Le 14 juin, 50 millions d'Iraniens, dont 25 millions d'électeurs de moins de 35 ans, seront appelés aux urnes. Ils devront choisir un président qui remplacera l'incendiaire Mahmoud Ahmadinejad, non éligible après avoir complété deux mandats. Un vote dans la République islamique peut-il vraiment changer quoi que ce soit? L'immense jeunesse iranienne envahira-t-elle de nouveau les rues des grandes villes, comme en 2009? Survol des enjeux.

Le président donne le ton

Le poste de président est le plus haut poste élu en Iran, mais la présidence iranienne a bien peu à voir avec ses équivalents américain ou français. Bien que le président soit à la tête de l'aile exécutive, en principe, le véritable pouvoir se retrouve entre les mains du «Guide suprême de la Révolution», actuellement l'ayatollah Ali Khamenei, qui contrôle les forces de l'ordre et l'ensemble des organes du pouvoir politique et religieux. «Cependant, le président donne le ton à la politique en Iran. Il peut nommer des gens dans plusieurs postes-clés. Il a aussi un impact important sur l'économie et sur l'atmosphère culturelle du pays», note Robin Wright, experte de l'Iran à l'Institut des États-Unis pour la paix. Pendant la présidence du réformiste Mohammad Khatami, notamment, un vent de liberté artistique et médiatique avait soufflé sur le pays. Lorsque le président se brouille avec l'ayatollah, son rôle se transforme parfois en celui de chef de l'opposition, comme ce fut le cas pour Mahmoud Ahmadinejad lors de son dernier mandat.

C'est la fin d'Ahmadinejad

L'enfant terrible de la scène internationale tire sa révérence. Et il le fait dans la disgrâce aux yeux du régime islamique, après un deuxième mandat très ardu. «Tout le monde s'entend sur le fait qu'il a ruiné le pays, incluant le plus conservateur des candidats à sa succession, Saïd Jalili», estime Houchang Hassan-Yari, professeur de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada à Kingston. La disqualification de son poulain, Esfandiar Rahim Mashaei, de la liste des candidats à la présidence a scellé la chute du politicien. Pourtant, Mahmoud Ahmadinejad aura connu une carrière plus que surprenante. En 2005, il était un inconnu à l'extérieur de Téhéran, dont il était le maire, quand il a été élu président, réussissant à défaire l'un des poids lourds de la République islamique, Akbar Hachemi Rafsandjani. Lors de son premier mandat, il a marché main dans la main avec l'ayatollah Khamenei. Son deuxième mandat, commencé dans la controverse après la contestation populaire de sa réélection, a été marqué par de profondes dissensions avec le Guide suprême.

Les candidats sont les hommes du grand ayatollah

Pour sélectionner les candidats à la présidence, le Conseil des gardiens - un des organismes les plus conservateurs de la République islamique - a dû écarter 670 candidatures. Exit les femmes et tous ceux jugés pas assez «idéologiquement purs» ou «qualifiés» pour assumer le poste de président. Les candidats réformistes de la dernière élection, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karroubi, assignés à résidence, n'ont pas eu le loisir de poser leur candidature. L'ex-président Rafsandjani a lui aussi été mis de côté. Qu'ont en commun les huit candidats qui ont survécu au processus du veto? Ce sont tous des proches ou des anciens collaborateurs de l'ayatollah Khamenei. «On a rarement vu aussi peu de diversité parmi les candidats à la présidence», note Robin Wright, qui, comme journaliste, a couvert plusieurs élections présidentielles iraniennes.

L'enjeu numéro un? C'est l'économie, stupide!

Quel est l'enjeu le plus important aux yeux des Iraniens? Il ne faut pas chercher très loin! Comme l'a dit Bill Clinton lors de sa campagne en 1992, «c'est l'économie, stupide!». Frappée par les sanctions occidentales, l'économie iranienne bat sérieusement de l'aile. La monnaie du pays, le rial, a perdu 40% de sa valeur au cours des deux dernières années alors que l'inflation a grimpé de 30%. Mélangez à ça un taux de chômage de 15% et vous avez un cocktail explosif. «Cet enjeu va grandement favoriser Mohammed Baqer Qalibaf, qui est actuellement maire de Téhéran et dont l'efficacité dans ces fonctions a été grandement appréciée», note Pierre Pahlavi, directeur adjoint du Centre des études sur la sécurité nationale du Collège des Forces canadiennes de Toronto.

Un mouvement vert d'envergure est peu probable

En 2009, des centaines de milliers d'Iraniens drapés de vert ont manifesté dans les rues après la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, scandant «Où est mon vote?» et demandant plus de libertés. Plus important soulèvement dans le pays depuis la révolution de 1979, le mouvement vert a été durement réprimé par les forces de l'ordre. Des milliers de personnes ont été arrêtées et des centaines d'entre elles ont subi des procès de groupe, dignes des purges staliniennes. Au cours des derniers jours, des opposants au régime ont profité de bains de foule entourant la commémoration de la mort de l'ayatollah Khomeini et de l'ayatollah Jalahouddin Taheri pour manifester, criant «Mort au dictateur!». Ces petites effusions ont été de courte durée. Selon Houchang Hassan-Yari, il est bien peu probable que l'élection donne lieu à une nouvelle vague de protestation. «Il y aura peut-être un peu de contestation, mais pas comme en 2009. La répression a été trop dure», soutient M. Hassan-Yari.

