Le gouvernement libanais s'est enfoncé encore un peu plus, hier, en échouant à trouver une solution à la crise des déchets qui dure depuis maintenant plus d'un mois. Mais au-delà des ordures qui s'amoncellent dans les rues, c'est l'odeur pestilentielle de la corruption et d'un État défaillant qui monte au nez de la société civile, qui a lancé un nouvel appel à manifester. Explications en quatre temps.

PAYS SANS DÉPOTOIR

Depuis la fermeture, le 17 juillet, du seul dépotoir du Liban, les déchets s'accumulaient dans les rues, en pleine chaleur, et risquaient de devenir un problème de santé publique. La collecte a partiellement repris depuis, mais aucun nouvel endroit pour disposer des ordures n'a été trouvé, si bien qu'elles sont jetées sur des terrains vagues ou dans des rivières. «Dans les pays où les gouvernements ont des visions nationales et sont là pour servir le peuple et non pas leurs intérêts personnels», une solution aurait été trouvée à l'avance, affirme Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique à l'Université de Montréal. «On n'est pas du tout dans ce contexte-là au Liban.» Hier, une réunion d'urgence du gouvernement non seulement n'a pas permis de trouver une solution, mais semble avoir marqué un recul: les appels d'offres annoncés lundi ont été annulés, les prix étant jugés trop élevés.

INSATISFACTION GÉNÉRALISÉE

La crise des déchets est «la pointe de l'iceberg», illustre Marie-Joëlle Zahar. Elle a été l'élément déclencheur d'une grogne qui résulte d'une insatisfaction généralisée devant les coupures d'électricité, les pénuries d'eau, les infrastructures vieillissantes, les services publics défaillants, la corruption endémique, les faibles salaires ou les groupes politiques armés. Plusieurs de ces problèmes datent de la guerre civile qui a pris fin en 1990 ou de l'affrontement de 2006 avec Israël, explique la professeure. La colère de la population, qui a culminé en fin de semaine dernière alors que des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale et que les forces de l'ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes, de balles de caoutchouc et de canons à eau, devrait se faire entendre une fois de plus samedi, la société civile ayant appelé à de nouvelles manifestations.

PARALYSIE POLITIQUE

Le dénouement de la crise passe par «un retour à l'ordre constitutionnel», soit l'élection d'un président et d'un Parlement, estime Marie-Joëlle Zahar. Le Liban est effectivement embourbé dans une «paralysie politique»: les élections initialement prévues en 2013 ont été repoussées à 2017, officiellement pour éviter de plonger le pays dans l'instabilité, et le pays est sans président depuis plus d'un an, le Parlement n'étant toujours pas parvenu à en élire un nouveau. «Le problème, c'est que, pour l'instant, toutes les personnes que vous avez au sein de la classe politique sont des personnes qui, essentiellement, participent de ce système et n'ont pas intérêt à le changer», affirme la professeure. Selon elle, les jeunes Libanais qui manifestent «expriment le souhait que ce soit le début de la fin du système actuel, qu'ils accusent, en partie avec raison, d'être responsable de la situation».

LE POIDS DE LA CRISE SYRIENNE

Le conflit qui déchire la Syrie voisine exacerbe également les problèmes du Liban, notamment parce que l'afflux de réfugiés a entraîné «une augmentation de la population de l'ordre de 30%», souligne Marie-Joëlle Zahar, ce qui crée une pression énorme sur les infrastructures du pays, qui a besoin d'un «appui sérieux de la part de l'étranger». Politiquement aussi, la question syrienne divise les Libanais: certains appuient le régime de Bachar al-Assad, comme le Hezbollah, tandis que d'autres souhaitent le voir s'écrouler. «C'est clair qu'il y a énormément de potentiel de dérapage, s'inquiète-t-elle, mais les Libanais ont fait preuve d'énormément de retenue et de sagesse pour ne pas laisser leur pays être entraîné dans la dynamique régionale.»