

Rappel des développements dans la crise diplomatique opposant le Qatar à l'Arabie saoudite et ses alliés.

Mise au ban

- 5 juin: L'Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Yémen, l'Égypte et les Maldives rompent leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ils reprochent à l'émirat de soutenir des groupes islamistes radicaux et de ne pas prendre assez de distance avec l'Iran, puissance régionale chiite rivale de l'Arabie sunnite.

Cette rupture s'accompagne de mesures économiques comme la fermeture des liaisons aériennes et maritimes avec le Qatar et de la seule frontière terrestre de l'émirat. Des restrictions de déplacements des personnes sont aussi imposées. Les bureaux à Riyad de la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera sont fermés.

Le Qatar accuse ses voisins de vouloir le mettre «sous tutelle» et l'étouffer économiquement. Mais il assure qu'il n'y aura pas «d'escalade» de sa part.

- 6 juin: La Mauritanie rompt ses relations diplomatiques avec le Qatar. La Jordanie réduit sa représentation diplomatique.

«Blocus»

- 7 juin: Le ministre d'État émirati aux Affaires étrangères déclare que la question du Qatar ne porte pas sur «un changement de régime» mais sur la nécessité d'un «changement de politique».

- 19 juin: Le ministre d'État émirati aux Affaires étrangères déclare que l'isolement du Qatar peut durer «des années». Doha lie toute négociation à une levée du «blocus».

Ultimatum rejeté

- 22 juin: L'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l'Égypte soumettent au Qatar une liste de 13 demandes à satisfaire dans un délai de dix jours. Parmi celles-ci figurent la fermeture d'Al Jazeera, la réduction des relations avec l'Iran et la fermeture d'une base militaire turque au Qatar.

- 4 juill.: Doha estime que la liste «est irréaliste et irrecevable». Le 5, Riyad et ses alliés annoncent le maintien des sanctions et menacent d'en prendre de nouvelles.

Efforts

- 11 juill.: Le secrétaire d'État américain Rex Tillerson, dans la région, obtient l'accord du Qatar à un programme de lutte contre «le financement du terrorisme». L'accord est jugé «insuffisant» par les adversaires de Doha.

- 20 juill.: Le Qatar amende sa législation sur la lutte antiterroriste. Le 21, son émir, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, fait une offre de dialogue, refusant toutefois de céder aux «diktats».

- 24 juill.: Après une tournée régionale, le président turc Recep Tayyip Erdogan estime qu'il faudra davantage de temps pour sortir de l'impasse, malgré une médiation du Koweït.

Liste noire

- 25 juill.: L'Arabie saoudite et ses alliés ajoutent 18 groupes et individus qualifiés de «terroristes» à une liste noire répertoriant des entités accusées de liens avec l'émirat. La liste compte désormais près de 90 noms.

- 28 juill.: Doha accuse Riyad et ses alliés de vouloir contrôler sa politique étrangère.

Briser l'isolement

- 1er août: Le Qatar confirme une commande de sept navires de guerre à l'Italie. En juin, il avait signé avec les États-Unis un accord pour la vente d'avions de combat F-15.

- 4 août: Le footballeur brésilien Neymar débarque à Paris pour rejoindre son nouveau club, le Paris Saint-Germain (PSG, propriété du Qatar), qui a mis sur la table plus de 220 millions d'euros pour le recruter.

- 9 août: Le Qatar supprime les visas d'entrée pour 80 nationalités. Il avait déjà créé un statut de résident permanent pour trois catégories d'étrangers.

Ouverture saoudienne

- 17 août: À Riyad, les médias d'État annoncent que le roi Salmane a ordonné l'ouverture de la frontière pour permettre aux Qataris d'effectuer le pèlerinage de La Mecque.