Des centaines de djihadistes ont pris mardi l'ensemble de la province de Ninive dans le nord de l'Irak, un coup inédit porté à un pouvoir incapable de freiner les avancées rebelles dans le pays qui risque de plonger dans le chaos.

Ils se sont ensuite emparés de six secteurs de la province de Kirkouk. Les djihadistes contrôlent les secteurs de Hawija, Zab, Riyadh et Abbasi, à l'ouest de la ville de Kirkouk, et Rashad et Yankaja au sud, selon le colonel Ahmed Taha.

Les soldats et la police ont abandonné leurs positions à Zab, a-t-il ajouté. Le chef du conseil du district de Hawija, Hussein al-Joubouri, a de son côté indiqué que des soldats auraient apparemment reçu l'ordre de partir, permettant aux insurgés de prendre possession des lieux et de hisser leurs drapeaux.

Face à la nouvelle percée des rebelles sunnites qui, selon des responsables, appartiennent à l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et à d'autres groupes djihadistes, le gouvernement du chiite Nouri al-Maliki a décidé d'armer les citoyens prêts à combattre les insurgés.

C'est le chef du Parlement Oussama al-Noujaïfi qui a annoncé la prise de la province pétrolière sunnite de Ninive dont le chef-lieu est Mossoul, deuxième ville du pays, en affirmant que les rebelles se dirigeaient vers la province voisine de Salaheddine, plus au sud, pour «l'envahir».

Les avancées de la rébellion témoignent de la situation sécuritaire chaotique en Irak, alimentée par les luttes d'influence politique, les tensions confessionnelles entre chiites et sunnites, ainsi que par le conflit en Syrie voisine.

«Toute la province de Ninive est tombée aux mains des insurgés», a indiqué M. Noujaifi lors d'une conférence de presse, en appelant «à l'unité nationale (face) à une invasion de l'Irak par des forces étrangères».

Avant l'aube, des centaines d'hommes armés ont lancé l'assaut contre Mossoul et ont réussi, après des combats avec l'armée et la police, à prendre le siège du gouverneur, les prisons et les télévisions, selon des responsables.

«Mossoul est à la merci des hommes armés qui ont annoncé via haut-parleurs être venus pour libérer Mossoul et qu'ils combattront seulement ceux qui les attaqueront», a indiqué un responsable irakien qui a requis l'anonymat.

Selon des sources irakiennes, les forces gouvernementales ont fait alors le choix de ne plus combattre ou de fuir la ville de quelque deux millions d'habitants.

«Des membres de l'armée et de la police ont ôté leurs uniformes et les postes de l'armée et de la police sont maintenant vides. Les hommes armés ont libéré les détenus des prisons» de Mossoul, a ajouté le responsable.

Armer les civils

Selon un correspondant de l'AFP sur place, les forces de sécurité ont abandonné leurs véhicules alors que des postes de police ont été incendiés.

«Toutes les unités militaires ont quitté Mossoul et les habitants ont commencé à fuir» par milliers vers le Kurdistan, a indiqué un officier de haut rang en affirmant que c'est l'EIIL, aidé d'autres groupes djihadistes, qui a pris Ninive.

L'EIIL contrôle déjà Fallouja et plusieurs secteurs de la province occidentale d'Al-Anbar, voisine de Ninive, mais c'est la première fois que les insurgés prennent toute une province dans le pays meurtri par une spirale de violences depuis plus d'un an qui a fait des milliers de morts.

Face à cette offensive des rebelles qui ont en outre tué 20 personnes mardi dans un attentat à Baqouba près de Bagdad, le gouvernement Maliki, honni par les insurgés, a annoncé la création «d'une cellule de crise pour superviser le volontariat et l'armement» des citoyens volontaires prêts à combattre les insurgés.

Il a dans un communiqué «salué la volonté des citoyens et membres de tribus de prendre les armes pour défendre la patrie et vaincre le terrorisme».

Il a aussi annoncé sa décision de «restructurer et réorganiser» les forces de sécurité, et appelé le Parlement à se réunir pour décréter «l'état d'urgence».

«Menace dangereuse»

Pour l'analyste politique Aziz Jabr, «la chute de Ninive constitue une menace dangereuse pour la sécurité nationale irakienne». Il semble, selon lui, que «les directions militaires ont fui» les zones de combats «ce qui montre qu'elles ont été infiltrées» par les rebelles.

