L'exécution en Arabie saoudite d'un dignitaire chiite a exacerbé dimanche les tensions au Moyen-Orient, notamment en Iran où l'ambassade saoudienne a été en partie détruite par des manifestants et à Bahreïn théâtre d'affrontements entre policiers et chiites.

La mise à mort du cheikh saoudien Nimr Baqer al-Nimr, un critique virulent du pouvoir à Riyad, a également provoqué la colère dans les communautés chiites d'Arabie saoudite, d'Irak, du Liban et du Yémen ainsi qu'au Pakistan et au Cachemire indien.

Le dignitaire de 56 ans a été exécuté samedi avec 46 personnes condamnées pour « terrorisme », dont la majorité pour des attentats attribués au réseau sunnite Al-Qaïda. Il s'agit selon Human Rights Watch de la « plus importante exécution en masse » en Arabie saoudite depuis 1980.

Les critiques les plus violentes sont venues d'Iran, grand rival chiite de l'Arabie saoudite sunnite dans la région, alors que l'ONU, les États-Unis et l'Union européenne ont dit craindre que l'exécution n'enflamme davantage les tensions entre les communautés chiite et sunnite.

« Sans aucun doute, le sang du martyr [Nimr] versé injustement portera ses fruits et la main divine le vengera des dirigeants saoudiens », a averti le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei.

Quelques heures plus tôt, en milieu de nuit, des centaines de personnes en colère ont lancé des cocktails Molotov contre l'ambassade d'Arabie saoudite à Téhéran dans laquelle ils ont pénétré. « Le feu a détruit l'intérieur de l'ambassade », selon un témoin.

Le consulat saoudien à Machhad (nord-est) a également été attaqué. Quarante manifestants ont été arrêtés à Téhéran et quatre à Machhad.

Manifestations 

Tout en dénonçant l'exécution du dignitaire saoudien, le président iranien Hassan Rohani a jugé « injustifiables » les attaques contre les représentations saoudiennes, que la police diplomatique a été chargée de protéger.

Plus d'un millier de personnes ont de nouveau manifesté dans la journée à Téhéran mais sans incident.

Un rassemblement s'est tenu à proximité de l'ambassade saoudienne malgré l'interdiction du gouvernement. Avant d'être dispersés par la police anti-émeutes, les manifestants ont crié « Mort à Al-Saoud », du nom de la famille régnante à Riyad et des drapeaux américains et israéliens ont été brûlés.

La rue où est située l'ambassade a été rebaptisée du nom du dignitaire chiite exécuté, selon l'agence iranienne Isna.

Si l'indignation et la colère sont particulièrement fortes en Iran, des chiites ont manifesté aussi en Arabie saoudite et en Irak.

L'ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité chiite en Irak, a qualifié d'« agression » le « versement du sang pur » des exécutés.

Au Liban, Hassan Nasrallah, chef du puissant mouvement chiite Hezbollah allié de l'Iran, a condamné le « terrorisme » et le « despotisme » de l'Arabie saoudite.

À Bahreïn, des affrontements violents ont opposé la police à des manifestants de la communauté chiite, majoritaire dans ce pays dirigé par une dynastie sunnite, qui protestaient contre l'exécution de Nimr.

Au-delà du Moyen-Orient, des manifestations contre l'Arabie saoudite ont eu lieu au Pakistan ainsi qu'au Cachemire indien où des centaines de manifestants chiites se sont affrontés à la police qui a tiré des gaz lacrymogènes.

Luttes d'influence 

Le cheikh Nimr avait été condamné à mort en 2014 pour « terrorisme », « sédition », « désobéissance au souverain » et « port d'armes ». Il avait été la figure de proue du mouvement de contestation qui avait éclaté en 2011, dans la foulée du Printemps arabe, dans l'est saoudien où vit l'essentiel de la minorité chiite qui se plaint de marginalisation.

Son exécution préoccupe les États-Unis, un allié de l'Arabie saoudite, qui craignent que les « tensions communautaires s'exacerbent », une crainte partagée par Paris, l'ONU et la chef de la diplomatie de l'UE Federica Mogherini qui a parlé au téléphone avec les ministres saoudien et iranien des Affaires étrangères.

Plusieurs pays arabes - Koweït, Qatar, Emirats, Égypte - ainsi que l'Organisation de la coopération islamique ont pris le parti de Riyad, en condamnant les « agressions » contre les représentations saoudiennes et en apportant leur soutien à sa « lutte contre le terrorisme ».

Au Yémen, pays ravagé par la guerre où Riyad mène une campagne militaire contre les rebelles chiites pro-iraniens, le pouvoir a exprimé son soutien à l'Arabie saoudite.

Pour les experts, l'aggravation de la tension entre Riyad et Téhéran risque d'alimenter les guerres par procuration que se livrent les deux puissances notamment en Syrie et au Yémen.

L'exécution de Nimr « contribuera à la polarisation saoudo-iranienne », affirme Jane Kinninmont de l'institut Chatham House à Londres.

Et pour François Heisbourg, conseiller à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Paris, la flambée de tensions rappelle aux Occidentaux que le monde musulman reste secoué par des luttes d'influence entre « Saoudiens et Iraniens, Persans et Arabes, sunnites et chiites » dont les enjeux sont autrement plus importants aux yeux de Riyad et Téhéran que la lutte contre le groupe djihadiste État islamique.