Alors que l'OTAN met fin aujourd'hui à sa mission de combat en Afghanistan, en passant le flambeau à l'armée afghane, les Afghans font le bilan de 13 ans d'intervention occidentale. Les trois journalistes afghans que notre journaliste a interrogés font tous le même constat: les 13 dernières années ont porté leur lot de déceptions, mais elles n'ont pas été une catastrophe.

« En 1989, quand les troupes de l'Armée rouge ont quitté le pays, nous avons célébré parce que nous venions de gagner et que nous retrouvions notre souveraineté. Cette fois, nous célébrons aussi, mais parce que nous sommes capables de nous tenir debout sur nos deux pieds. »

Joint hier soir à Kaboul, Fahim Dashty était de bonne humeur. Pour lui, la fin de la mission de combat de l'OTAN dans son pays, aujourd'hui, est une bonne nouvelle. Dès demain, l'armée afghane reprend les rênes de la sécurité du pays.

Dans le cadre de l'opération Resolute Support (soutien déterminé), quelque 12 500 soldats de l'OTAN resteront dans le pays pendant deux ans, mais auront pour seul rôle de soutenir et de former l'armée afghane qui, elle, combattra. Un immense test pour la jeune organisation militaire.

« Ma seule crainte, c'est que l'armée afghane ne reçoive pas le soutien dont elle aura besoin pour faire son travail. Nous n'avons toujours pas d'armée de l'air, nous manquons d'équipement et de formation », dit M. Dashty.

Survivre à l'Afghanistan

Journaliste afghan de renom, aujourd'hui à la tête du Syndicat national des journalistes d'Afghanistan, Fahim Dashty est aux premières loges des événements qui secouent son pays depuis plus de 25 ans.

Il était là en 1989 quand les soldats soviétiques ont rebroussé chemin après 10 ans d'une guerre sans merci. Il a été brûlé sur 90% de son corps quand des terroristes d'Al-Qaïda ont lancé une attaque suicide contre son héros personnel, le commandant de l'Alliance du Nord, Ahmad Shah Massoud, le 9 septembre 2001.

Deux jours plus tard, George W. Bush déclarait la guerre au terrorisme. Au cours des années qui ont suivi, des centaines de milliers de soldats sont débarqués en Afghanistan pour chasser Al-Qaïda et le régime des talibans. Fahim Dashty a couvert et commenté les hauts et les bas de la mission de la force internationale, baptisée ISAF, pour son journal, le Kabul Weekly.

Cette semaine, le journaliste assiste à la fin de cette mission de combat, lancée par les Américains, mais à laquelle se sont joints une trentaine de pays, incluant le Canada. En 13 ans, plus de 3000 militaires étrangers ont perdu la vie en sol afghan. Les soldats afghans ont été encore plus nombreux à périr. Cette année seulement, plus de 4500 d'entre eux sont morts, un triste bilan qui en dit long sur la bataille qui reste à mener.

« Ceux qui disent que la mission occidentale a été un échec ont tort. Les besoins étaient gigantesques dans tous les domaines. Le pays n'était pas à zéro, il était à moins dix. Aujourd'hui, nous avons une armée de plus de 300 000 soldats, nous avons un président élu, les enfants - filles et garçons - vont à l'école. Il y a eu plus de succès que d'échecs », dit Fahim Dashty, pourtant connu dans son pays pour ses positions critiques du gouvernement.

Médecins de formation, devenus journalistes par la force des choses, Sangar Rahimi, du New York Times, et Farouq Samim, anciennement du Chicago Tribune, font le même constat. Même si tous deux ont vu mourir des civils et des collègues aux mains des troupes étrangères, ils estiment que leur pays a progressé depuis l'arrivée des premiers soldats américains.

« Si on compare avec la situation sous les talibans, il y a 13 ans, oui, nous sommes dans une meilleure position. Mais si tout l'argent qui a été donné par les États-Unis, le Canada et les autres pays avait été bien géré, nous serions 10 fois plus en avance», note Sangar Rahimi.

Beaucoup d'argent

Selon une récente enquête du Financial Times, les Américains ont dépensé à eux seuls 1 trillion pour la guerre en Afghanistan depuis 2001, soit l'équivalent des sommes déboursées pour reconstruire l'Europe sous le plan Marshall, après la Deuxième Guerre mondiale. « Oui, il y a eu beaucoup de corruption et de mauvaise gestion et nous avons un État faible, mais les droits des femmes ont fait des bonds de géant. Nous avons plus de femmes députées qu'au Congrès américain. Nous avons une armée, une police et des services de renseignement. Tout ça est faible, mais c'est là », dit M. Rahimi, joint en Virginie.

Farouq Samim se réjouit pour sa part de voir les troupes étrangères changer de rôle, mais sans déserter le pays complètement. « Après la fin de l'invasion russe, nous avons été laissés à nous-mêmes. Il y a eu une guerre civile et nous nous sommes battus les uns contre les autres. Nous ne voulons pas revivre la même chose », dit M. Samim, qui vit aujourd'hui dans la région d'Ottawa.

Violence dans l'avenir proche

Les trois journalistes afghans s'attendent à ce que les prochains mois soient difficiles. Les talibans, qui contrôlent certaines zones rurales, vont continuer à s'en prendre à l'armée afghane. « Depuis un an, l'armée afghane joue un plus grand rôle et elle a montré qu'elle peut être à la hauteur. Oui, il y a eu beaucoup de violence et beaucoup de morts, mais les militaires afghans n'ont pas perdu le contrôle d'un seul district, analyse Sangar Rahimi. La bataille de l'OTAN se termine, celle des Afghans ne fait que commencer ».

La mission en 8 points

Octobre 2001

La campagne débute par des frappes aériennes

Décembre 2001

Hamid Karzaï devient dirigeant par interim

Août 2003

L'OTAN prend la direction des opérations de la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS)

Octobre 2004

Karzaï devient le premier président démocratiquement élu

Novembre 2009

Karzaï entame son second mandat

Décembre 2009

Le président américain Barack Obama décide d'augmenter le nombre de troupes

5 avril 2014

1er tour de l'élection présidentielle

21 septembre 2014

Asraf Ghani est déclaré nouveau président