Le nouvel émissaire des Nations unies est arrivé mardi à Sanaa à quelques heures d'une trêve humanitaire censée mettre fin en soirée aux sept semaines de raids aériens et de combats meurtriers au Yémen.

La venue du Mauritanien Ismaïl Ould Cheikh Ahmed intervient alors que le pays est meurtri par un conflit déclenché le 26 mars par une opération aérienne d'une coalition dirigée par l'Arabie saoudite visant à stopper l'avancée des rebelles chiites Houthis, qui se sont emparés de vastes régions du pays.

Chargé de relancer les négociations pour une solution politique au Yémen, le diplomate a atterri dans la capitale, contrôlée par les rebelles depuis janvier, selon une source aéroportuaire.

C'est sa première mission au Yémen depuis qu'il a remplacé le 25 avril le Marocain Jamal Benomar, démissionnaire.

Cité par l'agence officielle Saba, contrôlée par les Houthis, il s'est dit «convaincu qu'un règlement de la crise yéménite passe par le dialogue, qui doit être inter-yéménite».

Lors d'une visite vendredi à Riyad, il avait rencontré le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi, qui s'était réfugié en Arabie saoudite au début de l'opération de la coalition.

Alors que la trêve doit entrer en vigueur à 23 h locales (16 h, heure de Montréal), le pays a connu de nouveaux raids aériens de la coalition et des combats entre rebelles Houthis et partisans du président Hadi.

Un dépôt d'armes des rebelles situé proche de la capitale Sanaa a été bombardé à nouveau dans la nuit et mardi matin, provoquant une série d'explosions qui ont fait au moins 69 morts, selon un responsable de la Santé.

«Au moins 69 personnes, pour la plupart des civils, ont été tuées et 250 blessées», a déclaré ce responsable du ministère de la Santé en citant un nouveau bilan des explosions survenues sur le site bombardé lundi et mardi. Un précédent bilan faisait état lundi de 5 morts.

Des avions de la coalition ont bombardé à plusieurs reprises le dépôt situé sur le mont Noqom, une montagne surplombant l'est de la capitale yéménite, ont indiqué des habitants, ajoutant que les raids se sont poursuivis par intermittence jusqu'en milieu de journée.

Les explosions provoquées par les premiers raids lundi soir étaient si intenses qu'elles ont fait s'envoler des pièces d'artillerie, avaient rapporté des témoins.

Un précédent raid sur une base de Sanaa contrôlée par les rebelles, où étaient stockés des armes et des missiles, avait déclenché le 21 avril des explosions sans précédent, qui avaient fait 38 morts et 532 blessés parmi les civils.

Craintes pour la trêve

Des premiers raids visant ce dépôt situé dans une colline surplombant les quartiers est de Sanaa avaient eu lieu lundi en fin de journée. Au moins cinq personnes avaient été tuées et 20 autres blessées dans les puissantes explosions déclenchées par ces frappes, selon des sources médicales.

À Aden, grande ville du sud, les combats entre rebelles et partisans de M. Hadi n'ont pas cessé de la nuit. Six personnes, dont des civils, ont été tuées et 52 blessées lundi dans la ville, a annoncé un responsable des secours.

Un responsable de l'administration locale a dit craindre de voir la trêve «ne pas tenir à Aden au vu de la recrudescence des attaques des Houthis».

Des dizaines de Houthis et de combattants pro-Hadi ont été tués ces dernières 24 heures dans de violents combats dans les provinces sudistes de Dhaleh et Chabwa, selon des responsables locaux.

Dans le sud-ouest, cinq civils ont été tués mardi par la chute d'obus sur un commerce, une maison et une mosquée à Taëz, selon des sources médicale et locale.

Au total, 828 civils ont été tués depuis le 26 mars selon l'ONU.

Enfants-soldats

Human Rights Watch a dénoncé la tendance des Houthis à recruter des enfants qui s'est accentuée ces derniers mois selon l'ONG, estimant que cette pratique pouvait être assimilée à des «crimes de guerre». Selon HRW, les enfants constituent jusqu'au tiers des combattants des Houthis et d'autres groupes armés au Yémen.

Le cessez-le-feu de cinq jours, renouvelables, a été proposé vendredi par l'Arabie saoudite dans le but de faciliter l'acheminement d'aides humanitaires à la population civile durement éprouvée par le conflit, 12 millions de personnes étant notamment en insécurité alimentaire selon l'ONU.

Les alliés des Houthis que sont les militaires fidèles à l'ancien président Ali Abdallah Saleh ont été les premiers à l'accueillir favorablement, en affirmant vouloir ainsi alléger les «souffrances» des Yéménites.

La même raison a été invoquée dimanche par les Houthis qui ont laissé entendre du bout des lèvres qu'ils étaient prêts à respecter une telle trêve.

Anticipant sur un arrêt des combats, l'ONU a annoncé se préparer à une large opération humanitaire au Yémen.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) a indiqué se tenir prêt à apporter des rations alimentaires d'urgence à plus de 750 000 personnes dans les régions touchées par le conflit.

L'organisation onusienne avait annoncé le 30 avril que la pénurie de carburant l'obligeait à arrêter progressivement ses distributions de nourriture.

Depuis, un navire, chargé de 250 000 litres de carburant et d'équipements, a accosté samedi au port de Hodeida (ouest).

Au cours du mois d'avril, le PAM a pu venir en aide à 1,1 million de personnes au Yémen.

«Sérieux dégâts» dans la vieille ville de Sanaa

Des bombardements «massifs» dans la nuit de lundi à mardi ont causé de «sérieux dégâts» dans la vieille ville de la capitale yéménite, Sanaa, classée au patrimoine mondial de l'humanité, a déploré mardi l'UNESCO en appelant les parties à «protéger le patrimoine culturel unique» du pays.

«Au cours des derniers jours, l'UNESCO a reçu des informations faisant état d'importants dommages affectant des sites culturels significatifs au Yémen», écrit l'agence de l'ONU, basée à Paris, dans un communiqué.

Selon les informations recueillies par l'UNESCO, la vieille ville de Sanaa, dont les maisons de pisé, les mosquées et les hammams datent d'avant le XIe siècle, «a été massivement bombardée dans la nuit du 11 mai 2015, provoquant de sérieux dégâts sur de nombreux édifices historiques».

La ville historique de Saada, fief des rebelles houthis dans le nord et le site archéologique de la ville fortifiée préislamique de Baraqish (nord-ouest), «ont également été endommagés», regrette l'UNESCO.

«Je condamne ces destructions et j'appelle toutes les parties en présence à tenir le patrimoine culturel hors de portée des conflits», a déclaré la directrice générale de l'Unesco Irina Bokova, pour qui ce patrimoine représente «un témoignage exceptionnel des réalisations de la civilisation islamique».

Édifiée dans une vallée de montagne à 2200 mètres d'altitude, Sanaa était au VIIe et VIIIe siècles, un important centre de propagation de l'islam. On y décompte 103 mosquées, 14 hammams et quelque 6000 maisons, dont des maisons-tours ou d'autres en pisé, construites avant le XIe siècle.

Le Yémen compte deux autres biens inscrits au patrimoine mondial de l'humanité: la cité de Shibam (est), appelée «Manhattan du désert» en raison de ses maisons-tours de sept étages, et la ville historique de Zabid (ouest).