Les talibans afghans ont ouvert mardi un bureau de représentation au Qatar destiné à trouver une solution au conflit afghan, un évènement historique après douze ans de conflit, aussitôt salué par Washington et Kaboul, qui ont annoncé dans la foulée l'envoi d'émissaires sur place.

Ces annonces sont intervenues le jour même où, à Kaboul, le gouvernement afghan a officiellement repris le contrôle de la sécurité du pays à la place de la force de l'OTAN (Isaf), engagée dans un processus de retrait qui la verra retirer la grande majorité de ses 100 000 soldats d'ici la fin 2014.

Le chemin de la paix s'annonce toutefois long et semé d'embûches, tant les positions de Kaboul et de ses alliés occidentaux, d'une part, et celles des talibans, d'autre part, restent à ce jour incompatibles, notamment sur la nature du futur régime afghan ou la présence militaire américaine après 2014.

À Doha, des représentants du Qatar et des talibans ont formellement ouvert «le bureau politique de l'émirat islamique d'Afghanistan (le commandement taliban)».

Une dizaine de talibans étaient présents lors de la cérémonie d'ouverture et un drapeau blanc de l'émirat islamique, frappé de la profession de foi musulmane, était dressé dans la salle où s'est tenue une conférence de presse.

Les talibans ont jusqu'ici toujours refusé de participer à des négociations de paix tant qu'il restera des soldats étrangers, qu'ils considèrent comme des «envahisseurs», sur le sol afghan.

Mais en janvier 2012, ils avaient fait un premier pas dans cette direction en se disant prêts à avoir un bureau politique hors d'Afghanistan pour faciliter des négociations de paix. Doha, capitale du Qatar, s'est rapidement imposée, et des représentants talibans s'y sont installés. Le processus aura finalement pris un an et demi.

L'ouverture de ce bureau est destinée à nouer des contacts pour favoriser «le dialogue et l'entente avec les pays du monde», a déclaré un porte-parole du bureau taliban, Mohamed Naïm, lors de la conférence de presse.

Dans un communiqué lu à cette occasion, les talibans - en guerre depuis près de douze ans contre le gouvernement de Kaboul et ses alliés de l'OTAN - affirment rechercher «un règlement pacifique de nature à mettre fin à l'occupation de l'Afghanistan et à établir un régime islamique indépendant».

Leur ton volontariste se confirme lorsqu'ils s'engagent à «n'autoriser personne à utiliser le territoire afghan pour menacer la sécurité des autres pays».

Cette dernière phrase sonne comme une ouverture à l'attention des Américains qui ont toujours affirmé qu'ils ne quitteraient pas l'Afghanistan tant que celui-ci pourrait représenter une menace pour eux ou le reste du monde, comme ce fut le cas avec les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, échafaudés par Al-Qaïda alors hébergée par le régime taliban afghan.

Les talibans afghans qui, au contraire d'Al-Qaïda, ne combattent qu'en Afghanistan, se gardent toutefois de mentionner cette dernière, qui reste leur alliée et avec qui ils ont des liens historiques très forts.

«Les États-Unis auront une rencontre officielle, la première depuis des années, avec les talibans dans quelques jours à Doha», a indiqué un responsable américain à Washington, en admettant que cette réunion marquait le «début d'un parcours très difficile».

«Nous (leur) avons fait savoir clairement que nous ne nous attendions pas immédiatement à ce qu'ils rompent leurs liens avec al-Qaïda, parce que ce sera un aboutissement du processus de négociations», a expliqué un autre responsable américain.

Le secrétaire d'État américain John Kerry n'a rien dit sur ces discussions, mais a salué l'ouverture du bureau des talibans. «C'est une bonne nouvelle. Nous sommes très heureux de ce qui arrive», a-t-il déclaré.

Mohamed Naïm a confirmé de prochains contacts avec les Américains. «Nous allons commencer prochainement le dialogue avec la partie américaine», a-t-il dit. Il a précisé que la question des dirigeants talibans détenus à la prison américaine de Guantanamo «sera parmi les principaux dossiers à discuter en vue d'un règlement».

Le président afghan Hamid Karzaï a également annoncé mardi qu'il allait envoyer des émissaires du Haut Conseil pour la paix (HCP) -une instance qu'il a créée pour tenter de négocier avec les insurgés- au Qatar afin de discuter avec les talibans.

«Nous espérons que l'ouverture de ce bureau (...) permettra d'entamer dès que possible des discussions entre le HCP et les talibans», a ajouté M. Karzaï, tout en soulignant que toute discussion de paix devrait ensuite se poursuivre en Afghanistan.

Lors de la conférence de presse à Doha, M. Naïm est resté dubitatif sur l'amorce d'un dialogue avec le gouvernement Karzaï, que les talibans considèrent comme une «marionnette des États-Unis». «Rien (n'est prévu) pour le moment, mais ce sera selon les circonstances», a dit M. Naïm.

M. Karzaï s'était exprimé dans la matinée lors d'une cérémonie à Kaboul qui a marqué la reprise en main officielle de la sécurité du pays par le gouvernement afghan et ses quelque 350 000 membres des forces de sécurité, à qui l'OTAN a cédé mardi le contrôle des derniers districts qu'elle contrôlait encore.

L'Isaf n'aura en théorie désormais plus qu'un rôle de soutien, notamment aérien en cas d'attaque sérieuse, et de formation des forces afghanes.

Mais le rythme des violences insurgées ne faiblit pas, et nombre d'observateurs doutent de la capacité des forces afghanes à assurer seules la sécurité du pays, notamment face aux talibans qui poursuivent leurs attaques. Ces affrontements font craindre une nouvelle guerre civile après le retrait occidental. Moins de deux heures avant la cérémonie de mardi, une bombe a explosé à Kaboul près de la maison de Mohammed Mohaqiq, un influent allié du président Karzaï, tuant 3 civils et blessant 24 autres, selon la police.