Le nouveau président afghan Ashraf Ghani a appelé lundi les talibans à la paix en succédant à Hamid Karzaï, seul homme à avoir dirigé le pays depuis l'intervention occidentale de 2001, la première transition démocratique d'un pays toujours déchiré par la guerre.

Cette intronisation ouvre la voie à la signature, dès mardi, de l'accord de sécurité bilatéral (BSA) avec les États-Unis qui devrait permettre à Washington de laisser une force réduite de quelque 10 000 soldats dans le pays après le départ de la majorité des soldats de l'OTAN en fin d'année.

Lors de sa prestation de serment, Ashraf Ghani a convié les talibans, chassés du pouvoir à la fin 2001 et qui mènent depuis une violente rébellion contre Kaboul et l'OTAN, et les autres groupes insurgés à des pourparlers de paix pour mettre fin au conflit.

«Nous demandons aux opposants, et plus spécifiquement aux talibans et au Hezb-e-Islami, d'entamer des pourparlers politiques», a déclaré M. Ghani, 65 ans, un ex-cadre de la Banque mondiale et ancien ministre des Finances dans le premier gouvernement de Hamid Karzaï.

«Pour chacun des griefs des talibans, nous trouverons une solution... Nous demandons aux villageois de demander la paix et aux imams de conseiller les talibans, et s'ils n'écoutent pas, de couper les ponts avec eux», a ajouté M. Ghani.

Après la cérémonie, un conseiller de M. Ghani, Daoud Sultanzoy, a confirmé que l'accord BSA serait signé mardi avec les États-Unis. M. Ghani «avait promis qu'il serait signé le lendemain de son intronisation, et ce sera fait», a-t-il ajouté.

Washington, premier bailleur de fonds et soutien militaire de l'Afghanistan, réclame cet accord à Kaboul de longue date. Mais les Américains s'étaient heurtés jusqu'ici au refus de le signer du prédécesseur de M. Ghani, Hamid Karzaï, dont les relations avec les États-Unis s'étaient fortement dégradées ces dernières années.

La capitale sous haute surveillance

Signe d'une situation toujours instable, l'intronisation de M. Ghani a été accueillie par un nouvel attentat meurtrier des insurgés.

«Un kamikaze s'est fait exploser près de l'aéroport tuant quatre personnes et en blessant deux», a déclaré à l'AFP un porte-parole de la police de la capitale, placée sous haute surveillance pour cette investiture suivie par des dignitaires venus des États-Unis, mais aussi de Chine, d'Inde et du Pakistan, des puissances régionales.

Le kamikaze «visait des soldats afghans et étrangers», a indiqué le porte-parole officiel des talibans, Zabiullah Mujahid, en revendiquant ce nouvel attentat dans la capitale.

L'ex-président Karzaï avait convié à de nombreuses reprises les rebelles islamistes à des pourparlers de paix afin de stabiliser le pays au terme de la mission des forces de l'OTAN qui prend fin cette année.

Mais les insurgés avaient chaque fois refusé de prendre langue directement avec M. Karzaï, qu'ils accusaient d'être une «marionnette» de Washington. Or les talibans ont récemment qualifié M. Ghani «d'employé» des États-Unis, laissant présager des relations houleuses entre le pouvoir et les insurgés.

Ces derniers s'opposent obstinément au maintien d'une force résiduelle de 12 500 soldats étrangers pour épauler et former les forces afghanes après le retrait, d'ici la fin de l'année, de l'essentiel des 41 000 militaires de l'OTAN, et exigent le départ de l'ensemble des soldats étrangers comme condition au dialogue.

La première dame aspire à la vie publique

Dans une société afghane patriarcale et très conservatrice, les femmes sont le plus souvent absentes de la vie publique, mais la nouvelle «première dame» du pays, Rula Ghani, pourrait être l'une des rares exceptions à cette règle.

Rula Ghani a déjà brisé quelques tabous en faisant campagne aux côtés de son mari Ashraf Ghani, prononçant elle-même au moins un discours devant les partisans de son mari.

Ce dernier a souvent dit qu'il souhaitait voir les femmes jouer un plus grand rôle dans la vie publique afghane, et de nombreuses organisations souhaitent voir Rula incarner le rôle d'une «première dame» active et influente.

«Je veux profiter de cette occasion pour remercier ma partenaire et mon épouse pour son soutien envers moi et l'Afghanistan», a déclaré lundi M. Ghani peu après avoir été assermenté au palais présidentiel où le couple s'établira dorénavant.

«Elle (Rula) a toujours aidé les réfugiés, les femmes et les enfants et je suis certain qu'elle continuera à le faire», a-t-il ajouté, ne tarissant pas d'éloges envers sa compagne, une Libano-Américaine rencontrée à la fin des années 70 à Beyrouth, avec laquelle il a eu deux enfants.

Rula Ghani avait effectué son discours de campagne à Kaboul, en mars dernier, à l'occasion de la journée internationale de la femme. Et M. Ghani n'a pas caché qu'il devait en partie sa victoire lors de la présidentielle de juin aux votes des femmes.

Pression de l'ONU et des États-Unis

Cette transition démocratique met officiellement fin à trois mois d'une crise politique née des résultats contestés du second tour de la présidentielle, le 14 juin dernier, qui a fragilisé davantage le pays.

Ashraf Ghani et son rival Abdullah Abdullah revendiquaient tous deux la victoire lors de ce scrutin marqué par des fraudes massives. M. Ghani concentre ses appuis chez les Pachtounes du Sud, et M. Abdullah chez les Tadjiks du Nord, ce qui faisait craindre un embrasement, voire la partition de facto de l'Afghanistan.

Sous la pression de l'ONU et des États-Unis, les deux rivaux ont accepté la semaine dernière de former un gouvernement d'union nationale dans lequel M. Abdullah héritera d'un rôle semblable à celui d'un premier ministre. Et M. Ghani a été déclaré vainqueur de l'élection avec un peu plus de 55 % des voix à l'issue d'un audit inédit et laborieux des huit millions de bulletins de vote déposés dans les urnes lors du scrutin.

«Je suis certain que le nouveau leadership a écouté le message de la population qui aspire à la paix et à la stabilité», a déclaré M. Karzaï lors de son dernier discours à titre de président, dont le bilan a été marqué par des avancées en terme d'éducation et de droits des femmes, mais reste plombé par la forte persistance de la corruption et l'insécurité hors des grandes villes.