Les provinces de Ninive et d'Al-Anbar sont situées à la frontière poreuse avec la Syrie, le long de laquelle gravite l'EIIL qui ambitionne d'installer un État islamique.

L'EIIL, aidé par des tribus hostiles au gouvernement, jouit dans les régions d'un soutien des milieux de la minorité sunnite qui s'estime marginalisée par le pouvoir dominé par les chiites.

Ce groupe djihadiste, selon une source de sécurité, se ravitaille en armes en Syrie où il combat d'autres groupes rebelles et le régime syrien, avant de repasser en Irak.

Là, poursuit cette source, il se cache dans les vastes étendues désertiques de l'Ouest irakien près des provinces de Ninive et Al-Anbar, où l'armée est incapable de le traquer par manque notamment de moyens aériens, la seule façon d'y débusquer les djihadistes.

La province pétrolière sunnite Ninive, une des régions les plus dangereuses d'Irak, est situé un peu plus au nord de la province de Kirkouk.

Ban Ki-moon «très inquiet»

Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon est «profondément inquiet» de la prise par des djihadistes de Mossoul et a appelé les dirigeants irakiens à faire preuve d'unité, a indiqué son porte-parole mardi.

M. Ban est «profondément inquiet de la grave détérioration de la situation sécuritaire à Mossoul, où des milliers de civils ont été déplacés», a déclaré Stéphane Dujarric.

Menace pour toute la région

Les jihadistes de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui se sont emparés de la province de Ninive et de son chef-lieu Mossoul, dans le nord de l'Irak, menacent toute la région, ont estimé les États-Unis mardi.

«L'EIIL représente une menace pour la stabilité de l'Irak, mais aussi pour celle de toute la région», a déclaré la porte-parole du département d'État, Jennifer Psaki, dans un communiqué.

Washington, a-t-elle dit, soutient «une réponse forte pour repousser cette agression».

«Les États-Unis se tiennent aux côtés du peuple irakien, des peuples de Ninive et d'Al-Anbar qui font face à cette menace», a ajouté Jennifer Psaki.

«Nous continuerons à travailler étroitement avec les responsables politiques et sécuritaires dans une approche globale afin de réduire les capacités de l'EIIL d'agir en Irak», a-t-elle encore dit.

Le Pentagone a de son côté affirmé «surveiller de près» l'évolution de la situation, tout en écartant toute action militaire américaine.

«Nous sommes en contact avec les dirigeants irakiens mais au bout du compte, c'est au gouvernement et aux forces irakiennes de faire face» à cette situation, a déclaré le porte-parole du Pentagone, le contre-amiral John Kirby.

Des jihadistes appartenant notamment à l'EIIL se sont emparés de la province de Ninive et de son chef-lieu Mossoul.

C'est la première fois que des insurgés prennent toute une province dans le pays, où l'EIIL contrôle déjà Fallouja et plusieurs secteurs de la province occidentale d'Al-Anbar, voisine de Ninive. Les jihadistes ont également progressé mardi progressé dans une autre province du nord du pays, celle multi-communautaire de Kirkouk, ainsi que dans la province voisine de Salaheddine.

L'EIIL est aussi fortement présent en Syrie, où il se bat contre les troupes de Bachar al-Assad. Il aspire à créer un État islamique entre l'Irak et la Syrie.

Face à la résurgence jihadiste, le porte-parole du Pentagone a rappelé que l'armée américaine, malgré le retrait d'Irak fin 2011, continuait de former les forces irakiennes à des missions antiterroristes, notamment en Jordanie depuis le début de l'année.

Elle a également vendu pour 14 milliards de dollars d'équipements militaires à l'armée irakienne, a ajouté le contre-amiral Kirby.

En janvier, Washington a vendu 24 hélicoptères d'attaque Apache à Bagdad ainsi que des centaines de missiles antichar Hellfire et les deux premiers des 36 chasseurs-bombardiers F-16 achetés par l'Irak devraient être livrés «à l'automne», selon lui.

Le 13 mai, le Pentagone a encore notifié le Congrès du projet de vente à l'Irak de 200 véhicules Humvees équipés de mitrailleuses pour 101 millions de dollars et de 24 avions à hélice d'attaque au sol AT-6 Texan II pour 790 millions de dollars. Le Congrès a jusqu'au 13 juin pour soulever d'éventuelles objections à ce projet, faute de quoi le contrat sera conclu.