Les Gardiens de la révolution tirent les ficelles

Si certains experts croient que ces élections aideront l'ayatollah Khamenei à consolider son pouvoir, d'autres estiment que l'élection est surtout celle des Gardiens de la révolution, le puissant groupe paramilitaire mis sur pied en 1979 pour protéger la Révolution islamique de toutes attaques. «De plus en plus de gens croient que le régime iranien est une théocratie de façade réellement contrôlée par les Gardiens de la révolution», explique Pierre Pahlavi. Ce dernier explique que l'ascension des Gardiens, ou Pasdaran, a débuté avec la guerre Iran-Irak, mais a vraiment été consacrée dans les années 2000. «Aujourd'hui, les Gardiens contrôlent 90% de l'économie iranienne. Ils se sont infiltrés partout», ajoute M. Pahlavi. La plupart des candidats à la présidence ont à un moment ou un autre appartenu au Pasdaran. Les Gardiens seraient au coeur du contrôle de l'information à la veille de l'élection. Au cours des dernières années, ils sont passés maîtres du contrôle des médias sociaux, cruciaux lors des manifestations de 2009. L'an dernier, ils ont mis sur pied le Conseil suprême de l'espace virtuel.

Le taux de participation est à surveiller

Un des tests les plus importants de cette élection présidentielle sera celui de la participation. Alors qu'aucun candidat véritablement réformiste n'est sur les rangs, les Iraniens se présenteront-ils aux urnes pour choisir entre les différentes candidatures conservatrices, ultraconservatrices et du centre? Lors de son allocution préélectorale, l'ayatollah Khamenei a fait de la participation son cheval de bataille, accusant les États-Unis et «autres ennemis» de l'Iran de tenter de dissuader les Iraniens de voter. «Un vote aux élections est un vote pour la République islamique», a clamé l'ayatollah. Ce dernier accuse aussi des forces étrangères d'encourager la «sédition» des citoyens iraniens.

Il n'y a qu'un «turban» parmi les candidats

Longtemps, la présidence de la République islamique a été réservée aux chefs religieux du pays. L'ayatollah Khamenei est d'ailleurs passé par là avant de devenir Guide suprême. Quand il a été élu en 2005, Mahmoud Ahmadinejad était le premier «chapeau» à accéder au poste habituellement coiffé d'un «turban». Pour l'élection de la semaine prochaine, un seul turban, Hassan Rowhani, est sur les rangs. «Et ironiquement, les candidats issus du clergé pour cette élection et la dernière ont aussi été les candidats les plus réformistes», souligne Robin Wright.

Les candidats sont unis sur la question nucléaire

Lors des deux débats télévisés - le premier sur l'économie, le deuxième sur la culture -, les candidats ont présenté leur vision du monde, parfois à des années-lumière les unes des autres. Mais sur une question, les candidats s'entendent: ils défendent tous le droit de l'Iran de développer un programme nucléaire et d'enrichir de l'uranium. Sur la manière cependant, ils diffèrent. Parmi les candidats se trouvent d'ailleurs deux anciens négociateurs sur la question du nucléaire: Hassan Rowhani et Saïd Jalili. Le premier avait réussi à établir un dialogue avec l'Occident alors que le deuxième est devenu le visage iranien du bras de fer avec la communauté internationale. Reste à voir l'option que les Iraniens privilégieront.

L'électorat iranien est imprévisible

Le fait que peu (ou pas) de sondages scientifiques soient réalisés par des organismes indépendants y compte pour beaucoup, mais bien malin serait celui qui réussirait à prédire l'issue de l'élection présidentielle, note Robin Wright. «En 1997, comme en 2005, quand Mohammad Khatami et Mahmoud Ahmadinejad ont été élus, tout le monde a été surpris. Les deux hommes étaient des candidats de l'ombre et leur ascension a eu lieu en quelques jours seulement, expose l'experte. Les électeurs iraniens sont parmi les plus imprévisibles.»

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Portraits des candidats

1) Hassan Rowhani, 65 ans

Seul membre du clergé en lice, il a dirigé le Conseil suprême de la sécurité nationale pendant 16 ans. Il a aussi été le négociateur iranien dans l'épineux dossier nucléaire.

2) Mohammad Reza Aref, 62 ans

Ancien chancelier de l'Université de Téhéran, ce sexagénaire a été vice-président du pays pendant quatre ans sous le président réformiste Mohammad Khatami.

3) Mohammed Qarazi, 72 ans

Plus vieux candidat, Qarazi a été ministre du Pétrole. Il promet de remettre l'économie sur pied.

4) Mohsen Rezai, 59 ans

Candidat conservateur défait aux dernières élections, Rezai a été pendant 16 ans à la tête des Gardiens de la révolution.

5) Mohammad Baqer Qalibaf, 52 ans

Défait à la présidence par Ahmadinejad en 2005, il l'a remplacé à la mairie de Téhéran. Vétéran des forces aériennes pendant la guerre Iran-Irak.

6) Ali Akbar Velayati, 68 ans

Ministre des Affaires étrangères pendant 16 ans, ce pédiatre formé à l'université américaine John Hopkins promet de régler la crise syrienne.

7) Gholam Ali Haddad Adel, 68 ans

Ancien président du Parlement iranien, M. Adel est un proche de Khamenei, sa fille étant mariée au fils du Guide suprême.

8) Saïd Jalili, 47 ans

Titulaire d'un doctorat en science politique et le plus conservateur de tous les candidats, Saïd Jalili a fait partie des milices basidjis avant de devenir le négociateur de l'Iran dans le dossier nucléaire.

Source : The Guardian