Le vide à la tête de l'État yéménite pourrait priver les États-Unis d'un partenaire précieux dans sa lutte contre Al-Qaïda qui a fait du Yémen l'une de ses places fortes.

«Le Yémen a été un partenaire important dans la lutte antiterroriste» menée par les États-Unis, explique vendredi un responsable du département de la Défense à l'AFP.

Non seulement l'exécutif yéménite «donnait son aval» pour des frappes aériennes américaines sur son territoire contre  Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), «mais il contribuait aussi sur le terrain» avec ses propres forces, souligne cette source.

«Personne ne sait ce qui va se passer maintenant», ajoute le responsable, au lendemain de la prise de contrôle quasi-totale de la capitale yéménite par les miliciens chiites houthis et la démission du gouvernement et du président Abd Rabbo Mansour Hadi.

Depuis 2009, les États-Unis ont mené plus de 110 frappes aériennes au Yémen, dont l'essentiel par des drones, selon le décompte publié par la fondation New America. Le pic a été atteint en 2012 avec 56 frappes, contre 19 en 2014.

En 2011, les Américains ont éliminé l'imam américano-yéménite Anwar Al-Aulaqi, responsable d'Aqpa, né de la fusion des branches saoudienne et yéménite d'Al-Qaïda.

Jusqu'ici, les forces de sécurité yéménites ont fourni des renseignements aux Américains, permettant de les guider dans leurs frappes.

Des forces spéciales américaines, évaluées à une centaine d'hommes, sont encore sur place pour assister les Yéménites dans leurs combats contre Aqpa. Et malgré l'incertitude politique actuelle, les États-Unis ont encore dit jeudi soir qu'ils maintenaient leur ambassade ouverte à Sanaa.

«Si l'ambassade ferme, alors la présence militaire américaine sur le terrain disparait presque totalement», souligne Bruce Riedel, un ancien agent de la CIA qui a conseillé plusieurs présidents américains et qui travaille aujourd'hui pour la Brookings Institution, un groupe de réflexion.

Malgré le chaos actuel, le scénario du maintien d'une coopération avec les pouvoirs locaux n'est pas encore complètement exclu par les Américains.

Les Houthis, ennemis de nos ennemis 

«Nous n'aurons plus de partenaire local efficace», mais «nous aurons peut-être des petits bouts de partenariat», veut espérer Bruce Riedel.

L'une des inconnues est l'attitude vis-à-vis des États-Unis de la puissante milice chiite houthi, qui a poussé à la démission jeudi les deux chefs de l'exécutif yéménite.

«Nous sommes dans une situation bizarre où les Houthis, les ennemis de notre ennemi Aqpa, ne sont pas du tout nos amis, et vont probablement perturber nos efforts pour renforcer l'armée et les forces de sécurité yéménites», relève Daniel Benjamin, chercheur au Dartmouth College.

«Les terroristes prospèrent dans le chaos et la menace contre les pays occidentaux pourrait s'amplifier», a-t-il estimé.

«Les Houthis vont nier toute coopération avec les États-Unis, mais ils l'ont déjà fait sous le manteau, et ils continueront probablement de le faire», estime de son côté Charles Schmitz, spécialiste du Yémen à l'université Towson.

Vendredi, le porte-parole du Pentagone, le contre-amiral John Kirby, a rappelé que les Etats-Unis pouvaient procéder à des frappes unilatérales contre les groupes extrémistes, sans accord formel du pays concerné.

«Mais le plus efficace est d'avoir la coopération» de ce pays, souligne-t-il.

La situation est en tout cas un «revers majeur» pour le président Obama, qui, encore en septembre dernier, avait fait de la coopération avec le Yémen un pivot de sa politique antiterroriste, souligne Jim Phillips, chercheur à l'Heritage Foundation, un centre de réflexion conservateur: pas de troupes américaines sur le terrain, mais un appui aux forces locales, le cas échéant avec des frappes aériennes.