Plus de la moitié des électeurs irakiens se sont mobilisés pour les élections législatives, en dépit des violences, s'attirant les félicitations de Washington et de l'ONU, mais la route était encore longue jeudi vers la formation d'un gouvernement.

Les tractations entre différents groupes avaient pris plus de 8 mois après les dernières législatives, en 2010.

«Trouver un compromis entre sunnites, chiites et Kurdes n'est pas chose aisée», explique Ayham Kamel, directeur de la région Moyen-Orient Afrique du Nord pour l'Eurasia group, soulignant qu'aucun accord pré-électoral n'a été conclu, et qu'il faudra donc attendre les premiers résultats officiels pour entamer les négociations.

Ceux-ci ne seront pas connus avant la mi-mai, et même le taux de participation exact n'a pas encore été annoncé.

Analystes et diplomates craignaient que la vague de violences dans laquelle le pays est plongé depuis des mois et qui a déjà fait plus de 3000 morts en 2014 ne pèse sur la participation.

Mais selon les premières estimations, environ 60 % des 20 millions d'électeurs inscrits ont voté pour les premières législatives depuis le retrait des troupes américaines fin 2011. Un niveau comparable à 2010, où le taux de participation s'était établi à 62,4 %.

Le scrutin a été marqué par des violences qui ont fait 14 morts, dont deux membres de la commission électorale, et 36 blessés.

Le chef de la diplomatie américaine John Kerry a félicité les millions d'Irakiens qui ont «courageusement voté», estimant qu'ils avaient envoyé «un puissant message de revanche aux extrémistes qui tentent de saboter les progrès de la démocratie».

Le Conseil de sécurité de l'ONU a appelé à former un gouvernement «qui représente la volonté et la souveraineté du peuple irakien».

«Aucun acte de violence ou de terrorisme ne peut faire reculer le processus vers la paix, la démocratie et la reconstruction de l'Irak», a ajouté le Conseil dans un communiqué.

Nombre d'Irakiens se sont rendus aux urnes espérant «changer les choses».

Changement

«Je prie pour que l'Irak ait un meilleur avenir, que le chômage diminue, que l'industrie, l'agriculture et le commerce renaissent», expliquait Jawad Said Kamal al-Din, 91 ans.

«J'espère que tous les politiciens vont changer, notamment les députés. Ce sont tous des voleurs, qui détournent l'argent du pays».

Paradoxalement, le premier ministre sortant Nouri al-Maliki, qui espère un troisième mandat, a aussi fait campagne sur le changement, fatigué de la coalition hétéroclite qu'il tente de gouverner depuis 2010.

«Nous devons commencer à changer, et changer, cela signifie que le gouvernement ne doit pas ressembler à celui d'avant. Le prochain gouvernement doit être un gouvernement issu d'une majorité politique, afin de pouvoir gouverner le pays», a-t-il dit après avoir voté tôt mercredi à l'hôtel Rachid, au coeur de la «zone verte», un secteur fortifié de Bagdad.

Le premier ministre, un chiite, s'est également dit «sûr de sa victoire».

Il est donné favori, malgré un bilan très critiqué en matière de lutte contre le chômage et la corruption, ou encore de modernisation des services publics. Mais il a su mettre à profit son image d'homme fort au milieu de la spirale de violences.

Attaques et attentats sont notamment alimentés par les tensions confessionnelles entre chiites et sunnites, de plus en plus profondes.

Des insurgés, dont des djihadistes de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), tiennent depuis début janvier la ville de Fallouja, dans la province d'Anbar, majoritairement sunnite.

Ces violences sont devenues un argument politique: pour convaincre les électeurs, les 9039 candidats ont surtout mis en avant leur appartenance ethnique et confessionnelle.

À la fermeture des bureaux de vote mercredi soir, alors que la nuit tombait sur Bagdad, les affiches des candidats, qu'ils soient laïcs, sunnites ou chiites, tapissaient les rues, piétinées par des Irakiens plus intéressés par les cadres métalliques qui leur servaient de support.

Par dizaines, ils se sont empressés de les dépouiller de leurs structures en fer, pour les revendre ou les recycler aussitôt, explique Abou Hazim, en pleine action près de la place Karamana à Bagdad.

«Nous les utilisons pour faire des toits pour nos maisons, et le reste, nous le vendons. La plupart des députés ont de l'argent plein les poches - l'argent qu'ils ont volé au peuple. Les pauvres, il ne leur reste que les petites choses».